Le progrès tue
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Le progrès tue
Que font les chrétiens observant que le monde est marqué par une technologie hyperpuissante, dénuée de toute limitation éthique, humaniste ?
Le groupe du mensuel « La décroissance », suite à la COP 21 publia en 2016 aux éditions Le pas de Côté « Le Progrès m’a tuer ».
Alors que partout, dans le climat du coronavirus, nous entendons dire : demain ne peut-être comme hier, il me semble important de lire (relire) cette suite de témoignages, d’appels à prendre les moyens pour que de réels changements se mettent en place. « L'agriculture chimique, écrit Pierre Thiesset, le développement des métropoles, l'accélération des transports, toute la croissance exponentielle de ces 150 dernières années n'aurait pu avoir lieu sans la dilapidation d'une quantité massive de combustibles fossiles ». Or, puisque l’on veut la relance de l’économie, il est presque certain que tout sera pire qu’avant. Doit-on reste silencieux ?
J’encourage la lecture de cette quarantaine de prises de paroles, car chaque témoin, à sa manière, pose les bonnes questions pour que le monde ne se soumette pas aux crises sanitaires, économiques et sociales. Et je me dis que si nous arrivions à créer un front commun pour lutter contre l’économisme mondial, nous obtiendrons gain de cause.
Un front commun ?
Mes contacts avec des libertaires des Pentes de la Croix-Rousse, par exemple, me fait dire que même si nous partageons les mêmes analyses, et menons le même combat, le fait de se recommander d’Église ferme de nombreuses portes. À un colloque organisé par Chrétiens et pic de pétrole, j’ai entendu objecter à un militant affirmant sa foi chrétienne : « ah, vous êtes catholiques, donc vous êtes chasseurs et de droite ! »
Les journalistes ou témoins de La décroissance sont souvent dans ce climat. John Michael Greer : « Pour comprendre les caractéristiques de la religion du progrès, il faut d'abord rappeler les circonstances qui lui ont donné vie. Au cours des XVIIIe et XIX6siècles, un grand nombre de personnes d'Europe et de la diaspora européenne ont jugé qu'ils ne pouvaient plus croire en la foi chrétienne de leurs ancêtres, mais ils ressentaient toujours les besoins émotionnels que satisfaisait le christianisme. La culture est autant sujette à la loi de l'offre et de la demande que l'économie et, par conséquent, la recherche d'un substitut au christianisme a rapidement conduit à la naissance de plusieurs religions séculières, comme le nationalisme, le marxisme et la religion du progrès.
Ce que cela implique, bien entendu, c'est qu'il existe une étroite correspondance entre la foi en Jésus-Christ et la foi dans le progrès, et les proximités sont en fait très profondes. Pour celui qui croit vraiment en la religion du progrès, le progrès est omnipotent, omniscient, totalement bénéfique, et son triomphe final est certain ; la confiance aveugle dans le progrès est la plus haute des vertus, et émettre un doute sur la puissance, la sagesse et la bonté du progrès est le plus terrible des péchés. La foi dans le progrès remplit les mêmes besoins affectifs que le christianisme satisfaisait jadis » (p. 221).
Et encore : « L’une des choses curieuses à observer à propos de foi religieuse, c’est que les gens qui sont sûrs de leur croyance ne passent généralement pas leur temps à essayer de la faire avaler aux autres. L’évangélisation frénétique, l’affirmation véhémente de l’infaillibilité de leur Église, la dénonciation furieuse des incroyants, toutes ces attitudes se retrouvent plutôt chez les personnes qui, dans leur for intérieur ne croient plus en la foi qu’ils affichent publiquement… (p. 225).
Alors, malgré ce mépris, cet antichristianisme, j’invite encore à lire Le progrès m’a tuer (ou tué) parce qu’ensemble, je suis persuadé que nous arriverions à obtenir que demain ne soit plus comme hier. Encore serait-il utile que pour obtenir ce front commun, les disciples du Christ soient unis entre eux. J’émettais ce désir dans ma page du 17 avril.
Du reste, dans Le Progrès m’as tuer, certains témoins reconnaissent la justesse de la pensée de l’Église, de sa doctrine sociale. C’est donc la marque qu’un dialogue et une action commune est possible. Page 150 : « Le développement ne résout pas les problèmes, il les aggrave. Les conséquences sociales, environnementales et énergétiques sont lourdes : la croissance économique irrationnelle se traduit par des émissions de polluants toxiques dans l'eau, la terre, l'air et la mer, la profusion de nouveaux dispositifs de guerre toujours plus puissants, le réchauffement climatique, la fonte inquiétante et rapide des calottes glaciaires, l'épuisement de l'énergie, une crise sanitaire pour les citoyens, bref, une planète dégradée pour les générations futures.
Les indicateurs de la crise environnementale sont clairement établis dans de multiples rapports scientifiques. Personne ne peut plus les ignorer. Au moment où ce texte est écrit, le Vatican, dans sa langue strictement diplomatique et édulcorée, publie une encyclique intitulée Laudato si'. Dans ce document, le pape François rapporte que le monde est devenu incapable d'absorber les effets du progrès économique, marqué par une technologie hyperpuissante, absolument dénuée de toute limitation éthique ou humaniste, dont les bénéficiaires se composent d'un petit groupe de grandes sociétés ».
Gustavo Esteva Figuerosa, page 141 : « Du fait qu'elle s'en démarquait franchement, l'encyclique du pape François Laudato si’ : “La sauvegarde de la maison commune”, mise en circulation le 18 juin, a immédiatement déclenché une intense controverse. “En défendant l'environnement, François accuse le capitalisme global” : c'est ainsi que le New York Times a intitulé, le 18 juin, une longue analyse sur l'encyclique. L'article comprend des commentaires élogieux, comme celui du président de la Banque mondiale, mais le ton général questionne et discrédite l'approche du pape en des termes que résume bien la posture de Robert Stavins, directeur du Programme d'économie de l'environnement de Harvard : “Je respecte l'appel du pape à l'action, mais cela ne correspond pas à la pensée et au travail d'analystes politiques éclairés du monde entier qui reconnaissent que l'on peut faire plus, plus rapidement et mieux si nous utilisons des leviers politiques fondés sur le marché.”
Dans l'influent Financial Times, l'influent Martin Wolf a publié le 23 juin un article qui semble répondre à l'encyclique : “Viser la Lune pour sauver une planète qui se réchauffe.” Pour lui, le chemin à suivre face aux problèmes écologiques abordés par le pape ne consiste pas à s'occuper de la pauvreté et de la justice sociale, ou à abandonner la prospérité de quelques-uns, mais à stimuler la prospérité et à impulser des innovations technologiques majeures, à l'image du programme Apollo. Il s'agit donc de viser la Lune et non pas d'accuser le capitalisme.
À l'opposé, Vandana Shiva a célébré sans réserve l'approche de l'encyclique : soutenabilité et justice sociale sont inséparables. Pour elle, l'encyclique montre clairement à quel point notre liberté et notre survie sont menacées. “En mettant la beauté, le bien-être et la joie de vivre en harmonie avec la nature au centre des préoccupations humaines, l'encyclique éveille notre humanité et notre conscience profondes. Être humain, ce n'est pas vénérer le "dieu de l'argent", les moyens technologiques ou le mythe du progrès, défini comme la conquête de la nature et des hommes. Être humain, c'est être profondément conscient de tous les êtres qui partagent avec nous cette magnifique et précieuse maison”.
La controverse ouverte par l'encyclique ne fait que commencer. Ce texte n'est pas un rideau de fumée. Il ne dénonce pas le péché pour absoudre le pécheur. Il ne se réduit pas à mettre le doigt sur la plaie pour balayer les urgences du jour sous le tapis paralysant du “changement climatique”. C'est un effort engagé pour ébranler, en utilisant à la fois l'émotion et les arguments, afin d'inciter à l'action. Et cette action ne se limite pas à remettre en cause les principaux responsables du désastre, les entreprises et les gouvernements, mais aussi tous ceux qui habitent la planète : elle exige de changer radicalement de mode de vie, ce qui est finalement le fond du problème, que n'abordera jamais la COP 21 ».
Ma conclusion
Dans l’acceptation de ne pas cacher la position de l’Église et d’en montrer la valeur, même au travers des diverses polémiques, je vois une possibilité de dialogue. Seulement, s’il ne faut pas laisser aux objecteurs de croissance viscéralement opposés à l’Église, l’initiative des débats, il convient, par des réalisations concrètes, de montrer ce dont sont capables les militants chrétiens fidèles à l’Évangile.
C’est en ce sens que je vois, dans chaque paroisse d’abord, puis ensuite au niveau du diocèse, la constitution de petits groupes mettant en évidence les changements possibles. Une fois pointée les possibles nouveaux modes de vie qu’ils soient pratiqués et que des révisions de vie en suivent l’évolution. Dans une paroisse, des assemblées regroupant plusieurs groupes peuvent rendre compte des changements accomplis, par exemple la mise en place d’une péréquation de revenus, l’organisation pour l’accueil de migrants, de jeunes mineurs isolés… Lire de nouveau ici.
Une Assemblée diocésaine pourra alors célébrer la communion des communautés locales à toute l’Église du Christ dans le sens de la protection de la maison commune, comme l’indique Laudato si’, sous le regard du Père.