Strangers in the Night - Chapitre 1
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Strangers in the Night - Chapitre 1
Je ne réfléchis pas souvent à la façon dont va se dérouler mes Noëls. En terme général, je suis, sans trop réfléchir, les instructions de ma mère, la date (sans grands efforts), la liste de choses à amener -ou à faire- ce qu’il vaut mieux porter pour être raccord avec la décoration de son sapin... Et l’information capitale, l'indispensable : l’heure de mon arrivée.
Depuis que j’ai quitté la maison de pêcheur qu’elle a rénovée il y a des années déjà sur la presqu’île de Quiberon, et où j’ai ostentatoirement grandi, nos fêtes de fin d’années s’illustrent en des sortes de scènes de théâtre où elle réunit ses comédiens. Ma mère, la metteuse en scène qui ne veut pas une réplique de travers, un costume mal repassé ou même, une arrivée en retard.
Avec elle, je n’ai pas le droit à l’erreur. J’ai déjà eu du mal à ce qu’elle accepte mon choix d’être conteuse d’histoires pour enfants en statut indépendant... Comme si elle, elle n’avait pas connu sa part d’indépendance lorsque mon père s’en est allé et qu’elle s’est retrouvée seule à m’éduquer sur ce bout de terre qu’elle a très vite rendu complice de sa solitude.
Mais elle n’est pas triste de ça et au contraire, je la sens plus qu’heureuse de clouer chaque année en rameutant notre famille des quatre coins de la France jusqu’à sa petite île bretonne, son canot de sauvetage et sans nul doute, son paradis.
J’ai passé la majeure partie de ma journée à enregistrer un unique échantillon vocal pour une maison d’édition particulièrement exigeante qui vend des histoires de grands méchants loups et de lapins intellos. Bien sûr, ce qui pour moi est le plus complexe, c’est de trouver la bonne tonalité de voix des personnages et j’ai dû m’y reprendre un paquet de fois pour arriver à quelque chose de recevable.
Le reste de la journée, j’ai chargé ma voiture de jeux, de livres, de nourriture et de piètres cannes à sucre que j’ai inévitablement ratées. Tout ceci pour arriver avant le réveillon, passer quelques heures entre nous, préparer ce qu’il y a à préparer. Je n’ose même pas imaginer à quelle vitesse ma vieille Twingo va rouler avec toute cette cargaison. Mieux vaut ne pas trop y penser.
Ce n’est pas mon choix, d’arriver la veille du soir de Noël. Je me dois cependant d’accepter la requête pour pouvoir rassurer ma mère, tout le reste de la famille ne nous rejoint que le 24 au soir. Elle refuse de les recevoir en catastrophe, toute seule. Et puis, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Son message de ce matin, je le lis encore sous mes paupières alors que je désespère de réussir à fermer mon coffre : sois à l’heure pour le dîner, Sinatra, sois à l’heure.
Pour arriver à l’heure, je n’ai d’autre choix que de partir maintenant. Je ne sais pas comment va être la circulation sachant qu’une tempête se lève en ce moment même et que le 24 tombe un samedi soir. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui on est vendredi, et que tout le monde est plus ou moins en vacances. Je déprime déjà des embouteillages que je vais rencontrer.
Partir deux heures en avance sachant que j’ai une heure de route ne me semble pas négligeable. J’envoie un message à ma mère pour qu’elle ne me tende pas par la suite, si malgré tout, j’arrive tout de même en retard.
Je pars, j’espère que la route sera bonne et que j’arriverai à l’heure.
Inutile de mettre un smiley, rien ne me vient. Alors que je claque la portière de ma voiture, son message me parvient.
OK.
OK. Oh maman tu peux faire mieux qu’un « OK » tout coincé. Je fais abstraction de sa réponse pour ne pas plomber mon humeur. Si j’arrive de mauvais poil, elle sera de mauvais poil, nous serons de mauvais poil et son chien aussi. Donc je resserre mon bonnet en laine, sors mes deux longues nattes de ma doudoune et je respire un bon coup en me disant que mettre un chant de Noël pour m’accompagner sur la route me fera du bien.
Vive le vent pourrait parfaitement convenir. Je ne ferai pas la difficile.
Avant de m’arrêter sur ce titre, j’insère les clefs pour démarrer la voiture et sans surprise, je mets le volume du chauffage à fond. Si je ne chauffe pas la voiture je vais congeler ici ça ne fait aucun doute. J’adorerais conduire avec mes gants mais c’est un risque qui me ferait glisser tout droit dans l’Atlantique, je préfère éviter.
Mais voilà, j’ai beau tourner la clef à plusieurs reprises, le moteur n’émet aucun son. Seul un bruit de faux départ -voire d’extinction- résonne sous le capot. Je fronce mes sourcils, quelque peu étonnée. Je sais que ma Twingo est vieille, mais elle ne peut pas me lâcher le 23 décembre. Non, elle n’a pas le droit. Je sors de la voiture pour examiner ça de plus près, comme si des dons en mécanique m’étaient parvenus le temps que je comprenne la situation dans laquelle je me trouve.
Évidemment, je suis démunie face à cette non-obtempération de ma voiture, et je ne sais pas quoi faire à part la fixer d’un air sinistre comme si elle allait compatir à mon triste sort et redémarrer d’elle-même.
À cette heure-là, les bus ne passent plus, ou plus très bien et je serais bien incapable de savoir lequel prendre, moi qui suis habituée à me déplacer avec mon véhicule. Je réfléchis un instant à qui je pourrais appeler.
Personne ne me vient.
À Port-Louis, je n’ai pas vraiment d’amis si ce n’est les femmes que je croise à la boulangerie, à l’église ou quand je vais au marché. Mon métier se veut solitaire, sans parler du fait qu’aucun de mes véritables amis n’habitent dans le Morbihan. Et puis qui, en ces périodes de fin d’année aurait du temps à m’accorder ? Il fait déjà nuit, trop froid et la tempête menace. Je sens une certaine forme d’abattement me gagner sans que je ne puisse rien y faire. Les conditions me sapent le moral pour de bon.
Un espoir venu de nulle part me traverse au souvenir de ce couple de retraités qui habite à côté de chez moi. Qui sait, ils pourraient peut-être bien me venir en aide. Lui est un ancien mécanicien de bateaux, si ma mémoire est juste, j’avais eu l’information lors de la dernière édition du festival maritime de la ville. Les bateaux, les voitures... Je prends. Bien que ce ne soit pas foncièrement la même chose, ce ne doit pas être si différent. Je choisis de tenter ma chance, de toute façon c’est ça ou passer la soirée avec ma mère qui me garde au téléphone comme elle a l’habitude de le faire quand les choses ne se passent pas comme elle a prévu.
Elle me dira qu’elle viendra me chercher demain à la première heure et ça ne l’arrangera pas parce que ce ne sera pas prévu et que ça la mettra en retard. Je tranche donc sans tergiverser plus longtemps.
Décidée, je m’avance avec entrain vers leur allée, en prenant soin de redresser mon écharpe pour bien me garder au chaud. La température donne l’impression d’avoir encore baissé et au fond de moi, je sais que ce n’est pas qu’une impression. Je me hâte jusqu’à leur porte esquivant les quelques maisons ornées de rennes et de bonhommes de neige inquiétants sur mon passage.
Je toque en priant pour que l’on daigne bien m’ouvrir. Je dois avoir les joues toutes rouges et les lèvres déjà gercées par le gèle, mais ma détresse est trop grande pour que je me soucis de tout ça. Je toque de plus belle, immobilisée par le froid.
La porte devant moi laisse alors apparaître un homme dans mes âges, qui ne ressemble à aucun de mes deux voisins.