Enfermement en réseau
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Enfermement en réseau
Chronique d'opinion publiée dans l'hebdomadaire 'La Semaine du Pays Basque' n° 1.419, du 05 au 11 mars 2021.
Celles et ceux qui me font l'amitié de me lire sur ces colonnes connaissent mes préventions à l'endroit des réseaux sociaux - qu'il serait souvent plus juste de qualifier de réseaux "asociaux" - alors même que j'en suis un utilisateur quotidien. J'assume sans ambages cette contradiction, en argumentant que j'essaie, dans mes réactions et mes partages - principalement sur Twitter -, d'être constructif, d'exercer l'esprit critique, de ne jamais attaquer la personne, mais les propos qu'elle tient et qui ne m'agréent pas, les idées ou ce qui en tient lieu et qui me révulsent. Je suis actif aussi, sur ces nouveaux vecteurs de communication, pour diffuser de l'information, pour peu que celle-ci soit factuelle, sérieuse, vérifiée, corroborée par plusieurs sources. Autant dire que je me bas (modestement) contre les infox ou fake news qui pullulent sur lesdits réseaux sociaux et qui en sont une des plaies majeures. Contre aussi ce que l'on appelle le complotisme ou théories du complot qui a trouvé là une énorme caisse de résonance.
Les situations de crise, comme celle que nous subissons avec la pandémie de la Covid-19, constituent un terreau des plus favorables à la diffusion exponentielle des fausses informations et des théories complotistes, même si ces phénomènes ont existé de tout temps. En outre, les moyens de communication à la portée de toust le monde que sont les réseaux sociaux, ont exacerbé une caractérisque humaine largement partagée : celle de se croire dépositaire de la science infuse, de la seule vérité qui vaille, de penser tout savoir ou presque et en tout cas de s'arroger le droit de dire tout ce que l'on veut et en le partageant largement, de donner son opinion péremptoire et définitive, en niant aux autres le droit de penser différemment ! Ainsi la pandémie et les problèmes (réels) de mauvaise gestion politique, les cafouillages (nombreux) des autorités gouvernementales et de leurs relais administratifs, la question des vaccins, etc. ont fait éclore d'innombrables vocations de dirigeants politiques, de gouvernants, d'épidémiologistes, d'infectiologues, de virologues, de chercheurs, de pharmacologues, tous plus savants les uns que les autres et n'ayant aucun doute sur LA solution à mettre en oeuvre. Des avis tranchés, des certitudes absolues, des prises de positions inébranlables... inversement proportionnels, bien entendu, aux compétences en toutes ces matières de l'immense majorité de ceux qui les expriment.
Un nouveau tribalisme
La dévalorisation de la parole censée, de l'information contrôlée en matière de véracité, le rejet de la contradiction argumentée, la défiance généralisée, systématique, irrationnelle envers "les élites" en tous domaines, ne sont pas toutefois les seuls travers des réseaux sociaux devenus en bonne partie le réceptacle de toutes les frustrations, le réservoir de toutes les rancoeurs, le porte-voix de toutes les absurdités.
Un autre aspect des réseaux sociaux est de reproduire des formes d'enfermements, de tribalisme que l'on pourrait pourtant croire être l'antithèse de ces moyens de communication dit "ouverts". Il est remarquable - et désolant - de constater que sur Facebook ou Twitter, pour ne citer qu'eux, une bonne part des utilisateurs, et peut-être la majorité, ne partage que ce qui l'intéresse, ne voit le monde que par le petit bout de la lorgnette. Cela démontre, à mon sens, le caractère extrêmement réduit des centres d'intérêt de bien des intervenants et aussi le fait que beaucoup ne recherchent l'échange qu'avec des personnes pensant peu ou prou la même chose.
On me pardonnera de me référer à ma propre personne, mais avec mon compte Twitter sur lequel plus de 3.500 personnes me suivent, j'ai vite perçu comment les interactions se passent. Ainsi, pour ne prendre qu'une seule entrée de lecture, la très grande majorité de personnes de sensibilité abertzale (autonomistes/indépendantistes basques) qui me suivent ne relaye jamais autre chose que mes tweets traitant de sujets qui leur "parlent" : les luttes pour les droits nationaux, la solidarité avec d'autres nations niées dans leurs droits, par exemple : les palestiniens, les catalans, les écossais... mais par les kurdes, sans doute trop proches, à leurs yeux à oeillères, des USA !...
Cet enfermement en réseaux est une calamité, l'expression d'une misère intellectuelle qui consiste à se replier sur quelques centres d'intérêt. Je n'ai aucunement la prétention à être un modèle de perfection, mais au-delà de ma conscience abertzale, bien d'autres domaines suscitent mon intérêt, en vrac : la musique classique et l'opéra, les chants et danses traditionnels, la danse classique, la poésie, les trains, les chats, la géopolitique, la photographie, la lecture et l'écriture, les langues, la politique, les institutions, la randonnée, les questions environnementales, la sociologie, la presse, etc. Aussi, je fais en sorte que mes publications et mes partages, sur Twitter, Facebook ou Instagram soient le reflet de tout ce qui m'intéresse et il va sans dire que je m'efforce de relayer les publications de ceux qui me suivent... ou pas !
Les réseaux sociaux ne supplanteront jamais - et fort heureusement ! - la vie en société, mais au moins faudrait-il faire en sorte qu'ils n'en soient pas une caricature désocialisée...