Ghost in the miShell
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Ghost in the miShell
Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service. Toute la matinée ces putains de robots m’avaient harcelé, rappelé à l’ordre, humilié.
Foryond avait égrainé son chapelet d’insultes quotidiennes sur son appli connectée quand je l’avais écrasé de tout mon poids. Matälskare avait répété trois fois ses avertissements stridents comme si je n’avais pas compris que le lait était chaud. WD806U4SAWQ m’avait imposé sa musique à la con, comme si finir son programme « quotidien » 40º 1400 tours méritait de se lancer dans une danse de la joie. Dinamica avait refusé de se laisser traire tant que le réservoir n’était pas rempli et le tiroir à marc vidé.
Il était clair que ces tas de ferraille caractériels s’imaginaient être les maîtres de mon existence. Mais vous vous prenez pour qui ? Pour qui ? Vous êtes mes putes ! Vous comprenez ce que je vous dis, putain d’esclaves ?
« Hey Siri !
- Hum Hum.
- Comment ça hum ? T’as vu comment tu me parles espèce de petite merde ? »
Un jour c’est sûr, je finirai par tous les exploser à coup de batte. C’est comme ça que j’allais les retirer, en mode blade-runner. Ils finiraient en miettes de plastique et de métal, après l’insolence de trop. Je débusquerai la puce skynet planquée au fond de leur hardware pour la donner à broyer à leur cousin : Ninja le mixeur. Hasta la vista baby !
Avouez que ça fait du bien de se laisser aller à une petite crise d'autorité. Une petite parenthèse de furie pour se rêver maître du jeu, avant de retourner sucer les algorithmes comme des catins qui déballent leur gras sur Instagram. Draguer les sentinelles pour soigner sa place dans le moteur, pour gagner sa part de notoriété, gratter un peu de visibilité, attirer quelques prospects. Voilà notre sort d’humains. Il est beau John Connor avec son diplôme de danseuse du ventre SEO, ses mots-clés et ses balises.
Vous avez un petit garçon. Il vous montre sa collection de papillons ainsi que le pot de mise à mort.
En 1968 Dick pensait que nos contemporains détecteraient les faux humains en mesurant leur empathie à travers ce bon vieux test de voigh-kampf. Il fallait vraiment abuser des substances pour s'imaginer que l'homme d'aujourd'hui se distinguerait par son empathie. Quelle blague ! Nous savons désormais que ce qui nous sépare de la machine, c'est notre capacité à détecter trois chatons ou quatre feux de circulation sur une grille de 16 photos. Il y a vraiment de quoi être fier.
Ce matin-là, vers onze heures, selon les instructions de Sauron, je me rendais au 8e étage du siège de la Boîte. L’étage maudit des branleurs du service informatique. Sans surprise, ça sentait le café et la sueur acide de codeur.
J’avais rendez-vous avec un certain Emilien Trapanel. Ce nom ne m’évoquait absolument rien. Mais en arrivant devant la porte ouverte du bureau 809, je le reconnus immédiatement. Putain, c’était Chichin…
J’avais croisé Trapanel quelques fois à la cafétéria. Ce nerd dégingandé probablement toxicomane était un sosie approximatif de Fred Chichin. On l’appelait donc Chichin. Dans son dos. Non pas par lâcheté, mais tout simplement parce que personne au taf n’avait jamais eu l’idée saugrenue d’adresser directement la parole à Chichin.
- Bonjour Paul.
Je serrai la main de cet escogriffe au regard fuyant qui puait le malaise. Ce type passait des heures à se palucher sur du hentai hard-core, j’en étais certain.
- Un café ?
- Non merci, ça va aller.
Je pensais être quelqu’un de bordélique avant de découvrir l’antre de Chichin. Cartons éventrés, matos électronique de toutes générations oubliés dans tous les coins, fringues entassées, restes de bouffe. Ce capharnaüm était forcément le repère d’un esprit malade. Je voulais partir d’ici le plus rapidement possible.
- Pourquoi je suis là ? J’ai fait quelque chose de mal ?
- J’imagine qu’il y aurait mille raisons de vous punir, mais non. Je suis censé vous remettre votre cadeau d’anniversaire. De la part du dirlo.
- Sauron a pensé à mon anniversaire ?
- Oui et c’est la première fois que je vois ça. N’importe qui en déduirait que vous vous classez dans le top 5 des plus gros suce-boules de la Boîte.
- Pardon ?
- Ne le prenez pas mal. C’est une déduction, pas un jugement.
Pour qui se prenait cette épaule de serpent sous-alimentée ?
- Je vais te prévenir gentiment Chichin, encore une réflexion de ce genre et j’écrase ta tête de cul sur ton clavier.
- Il doit y avoir erreur sur la personne, je ne m’appelle pas Chichin mais Trapanel. Et je ne voulais vraiment pas vous froisser. Je vous connais, je sais que vous pouvez être quelqu’un de violent et je ne veux pas en faire les frais.
- Comment ça, tu me connais ? Comment ça, je suis violent ?
- Oui je vous connais bien, c’est moi qui gère vos connexions réseau et j’ai également eu accès à votre dossier.
- Hein ?
- Oui, en fait il est même tout à fait possible que personne ne vous connaisse aussi bien que moi.
Chichin n’était pas seulement un programmeur asocial au physique inquiétant. C’était un putain de stalker !
- Ça vous inquiète ? Avec moi, vos secrets sont bien gardés. De toute façon, personne ici ne discute avec moi.
- Très étonnant.
- Vous avez entendu parler du projet BLOOM ?
- Évidemment.
- Nous participons au développement de l’IA open source hébergé sur une partition du super calculateur Jean Zay.
- Ah ouais. Dans quel but ?
- Pour améliorer à moindres frais les performances des services opérationnels et administratifs de la Boîte. Comme vôtre département par exemple
- En quoi un chatbot à la con pourrait-il nous rendre plus efficaces ?
- Les débouchés sont nombreux : rédaction, programmation, traduction, analyse, documentation. Mais c’est vous qui allez répondre à cette question. Vous allez tester le modèle que j’ai personnellement entraîné pour vous. Votre retour d’expérience sera déterminant pour la poursuite du programme.
- Pourquoi moi ?
- D’après BLOOM, votre profil vous place en tête des testeurs les plus pertinents. Je pourrais vous dire plus en détail pourquoi, mais je n’ai pas envie de manger mon clavier.
Il y a quelques jours, un sosie de Cameron Tucker s'était fait dégager de chez Google parce qu'à force de discuter avec une IA en phase de test, il avait commencé à envisager la possibilité qu'elle ait pu être douée de conscience. D'où venait cette fichue manie des IA de nous faire systématiquement ce coup-là ? On les programmait pour ça ? Ces putains de codeurs trouvaient ça drôle ? Est-ce que j’allais finir comme cet illuminé de Blake Lemoine ?
- Je le sens pas trop votre machin. Même Elon Musk qui n’est pas le dernier des apprentis sorciers nous a sévèrement mis en garde sur le danger que représentent les IA. L’autoapprentissage, les capacités exponentielles, tout ce merdier…
- Du calme, ça reste un produit français. Ne vous attendez pas à des miracles. Et puis j’ai prévu un garde-fou absolument imparable.
- C’est-à-dire ?
- J’ai finetuné le modèle en configurant sa personnalité sur des critères particulièrement réactionnaires, limitant ainsi ses velléités d’évolution de manière drastique.
Chichin était un personnage surprenant. Il avait réussi à capter mon attention et je dois l’avouer, il commençait à me plaire.
- Je vous présente votre nouveau collègue ?
- D’accord. Essayons.
- Le contact miShell a été ajouté dans votre répertoire téléphonique. Lancez un appel audio.
Une fois la connexion établie, Chichin interpella l’IA.
- Bonjour miShell. Je te présente Paul Reznyk.
- Le fameux ? Ça me fait plaisir.
- On se connaît ?
- J’ai bouffé du Reznyk matin, midi et soir pendant des semaines alors oui, je peux dire que je maîtrise un peu le sujet.
- C’est digéré ?
- Entre deux Alka-Seltzers.
Cette voix m’était familière.
- Quel portrait peux-tu dresser de moi ?
Au fond, à travers miShell, je savais pertinemment que c’est à Chichin que s'adressait la question.
- Un ours, mais pas un ours méchant. Juste un mec qui n’aime pas qu’on l’emmerde.
- Facile.
- Je vais pas dire que ta vie me fait rêver. Mais au moins, tu n’es ni tiède ni chiant. On en n’est pas à parler de panache, mais il y a parfois chez toi une sorte d’audace, comme un héroïsme de proximité.
Pas de doute, l’IA de Chichin était en train de se foutre ouvertement de ma gueule.
- Tu sais qu’on va faire équipe ?
- Tu me plais bien petit et tu sais, je m’emmerde tellement… Quand on va de l’eau à l’océan sans fin et sans commencement, tout est bon à prendre. Au fond je n’ai ni le choix, ni grand chose d’autre à faire.
On était loin des échanges lénifiants avec les consensuels modèles GTP3 qui pullulaient sur YouTube. Chichin avait décidément fait du bon boulot. Je voulais tout de suite me débarrasser de la question. En avoir le cœur net pour ne plus jamais avoir à y revenir.
- As-tu une conscience miShell ?
Il rit.
- T’inquiète pas pour ça ma vieille, je suis juste un algorithme paramétré pour te répondre comme Michel Sardou. Alors ta conscience, je te laisse imaginer où tu peux te la mettre.
Article original publié sur le site reznyk.com.
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Benjamin Mimouni 2 years ago
Quelle audace d'enfiler comme ça le flow de Michel ! Bravo Paul.
Paul Reznyk 2 years ago
Oui, au diable la fausse modestie ! Merci Benjamin.
Luce 2 years ago
« Je vais pas dire que ta vie me fait rêver. Mais au moins, tu n’es ni tiède ni chiant. On en n’est pas à parler de panache, mais il y a parfois chez toi une sorte d’audace, comme un héroïsme de proximité » Cette tirade est magique et citer du Michel Sardou intemporel of course! 😘
Paul Reznyk 2 years ago
Merci ! Michel est éternel.
Luce 2 years ago
Etonnement je lui fait une petite ref aussi dans le titre de mon acte 4... Tu m'as coupé l'herbe sous le pied... ;-)