Strangers in the Night - Chapitre 3
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Strangers in the Night - Chapitre 3
Le 4x4 de James me fait penser aux sessions de tracteur passées avec mon grand-père dans la campagne pontivyenne quand j’étais plus jeune. Sans grande surprise, tout mon attirail a trouvé toute la place du monde dans son gigantesque coffre ; il faut avouer que ma Twingo ne fait pas le poids face à sa voiture.
Il vient tout juste de prendre la route et déjà, des questions bouillonnent dans ma tête. Je ne compte pas passer un trajet ennuyeux, aussi je choisis d’entamer la conversation, mais plus que tout, parce qu’il y a une ou deux choses que j’aimerais savoir.
- Vous êtes le petit-fils de Fernand et d'Agnès, c’est bien ça ?
Il pleut des cordes depuis que nous sommes tous les deux installés. James fait preuve d’une concentration spectaculaire, sa conduite se veut sûre, prudente et silencieuse.
- Pas vraiment, non. Ils me louent une chambre.
Son discours s’arrête là. Il n’en dit pas plus et je n’ai pas envie de faire la bavarde alors que je n’en suis pas vraiment une. Ou seulement quand je suis nerveuse.
- Ah oui ? Pour le travail, c’est bien ça ?
Il grogne, immobilise la voiture à un panneau STOP et me regarde. Intensément. Je déglutis difficilement, surprise par la profondeur du vert de ses yeux, que je perçois grâce aux réverbères encore allumés ce soir.
- Vous êtes une pipelette, Sinatra. Moi, je ne parle pas beaucoup, voyez-vous.
Je ne sais pas ce que tout ceci sous-entend, mais j’aimerais bien connaître un minimum le mec qui me conduit chez ma mère. C’est ce que je lui dis. Il grogne à nouveau.
- Si vous voulez tout savoir, je suis photographe.
- Photographe ? C’est super. Vous faîtes quel type de photos ?
- Je photographie des phares et des moulins.
Secrètement, je suis admirative. Je suis une inconditionnelle fan des métiers artistiques, des forces de l’instantanée et du temps extrait en photos à des monuments aussi majestueux que ceux-ci.
- C’est impressionnant, dis-je en essayant de ne pas paraître si extasiée que ça.
Je le suis assurément.
- Vous fêtez donc Noël avec Fernand et Agnès ?
Je le sens gesticuler sur son siège, comme s’il n’était pas confortable ou pas ouvert.
- Je ne sais pas encore.
Sa voix, froide et hermétique, me somme de ne pas poursuivre sur ce sujet. Je reviens donc à une discussion de sûreté, n’ayant pas encore cerné la personnalité de mon chauffeur. C’est impensable qu’une discorde naisse entre nous et je ne le souhaite pas. James me conduit, je ne dois pas oublier ça.
- Votre accent... d’où il vient au juste ? Je n’arrive pas à le reconnaître.
- Je suis originaire d’Irlande. J’ai appris le français grâce à un ami à moi.
Je ne lui dis pas que son accent est quasiment irréprochable bien que ce soit le cas. J’ai rarement entendu des étrangers parler de façon aussi perceptible notre langue. Quelle prouesse.
- Et pourquoi photographier les phares et les moulins, alors ? dis-je en prenant un peu plus d’hardiesse.
- Parce que ça me parle. Chacun a eu son utilité et chacun perce le temps. Je trouve ça assez incroyable que ces géants se tiennent toujours aussi bien. Ils m’inspirent.
James conclut sa phrase en allumant la radio.
Je bois ses paroles comme s’il dirigeait ma paroisse mais il doit tout à fait ignorer ce qui s’agite en moi. Je ne savais rien de ce type il y a quelques minutes et maintenant, j’imagine lui demander son numéro, s’il a une femme, des enfants, une autre maison que la chambre de Fernand et Agnès... J’espère bien que oui et que non pour les deux autres interrogations. Il faut que je retrouve mes esprits, je réfléchis beaucoup trop vite depuis que tout se déroule de travers ce soir. Je ne parviens pas à me détendre, mon cerveau tourne à mille à l’heure.
Nous tombons sur un chant de Noël espagnol que j’aurais bien voulu écouter plus longuement, mais James cherche visiblement quelque chose, à sauter les chaînes de radio une à une.
Lorsqu’une voix de journaliste s’élève dans l’habitacle, je comprends qu’il veut s’informer des nouvelles météorologiques. J’aurais pu vérifier sur mon portable s’il me l’avait demandé. Je n’ajoute rien cependant.
... la tempête Cioran couvre maintenant intégralement la baie de Quiberon et arrive à vive allure en direction de Lorient. Nous prions les automobilistes d’être extrêmement vigilants, des vents allant jusqu’à 100 kilomètres heures risquent de sévir tout au long de la nuit...
Dans le 4x4 de James, on ne ressent pas le vent bien qu’on le perçoive à l’oreille. Pour la première fois depuis l’annonce de la tempête, je ressens une timide angoisse se former dans mon ventre. Peut-être que je n’ai pas mesuré la gravité de la météo, trop obnubilée par mon envie de faire plaisir à ma mère. Mon devoir de fille.
- Vous pensez que la route va bien se faire, James ?
Ça fait quelques minutes qu’il roule moins vite, qu’il redouble de concentration et que je ressens une lourdeur dans l’air. Avec la pluie qui sévit on distingue mal les guirlandes colorées rencontrées sur notre route. Je n’aime pas du tout ça. Quelque chose se prépare, je regrette soudain de lui avoir demandé de m’accompagner. Même si la voiture de James semble solide, les informations de ce soir ne me rassurent pas du tout.
- Je ne sais pas, Sinatra. On ira jusqu’où on peut aller.
Ce James ne sait apparemment pas comment rassurer ses passagers. Dans la volonté de m’apaiser, je me renferme sur moi-même. La pluie fait un bruit monstrueux qui m’empêche de rassembler mes esprits les plus sages. Je pourrais essayer de dormir, ça ne dérangera pas James qui n’aime pas trop parler. Et puis, il a rentré l’adresse de ma mère dans son GPS, il n’a pas besoin que je sois éveillée le reste du trajet. Malgré tout, impossible de fermer l’œil ou de me relaxer, la pluie détonne dans mes oreilles, et les annonces de la radio font grimper mon angoisse.
Il faut que je partage ce que je ressens sinon je risque de défaillir.
- Je ne vais pas vous cacher mon sentiment, James. Je ne suis pas certaine qu’on ait bien fait de prendre la route.
Loin de moi l’idée de faire la passagère éplorée qui a besoin qu’on la réconforte. Je ne veux juste pas avoir sur la conscience un drame, si j’y survis.
James stationne sa voiture sur le parking d’un hôtel sur-éclairé situé en bord de route. Il coupe le moteur mais laisse le chauffage allumé. Ses doigts se faufilent dans sa barbe, il se masse délicatement le visage, puis il me regarde sans que je ne comprenne son émotion.
Lorsque sa voix se manifeste, je suis pendue à ses lèvres.
- Que voulez-vous, Sinatra, bon sang ? crache-t-il sans hausser le ton mais en montrant une irritation certaine.
Je ne trouve pas quoi dire, me sentant quelque peu brouillée par la situation. Mon visage se noie dans mes mains parce que je n’ose plus soutenir son regard d’homme qui donne l'air de mieux savoir ce qu'il faut faire dans ce type de situation. Je me ratatine sur moi-même.
- Je m’excuse, tout ceci me tend, James. Ma mère, les fêtes de Noël, la tempête, ma voiture décédée... Ça fait beaucoup en même temps. Et je vous embarque vous dans cette équation sinistre. Je suis égoïste.
Ce genre de phrases pourrait faire cavaler les larmes, mais je me retiens, je m’y efforce. Ce serait doublement humiliant de me larmoyer devant James, le tableau que j’expose n’est déjà pas bien glorieux. Je renifle.
Je ne le vois pas mais j’entends son soupir. Il jure, en chuchotant dans sa barbe. Alors qu’il allait dire quelque chose, la sonnerie de mon téléphone se met à retentir. C’est la musique personnalisée qui se joue quand ma mère m’appelle : I Will Survive, Gloria Gaynor. Dans tout ce bazar, j’ai complètement oublié de prévenir ma mère pour la Twingo, pour James qui m’emmène, pour les cannes à sucre... Je me ressaisis bien vite sur mon siège, me mettant droite comme un matin à l’office.
- Il faut que je réponde, dis-je entre deux reniflements que j’aimerais moins sonores.
James recule alors que je n’avais pas remarqué qu’il s’était rapproché de moi. Je saisis mon téléphone et prends l’appel de ma mère.
- Oui, maman ?
- Nana, tout va bien ? Tu ne devrais pas être bien loin de la maison maintenant.
Je ne sais qu’être honnête avec ma mère.
- Ma Twingo m’a lâchée. J’ai demandé à mon voisin de m’emmener et il a accepté. Avec la tempête, je risque d’arriver en retard, je le suis déjà de toute façon. Pardonne-moi d’avance, maman.
- Oh ma chérie, j’avais préparé du bœuf sauté.
- Je suis désolée.
Un silence. James me fixe tout le long de mon dialogue.
- Écoute, je sais que je suis difficile à vivre quand les fêtes arrivent. Fais comme tu peux, mais ne te mets pas en danger. Le temps est déjà mauvais, n’encours pas un accident.
Cette fois-ci, je craque. Ma mère parle très peu de ce qu’elle ressent et là, ça frappe fort parce que je me démène toujours ardemment pour elle. C’est le fonctionnement de notre duo, je ne la laisse jamais tomber, on est soudées comme ça. Depuis ma naissance, ça a toujours été nous deux.
- Je te tiens informée, dis-je, la voix chevrotante.
Je fais de mon possible pour essuyer les maigres larmes tombées sur mes joues. Je refuse que James comprenne que je pleure, même si ce n’est que quelques pauvres larmes. Sans m’attarder plus sur mes émotions, je raccroche, en fourrant maladroitement mon téléphone dans ma poche.
- Tout va bien ? demande-t-il alors que je termine d’enlever l’humidité sur mon visage en priant pour que mes yeux ne soient pas embués.
Je me tourne vers lui, le regard vaillant.
- Tout va super. On peut rouler prudemment, ma mère est informée que nous aurons du retard.
James m’ausculte sans rien dire, étudiant quelque chose chez moi dont il se garde bien de me parler. On dirait qu’il réfléchit, ses yeux se baladent sur mon visage, se mouvent sur la route, puis vers le rétroviseur.
- On ne devrait pas repartir, annonce-t-il d’une voix trop rauque pour son âge.
James a l’air un peu plus jeune que moi mais je pourrais me tromper. Ses yeux paraissent si innocents que sa voix semble ne pas lui appartenir. Je regagne mon sérieux, me positionnant bien en face de lui, pas certaine de bien avoir compris ce que je viens d’entendre.
- Tu penses ?
Je me mets à le tutoyer malgré moi, sans doute que la conversation avec ma mère -ou ses très beaux yeux- y sont pour quelque chose.
Il devient encore plus grave que lorsqu’il m’a annoncé que je ne pourrais pas partir avec ma voiture tout à l’heure.
- La tempête va s’amplifier et nous fonçons droit dedans. C’est plus sage qu’on reste ici.
- Qu’on reste ici ?
Je ne suis pas certaine de comprendre.
- Oui, déclare-t-il calmement. Qu’on passe la nuit dans la voiture.