Au hasard de la découverte
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Au hasard de la découverte
Dans le vaste univers du voyage, on croise toutes sortes de gens.
Il y a ceux qui ont tout simplement la bougeotte et qui n'arrivent pas à tenir en place.
Il y a ceux qui tiennent à découvrir le monde.
Il y a ceux qui cherchent ailleurs une vie meilleure loin de la misère, et il y a ceux que les catastrophes en tous genres et les bouleversements politiques jettent sur les routes de l'exil.
Il y a ceux qui voyagent pour études et ceux qui voyagent pour affaires.
Il y a ceux qui font du tourisme pour oublier pendant quelques jours, ou parfois quelques semaines, les tracas et obligations de la vie quotidienne, et qui cherchent le repos dans le dépaysement.
Il y a ceux qui partent à l'aventure avec le goût du défi, pour se mesurer aux forces de la nature ou pour élargir le champ de l'action humaine.
Il y a ceux dont le voyage constitue le mode de vie, en tout ou en partie, parce qu'ils font partie de populations nomades.
Et il y a ceux qui voyagent tout simplement parce qu'il semble bien inscrit profondément dans la nature humaine de chercher à savoir ce qu'il y a ailleurs, que ce soit au-delà de la ligne d'horizon, à l'autre bout de sa ville ou dans la rue derrière chez soi.
Le voyageur de hasard n'a pas de destination particulière. Il n'a pas d'idée précise de sa destination. Il n'a pas vraiment de but. Il est mû uniquement par sa curiosité et par la pulsion de mettre un pied devant l'autre pour avancer. Au premier carrefour, ou au premier obstacle, ce sont sa curiosité et le hasard qui le guident et qui décident du choix de la direction qu'il va prendre s'il y a un choix à faire. Si c'était matériellement possible et faisable les mains dans les poches, on pourrait le voir partir de Tromsø pour arriver jusqu'à Johannesburg. Ou d'Anchorage jusqu'à Ushuaïa. Ou de Saint-Malo jusque Vladivostok - ou encore de Vladivostok jusqu'à Bombay. Ou même jusqu'à Hobart, Wellington ou peut-être, pourquoi pas, jusqu'à Concordia, en plein cœur de l'Antarctique. Il n'existe a priori aucune limite à sa curiosité et à son envie de savoir ce qu'il y a au-delà de la dernière frontière qu'il a atteinte. Il pourrait très bien prendre sur un coup de tête le train qui va de Moscou à Vladivostok, comme Blaise Cendrars l'aurait apparemment fait à dix-huit ans. Si le voyage intersidéral était devenu aussi banal que prendre le train ou le bus au vingt-et-unième siècle, il serait bien capable d'embarquer en fusée sur le même genre de coup de tête pour aller sur la Lune ou sur Mars, ou peut-être même plus loin encore. La seule question qu'il se pose au cours de ses pérégrinations, c'est : "Et si on va par là, où est-ce qu'on retombe ? Qu'est-ce qu'on va y trouver ? Qu'est-ce qu'il y a par là-bas ? Où ce chemin mène-t-il ?" C'est ce genre d'interrogation qui le fait bouger, qui le met en mouvement.
Sa seule contrainte, c'est qu'il existe inévitablement une limite matérielle au rayon que l'on peut explorer avec pour tout bagage ses mains dans ses poches, les vêtements que l'on a sur le dos, les quelques sous qui y traînent au fond d'une poche et éventuellement un sac à main ou un sac à dos avec un portefeuille, ses papiers en règle, les clés de son chez-soi, quelques mouchoirs en papier, un smartphone (époque oblige) et un stylo à bille. Et encore, le sac en question et tout son contenu sont en option. Peut-être, époque oblige, le smartphone sera-t-il glissé au fond d'une poche (qui en 2024 va encore où que ce soit sans son "précieux" ?) et quelques sous dans une autre avec ses clés. Et à part ça, on aura les vêtements qu'on porte, ses mains dans ses poches, sa tête pleine de rêves et l'envie de savoir où mènent les chemins et routes du monde. Ses clés pour rentrer chez soi quand le temps commencera à se faire long et la fatigue à se faire sentir. Quelques sous dans la poche pour prendre le bus si les jambes sont fatiguées ou pour faire le plein si le carburant vient à manquer dans le véhicule. Et le smartphone pour appeler au secours s'il arrive des bricoles.
Car, oui, on prend souvent le voyageur de hasard pour un aventurier, et on prend aussi l'aventurier pour un voyageur de hasard. Mais en réalité, nous le savons maintenant, ils sont en réalité très différents l'un de l'autre. Là où l'aventurier est très conscient des risques qu'il court et prépare minutieusement son voyage exploratoire pour les minimiser autant que faire se peut, le voyageur de hasard, lui - qui part droit devant lui spontanément et impulsivement sans la moindre préparation et avec tout au plus une connaissance très vague des risques qu'il pourrait courir - est sans doute inconscient, mais pas assez pour ne pas sentir au moins confusément quelque part au fond de lui que si jamais un jour il lui arrive des bricoles, il n'est pas du tout préparé pour y faire face et il aura tout de suite besoin du secours d'un entourage de bonne volonté - pour autant que l'entourage en question soit capable, sinon de le tirer d'embarras, du moins de limiter les dégâts... ce qui est loin d'être une certitude acquise. Et cela constitue une limitation supplémentaire à son rayon d'exploration.
Le voyageur de hasard est essentiellement rêveur, tête-en-l'air et inconscient. Il n'a pas forcément conscience de ses propres limites, ni non plus de celles de l'environnement qu'il explore. Mais il est curieux. Il a le même esprit explorateur que l'aventurier, mais sans la conscience des dangers de l'environnement et de ses propres limites, et sans toute la préparation qui va avec. Il ne prend pas la peine de se donner les moyens de sa politique ou de ses ambitions, il a la naïveté de croire qu'il suffit de se mettre en mouvement et de mettre un pied devant l'autre, immédiatement et tel qu'il est à ce moment-là, avec ses mains dans les poches et peut-être quelques sous et/ou un smartphone pour tout bagage, pour que la grande aventure commence et pour que tout arrive.
Tout cela limite de fait son rayon d'exploration à son environnement immédiat - n'est pas Blaise Cendrars qui veut... même si son fantasme ultime est bien de mettre un pied devant l'autre et d'avancer droit devant lui jusqu'à ce qu'il rencontre l'obstacle ultime qu'il ne pourra ni renverser, ni traverser, ni surmonter, ni contourner, ni saper non plus.
Mais par ailleurs, quel mal y a-t-il à vouloir explorer son environnement immédiat pour mieux le connaître ? Certainement aucun 🙂 tout comme il peut être intéressant de découvrir au hasard de ses pérégrinations ressources et buts d'excursion qu'il sera intéressant d'exploiter ou de revenir explorer plus avant à un moment ultérieur en étant mieux équipé... Parfois, le voyageur de hasard se révèle éclaireur malgré lui ! Et qui dit que certains rêves d'aventure ne sont pas nés des pérégrinations de voyageurs de hasard ?
Crédit image : © Maman Flo, billet "Tous les chemins" sur "Mon blog psycho"