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« Chez Kudia »

« Chez Kudia »

Published Jun 3, 2020 Updated Jun 3, 2020 Travel
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« Chez Kudia »

06Dec

2012

 


« Chez Kudia », c’est un bar-restaurant tenu par Gladys, alors le soir quand on y va on dit qu’on va « chez Gladys ». De l’extérieur,  l’endroit ne se distingue pas des autres maisons. C’estau fond d’une ruelle terreuse et un peu sombre de Bacongo, un peu à l’écart de la grande artère pleine de commerces et de ngandas, ces petits débits de boissons installés de plein pied sur la rue. Le lieu ne paie pas de mine, un ensemble de tôles ondulées font office de mur ; rien n’indique quel extraordinaire lieu de vie se cache à l’intérieur si tu ne passes pas par là à l’heure des concerts. 
On y rentre par une porte à l’arrière. Là, en face, se trouvent une terrasse prolongée d’une petite cour intérieure recouverte par un auvent en tôle. Des petites tables en plastique y sont installées, au bord desquelles siègent les brazzavillois et quelques mundelés, affairés auprès d’une bouteille de Primus ou d’une assiette de soupe de carpes et d’une assiette de manioc. La bière ici, on la commande toujours par bouteille de 65 centilitres.  Au fond à droite, il y a la scène. A gauche, la maison attenant dans laquelle chacun va commander « le jus ».
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Sur scène ce soir, comme tous les samedis soirs, se succèdent les F.B.Stars et plusieurs autres groupes,  ainsi que de nombreux invités. Le F.B.Stars. Cinq rasta-mans congolais, frères pour la plupart, à la barbe et aux dreadlocks allongées. Ils puisent leur inspirationavant tout dans le reggae, qu’ils revisitent au travers de leurs origines. Ici, les morceaux durent facilement quinze minutes, on chante en Lari avec des mélodies répétitives selon des airs traditionnels. Il y a d’abord Kaiser, le doyen du groupe, rasta à lunettes et à la calvitie largement naissante, d’une gentillesse sans égal, aux maracasses, et parfois au chant. Il y a ensuite Moise, le  premier frère, le plus calme du groupe, assis sur une chaise guitare électrique à la main.Il distille en boucle une mélodie en arpèges. Plus au fond, derrière ses deux tomes et sa caisse claire, c’est Baladeur. Toujours le sourire large qui orne sa face, toujours content d’être là. Si tu l’incites un tant soit peu, il te lâche un court solo en plein milieu du morceau. Sur le devant à la basse, Magic, le cadet des frangins. Longues rastas et petit bouc, noir comme de l'ébène, il scrute posément maisprofondément l’assemblée avec son regard bienveillant, tout en produisant la ligne de basse du morceau. Parfois, il échange sa basse contre la guitare et le micro pour entonner des compositions à lui, assez personnelles. Et enfin, à la guitare acoustique et au chant, on trouve Kitio, vrai look de dreadeux jamaïcain, qui enchaîne les accords en même temps qu’il entonne un air inspiré de ses ancêtres et de ses idoles jamaïcaines.

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Et puis il y a les invités, les guest stars. Chanteurs traditionnels ou chanteurs d’inspiration cubaine, héritage de ces nombreux échanges du temps où le Congo était communiste ; chanteurs d’inspiration plus moderne, rap, reggae, ragga, Chipata le survolté à l’entrain et à la tchatche perpétuels. Percussionnistes, joueurs de ngoma ou de ngongiissus du pays, ou bien de djembé hérité d’Afrique de l’ouest. Puis un autre groupe prend place sur scène. Parfois un des membres du F.B Stars en est l’invité à la basse, à la guitare ou à la batterie. Ici c’est un vrai lieu de rencontre et d’échange artistique. Chacun a ses morceaux phares, et tout le monde se succède et se croise dans un mouvement de va et vient naturel.   DSC01488
Devant la scène, le public s’anime lui aussi d’un mouvement fluctuant, venant danser sans complexe le temps d’une chanson ou deux, puis regagnant sa place pour un peu de fraicheur et une gorgée de bière. C’est un mélange de blancs et de noirs dansant dans la bonne humeur, mundelés trop contents d’avoir découvert ce lieu inespéré, congolais trop satisfaits de pouvoir danser avec des petites mundelés. Tel le surnommé Jackson, chapeau bleu à paillettes sur la tête, qui joue à être le roi de la danse pour la soirée.
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       Soudain, à l’incitation des tambours, un petit groupe se forme et s’écarte. Il veut laisser libre court à l’expression des danseurs.  C’est l’heure des shows individuels, la représentation des artistes de la scène.Ils entament des chorégraphies d’inspiration tribale, ramenés des villages que leurs parents ont quitté pour venir grossir les effectifs de la capitale. Toutes les parties du corps sont en mouvement, restructurant l’espace dans ses trois dimensions, marquant le rythme initié par les les percussions, puis laissant la place au danseur suivant. C’est un partage communautaire dans de la danse, auquel les blancs sont aussi cordialement invités, puis fortement poussés lorsque qu’ils cherchent à décliner pudiquement, pour que eux aussi donnent à voir ce qu’ils ont à proposer. Et on les applaudit fort d’avoir bien voulu se prêter au jeu à la fin de leur prestation. Finalement le F.B. Stars reprend, et tout le monde chante en chœur la mélodie, galvanisés par cette énergie que cette danse vient de leur insuffler.
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La musique se joue jusqu’au bout de la nuit, le balai des musiciens se poursuit. Enfin le groupe pose les instruments et va enfin boire un coup bien mérité.  Il y a un moment de brouhaha humain, d’éclats de voix et de rires, de chaises qui bougent et de bouteilles qui résonnent. Le bar se vide quelque peu. Et là, Armel le mari de Gladys sort la basse et entame avec ses amis une session improvisée. Baladeur est de la partie. On dirait un gamin qui a le droit ce soir de jouer avec les Rolling Stones. Il faut dire qu’ Armel est un virtuose de la basse ; il en fait sortir la ligne mélodique et rythmique qu’il veut. Ses amis se mettent aux micros et entonnent en écho un phrasé improvisé. Ils s’interpellent, se répondent, c’est encore une fois l’heure des solos. Kitio se joint à eux. Un as de la guitare lui aussi. Malgré sa main droite estropiée à l’âge de six ans par brulure d’électrocution, il maitrise parfaitement son instrument.Il engage un arpège soutenu, mélodie répétitive et incessante, aux accents africains,  sans jamais perdre le rythme, sur ce morceau qui n’a pas de fin. C’est un gros bœuf improvisé dans lequel chacun prend part pour prolonger la nuit en musique. Je m’asseois en face de lui et regarde sa main jouer, fasciné. Un samedi soir chez Gladys.
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