

Qui décide vraiment en nous ?
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Qui décide vraiment en nous ?
Nous croyons prendre des décisions. En réalité, nous obéissons plus souvent que nous ne choisissons. Nous croyons peser le pour et le contre, alors que nous reproduisons — presque mécaniquement — des croyances anciennes, des élans émotionnels non filtrés, des réactions apprises, parfois même des scénarios absurdes. L’Analyse Transactionnelle appelle cela des « contaminations ». Le mot est bien choisi : ce qui devrait être un espace de discernement est envahi, parasité. Et cela fausse tout.
En théorie, nos décisions devraient engager trois voix intérieures, trois états du moi. Le Parent, l’Adulte, l’Enfant. Un trio qui, bien accordé, forme un comité de pilotage plutôt fiable. L’un veille à la responsabilité, l’autre vérifie si c’est faisable, le dernier donne le feu vert s’il y prend plaisir. Est-ce ma responsabilité ? En ai-je les moyens ? En ai-je envie ? Trois questions simples pour vérifier si la décision est vraiment la nôtre. On pourrait y ajouter une couche plus systémique, plus mature : est-ce éthique ? Quelles en sont les conséquences autour de moi ? Suis-je prêt à en assumer les effets ? Ces six questions devraient précéder toute décision un peu sérieuse. Mais soyons lucides : la plupart du temps, elles sont court-circuitées.
Pourquoi ? Parce que l’Adulte, ce supposé arbitre rationnel, est souvent contaminé. Il ne voit plus clair. Il croit choisir, mais il exécute. Il croit évaluer, mais il obéit. Quand le Parent envahit l’Adulte, ce sont les injonctions qui prennent les commandes. Les “sois fort”, “fais plaisir”, “sois parfait”, “dépêche-toi”, “sois conforme” , « fais des efforts » s’infiltrent dans la réflexion et la transforment en rituel de soumission. On décide alors comme un bon soldat : sans discuter. On s’auto-persécute et, par ricochet, on persécute les autres. L’Adulte n’est plus un observateur lucide, il devient un fonctionnaire du passé.
Et quand c’est l’Enfant qui contamine l’Adulte, l’ambiance change. Ce n’est plus l’ordre, c’est la panique, ou l’euphorie. L’Adulte se laisse emporter par les peurs d’hier, les manques non digérés, les rêves irréalistes. Il fait des achats impulsifs, il fuit ou attaque à la moindre contrariété, il confond urgence émotionnelle et besoin réel. C’est l’Enfant blessé qui veut compenser — et l’Adulte, impuissant, qui rationalise ses caprices. Les réseaux sociaux, les pubs, les notifications, les influenceurs savent parfaitement jouer cette musique-là. Ils ne s’adressent pas à ton Adulte. Ils visent plus bas.
Et puis, il y a ce qu’on pourrait appeler la dictature du raisonnable. L’Adulte, non pas contaminé, mais hypertrophié. Trop présent, trop analytique, trop déconnecté. Il ne laisse plus d’espace ni à la chaleur du Parent nourricier ni à la fraîcheur de l’Enfant libre. Il devient sec, fonctionnel, incapable d’aimer ou d’imaginer. Vous lui demandez : « Tu m’aimes ? » Il répond : « Quels sont les critères pour définir l’amour ? » Ce n’est pas une blague, c’est un drame.
Dans les cas extrêmes, un état du moi est totalement évacué. Il n’est plus là. L’Enfant est gelé, le Parent effacé, l’Adulte dissous. Ces cas-là relèvent de l’accompagnement thérapeutique. Ce sont les gens qui ne peuvent plus vivre en société sans se nuire ou nuire aux autres.
Mais pour nous, qui ne sommes ni fous ni saints, il reste une voie possible : repérer ces contaminations, les nommer, les déjouer. C’est ce que je vous propose dans le prochain billet. Non pas pour devenir parfait, mais pour redevenir un peu plus libres.

