Un mur lointain
On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy9 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
Un mur lointain
Chapitre 4
Un gris épave de croiseur de l'armée française avait pris place et une pièce naissait. Du rouge carmin descendait en ligne droite, et créait un mur lointain, associé au noir. Une dune bleutée me touchait par sa beauté azur et les transparences me permettaient de voir derrière le sujet.
Des éclats de silence rose fleur et un soleil arborescent, m'éblouissaient. Au centre des signes cabalistiques que je ne pouvais déchiffrer, un tourbillon d'idées venu d'un pays inconnu. Une flûte de Pan me tranquillisait en jouant une musique douce et souterraine, je me laissais envahir les sens et j'étais bien. Cependant, l'ensemble de la pièce semblait fragile et l'instant refusa de se figer.
Aussi turbulent qu'un vent tournant, la transformation n'était pas terminée. Un rond gris profond venait d'apparaître en hublot et les lettres ne voulaient pas se stabiliser, appelant les nuages et la terreur de mon for intérieur. Était-ce ma fin ?
— Non, nous t'apportons un nouveau regard, ouvre une porte !
Comment choisir et qu'allais-je y voir ?
Elle était grave, cette voix d'outre-tombe. Elle m'effrayait même si son ton se voulait rassurant. Des nuits encore elle me hante...
Extrême droite, centre ou gauche, laquelle choisir ?
Si cela avait été un parti politique, mon choix aurait été plus facile. Mais là, je n'avais aucun repère et je savais qu'après cette vision, du fait de ce que j'aurais vu, l'irrémédiable serait inscrit dans mes viscères.
Celle près du rond semblait plus tranquille, détachée des autres, je l'ouvris...
Aspiré, tel fut mon sentiment, un moment d'absence et puis une phase d'éveil. Je sentais mon corps renaître, un peu comme si j'avais gardé une position longtemps et que mes membres engourdis se ré-alimentaient en oxygène, que toute la circulation soit de nouveau normal. Je vivais, j'avais un corps et cette certitude soudaine de ne jamais l'avoir perdu. Pourtant, où étais-je ?
Le ciel bleu m'asphyxiait de plaisir et de chaleur. J'aurais voulu fixer le soleil, mais n'ayant pas de lunettes et aucun désir particulier de devenir aveugle, je m'abstins de ce caprice. Terrifié par l'espace qui m'entourait, j'oubliais de savoir si j'étais nu ou habillé. Seulement inquiet de trouver un abri, un téléphone et de quoi remplir mon estomac qui criait famine.
De prime abord, le lieu semblait désert et j'étais si loin de ma ville et de son quartier en feu. Cependant la flamme de l'astre qui illumine notre planète depuis de longues années me brûlait le gosier, j'avais soif d'eau et de reconnaissance.
Je fouillais mes poches, pas de monnaie, pas de carte bleue non plus. Je m'avançais de plus en plus sur les sentiers d’une galère naissante. Que faire à l'étranger, sans portefeuille et sans argent ?
Ce lieu n'était pas la France, j'avais ouvert la mauvaise porte, tiré le mauvais numéro. Les nombreux reportages que j'avais pu voir à la télévision, avant de la jeter, étaient des documentaires sur l'Afrique, et il me semblait bien y être tombé.
Comment ?
Je l'ignore encore...
L'hexagone est un pays tempéré et sans espace démesuré et désertique. Je n'avais pas perdu la tête et je cherchais une âme qui traînât dans le coin, juste pour savoir si la parole était restée, savoir si je n'étais pas devenu muet. Parfois l'envie de crier est si forte, si tenace en votre sein, qu'il vous rend aphone. C'est cela la vraie douleur, ne pas pouvoir s'exprimer...
Le ciel avait l'arrogance d'un bleu sans nuage, je m'y serais bien promené si je n'avais pas eu tant de problème de réalité. Comment survivre, ici ?
Dans cet environnement, je me sentais petit grain de sable de passage, remué par de vagues larmes et perdu dans l'immensité de l'Océan.
Je devais joindre Agnès et espérer qu'elle soit à la maison, à boire un thé ou discuter de ma disparition. Depuis combien de temps ?
Une heure ?
Un pleur ?
Des années ?
Mon errance était un mystère de la nature et je n'avais pas d'absence de mémoire, car je connaissais l'adresse de ma villégiature passée : 12 Place du commerce 44000 Nantes. Le centre de la cité des Ducs de Bretagne, mais là n'était pas la question.
Je n'étais pas, non plus, en quête d'identité. Mon patronyme était connu, je devais juste répondre au quotidien et me nourrir d'autre chose que de points d'interrogations. Sur ce dernier point, j'étais servi, comblé et j'aurais voulu partager mes ennuis. Évidemment ce type de don était impossible car je ne trouvais pas d'ânes sur mon chemin.
Transformé en peau de chagrin, je marchais vers ma résurrection. Les rayons glissaient sur ma peau, je devais faire attention à l'insolation et trouver un puits.
De l'eau, une source aussi fine, mais autre chose que ce tas de cailloux qui inspirent la misère et me glacent les artères. Enfin sorti du labyrinthe, je cherchais de l'ombre, un abri
pour m'assoupir et éviter le pire.
Suspendu dans le temps, je fixais le soleil, quelques secondes et ainsi j'évaluais l'heure. Deux ou trois heures avant que je ne crie...
Je marchais avide de retrouver un chemin, de l'herbe et des fleurs. Petit instant de folie passagère, aussi légère d'une mouche tsé-tsé. Devant moi, les seules caresses à venir n'étaient que celles des vents volages, prisonniers du temps. Voilà où se trouvait ma liberté d'homme moderne, je savais que j'avais besoin d'aide, d'une fée, d'un chien ou d'autres dauphins.
Pas de miracle, aucune illusion, pas plus de mirages ou de mariages en vue. Je marchais, et mes pieds s'usaient, pas de peau. Face à moi l'étendue sauvage était si lointaine que même l'horizon semblait m'avoir abandonné. À bout de force, mais nullement à bout de souffle, j'inventais ma vie et j'oubliais ainsi peines et misères. Pas à pas, ma route se traçait, ne laissant derrière qu'une poussière sans sillage. Toutes traces de mon passage s'effaçaient, comme si je n'avais jamais existé.
La solitude confirme ou efface les certitudes. Moi, et vous devez en convenir, je ne comprenais plus rien. Hier encore, si je devais parler au passé, j'étais un homme comblé bien inscrit sur le registre du commerce et vivant pleinement son temps présent. Aujourd'hui, je navigue hors de mes habitudes, et je m'en plaignais...
Pourtant le paysage qui m'entourait était divin, des rochers aux côtes saillantes m'accueillaient, ainsi que les reflets de la chaleur ambiante, aveuglante. Putain de soif, j'avais mal au gosier et je marchais. La trachée en feu, je cherchais une petite rivière, un arbre. Un cactus au goût amer aurait fait l'affaire à défaut d'eau fraîche s'écoulant d'une montagne.
Pas une orange à se mettre sous la langue, apprécier sa saveur et reprendre goût à la vie. J'avançais sans boussole, mais vers l'ouest avide d'océan. J'aurais aimé entendre le chant d'un oiseau marin, une sterne ou une mouette. Cela aurait été chouette, mais je marchais sans offense vers ma délivrance, cette falaise épaisse qui s'élevait et entraînait ma peur d'y trouver ma tombe.
Et là, surprise ! La nuit n'avait pas encore offert son voile d'étoiles à contempler que je tombais nez à nez au pied d'une antiquité, d'une beauté aussi suffocante qu'exquise. Non, ce n'était pas les marquises, si chères au cœur de Monsieur Brel, c'était autre chose. Un monument taillé dans la pierre, une trace de civilisation défunte. Enfin, je croyais...
Imaginez une falaise, haute et fière. Sa roche dure a des parois abruptes et lisses ou d'autres couvertes d'aspérités. Rien d'extraordinaire que de l'ordinaire, elle recouvre la terre. Seulement voilà, cachée dans ces flancs de sienne brûlée, la falaise abrite un monument. Une blessure esthétique du passé, taillée par des esclaves de Romains.
Cette gorge révèle son trésor, comme une parcelle d'intimité ou un calcul, pour ne pas montrer ses richesses aux prédateurs dépouilleurs d'illusions et de fortunes. Je n'avais jamais entendu parler de ce palais sculpté. Sa façade d'architecture largement inspirée de l'influence
antique est faite de colonnes qui supportent un triangle de pierre, qui, lui, soutient des gargouilles enfermées dans trois kiosques.
Le trois me revenait, insolent, en mémoire. Était-ce un chiffre clef de mon destin ?
La présence de l'homme était manifeste, peu effrayé par les cinq colonnes d'argile, je me frayai un chemin et entrai dans l'œil de la cité. Muni d'un sentiment étrange, celui de comprendre l'harmonie du passé et surtout d'y être en total décalage. Où trouverai-je un distributeur de billets dans cette vieille cité ?
Heureusement, l'entrée ne semblait pas être gardée. Je pénétrai dans ce cœur d'histoire, en compagnie d'une gorge sèche et d'un estomac serré. Sensation aussi indescriptible qu’horrible...
Et j'oubliai totalement que je n'avais aucune devise sur moi, ce qui par les temps qui courent, où la solidarité demande de tels efforts de générosité... Convenez-en, je me mettais en danger, le diagnostic de vie était engagé...
Le sourire me revint en entendant des voix, la vie, une ville. Très vite, il s'effaça, tellement le brouhaha ambiant et le décalage était effrayant. Des toges, des chars et des chevaux, et cette odeur nauséabonde, excréments jetés à même les pavés. L'urine, impure, me défiait et me donnait l'envie de vomir. Cependant, ma faim, ma soif, s'en étaient allées comme un instant de vérité. Je vivais dans un tableau qui m'était étranger, perdu. De l'ordre, de l'ordre, voilà ce que je voulais, m'éclaircir les idées.
Curieux voyage assassin de certitude, je venais de reculer de combien d'années ?
Cent ans ?
Mille ans ?
Je boudais le plaisir de me savoir sorti du deuxième millénaire, pour moi, je venais de pénétrer en enfer. Le grand ordonnateur du temps devait avoir sa montre en panne, car il est sûr que je ne vivais plus à la bonne époque. Et comment allais-je faire pour retrouver la paix au sein de mon ménage ?
Je devais mettre de l'ordre, m'arrêter, et respirer.
Voir, contempler, et cesser de me plaindre. Après tout, si j'avais une fuite de perception, un plombier viendrait la réparer. Gageons qu'il n'y est pas un enfant en classe au lycée de ma femme et tout ira bien, je retrouverais mes planches à dessin et les gaz d'échappement. Ainsi va la vie folle et égoïste des humains de mon siècle. Je voulais replonger dans ma source d'intimité.
Là, j'avais la berlue. Et je ne comprenais rien aux langues exercées près de moi. Ce devait être de l'étrusque ou une autre ethnie. Un langage hors de ma portée, aux ondes indescriptibles. Je m'interrogeais, pourquoi avons-nous autant de langages sur Terre ?
Pour vaincre l'ennui, créer de la diversité et rendre la vie plus rigolote, moins austère.
Je me moquais de ces gens en pleine campagne qui parlaient leur patois. Me sentant si fort d'appartenir à la majorité citadine. Or là, à l'évidence, j'étais isolé. Pas beaucoup de Français en pantalons courts et chemise rayée.
Je profitai de l'agitation du jour pour me mettre à l'abri de regards trop curieux. Un escalier me permettait de m'isoler tout en gardant une vision acceptable sur l'intérieur de cette ville de pierre. Des galeries fantasques et gothiques permettaient à un air frais de circuler, ce site devait être un haut lieu du commerce.
Une plaque tournante de la société, tout ce monde qui s'agitait me faisait penser qu'ici il devait y avoir le plein emploi. Pas de mendicité, juste de l'activité et des voix. Une musique particulière qui maintenant nourrit mes rêves. Une charrette pleine de fruits venait de passer, j'aurais voulu voler et tout manger. Mais je n'étais pas une pie ou un oiseau-rat, j'étais toujours un homme en sueur.
Stupeur, une pastèque verte et jaune me tenait en haleine. Imaginez une baleine qui ouvre sa gueule et aspire des kilos de plancton, cherchant juste à se rassasier pour ne pas couler. Ne demandez pas pourquoi j'avais cette image, j'imagine que ce devait être une comparaison. Moi, je devais résister et inutile de dire que je n'étais pas Jean Moulin.
J'attendais que la pénombre s'installe pour me glisser dans ces allées que je devinais aussi nombreuses que dangereuses. En attendant, je patientais. Et pour ce faire, je regardais vers le décor extérieur. La façade était percée, peut-être perse. Une fenêtre sans vitre me permettait d'ouvrir mon champ de regard hors du cadre. Situé à la hauteur des premiers nuages, je les voyais bouger et je demandais qu'il pleuve.
Je priais, et devinez quoi, pour une fois mon vœu fut exaucé. Premier miracle qui atteignait mes certitudes, nous étions observés, mais par qui ?
Voilà que je voulais savoir qui était celui qui tirait sur les ficelles. Je me sentais pantin, marionnette à fils, petit humain ne contrôlant plus rien à son destin. Devant moi, j'observais en tendant les mains pour recevoir, au creux de mon calice de peau, un peu de réconfort et de force pour poursuivre ma soirée. Impressionné par cette pluie torrentielle qui mouillait cette terre de sienne brûlée, la couleur de cette vaste étendue de sable, mer de nos prés.
Quel plaisir de se sentir revivre ? Solitaire, pion, sans aucun doute, mais aussi, libre de penser...
J'attendais cette heure entre chien et loup, le crépuscule, pour me faufiler dans la pénombre de ses rues serpentins, aussi habile et invisible qu'un serpoule. Dehors, le soleil fidèle à ses habitudes installait sa magie, l'horizon se dégradait, jaune, orange et extraits de mauves, fuyants et pales, rehaussant le noir de geai des monuments immuables.
Aussi réelles qu'une vision, des colonnes gigantesques, et magnifiques, assumaient leur destin, celui de défier le temps et d'impressionner humains et animaux migrateurs. Démonstration de puissance et d'esthétisme, cette civilisation avait de la grandeur et sans aucun doute de la décadence...
Une mosaïque interpellait mon regard. Du lieu où je me cachais, je voyais tout l'espace et cette volonté de construire. Des escaliers se trouvaient suspendus entre terre et sable, sous l'arche d'un aqueduc flambant neuf, une laque pourpre m'ensorcelait et m'invitait dans cet univers de particules de couleur si particulière.
J'oubliai un instant mon exil, ayant trouvé un royaume enchanteur. Malgré la pluie, une pellicule de sienne brute recouvrait peau et vêtements. J'aurais voulu un bain, et de la mousse, me raser et sombrer dans le sommeil profond, le réparateur. Puis sentir sa présence, et l'écouter parler. Là, je n'avais que le silence de l'amorce d'une nuit profonde et terrifiante. Cette terre sentait l’hyène et le chacal...
Je fixais cette porte de bronze, aux motifs de fer à cheval. Qui avait-il derrière ce décor grandiose ?
Or ?
Tombeau ?
Ma curiosité maladive m'entraînait sur ce chemin de traverse et j'allais dans les rues, voir si je pouvais me fondre dans la masse, devenir Ninja d'un soir. La ville avait repris ses esprits, il ne restait dans son ventre que des oiseaux de nuit. Les marches de pierres descendues, je me trouvais à terre et à pied.
Je m'approchais de l'objet sujet de mes questions, et la poussait. La porte s'ouvrit sans un bruit, elle m'invitait à découvrir ses secrets. J'entrais dans le corps d'une place ronde, en amphithéâtre. Admirant les formes et regrettant l'absence de spectacle, toute mon attention fut attirée par le centre, une chaise de roi ou de religieux y siégeait. La contamination de la civilisation par le biais d'orateurs talentueux avait commencé.
Ce lieu était aussi étrange que superbe, de nombreuses colonnes doriques soutenaient des parapets et abritaient des averses, qui sont ici, plus rares que bronze et or. J'avais l'impression d'être perdu au cœur d'un château et je découvrais les chameaux accrochés aux anneaux du mur d'en face.
Immobile, mais inquiet, je décidais d'aller plus loin dans mon exploration et de trouver un repas. Des voies, j'en avais le choix, des passages j'en voyais plus que mes doigts de pieds et de mains associés. Je courais vers mon but et tombais sur un golgotte : un être extrême barbu et blême, qu'il me semblait avoir déjà vu quelque part. Persuadé de le reconnaître, je souriais...
Lui me parlait, une salamandre sur l'épaule :
— Camj Depic pacam zapj vemalg valz cimal piz pacam damalg vedo vebed Bedal pjz bamava totoalpul voz Bava dez ditam gaz pacam ital tovud.
Je répondais d'un air entendu :
— Rip da du da du da du-va da da dit dip bah !
En fait, je ne savais pas d'où provenait cet air de Louis Amstrong et je voulais me
mettre sous terre, tentative avortée car je n'avais pas de pelle à ma portée. Mais le plus surprenant arriva juste après, avant que l'homme qui possédait ce faciès qui ne m'était pas inconnu pu reparler, je m'entendais parler ainsi :
— brekkekekekex koax koax !
Et là, plus rien...
Enfin si, je devenais léger, comme touché par la grâce, et je m'élevais dans les airs. Je quittais ce lieu et mon corps redevenait sensible, aussi sensible qu'une clef de sol. Perte de contrôle ou perte de conscience, je me réveillais dans un nid de roses blanches, et je versais une larme de sang. J'avais une envie de fraises suaves, mais rien ne me poussait à croire que j'allais en manger. Tous les caprices ne peuvent pas être comblés...
Cependant je me sentais en sécurité. J'aurais tout donné pour que ma mémoire soit en panne. Non que j'aie vécu des sévices, mais un réel supplice de ce syndrome de perte d'identité, et cela sans abus d'hydromel. Irréelle devant moi se tenait, amusée, la salamandre de l'homme au langage incompréhensible et à la toge blanche. Ses écailles brillaient, ainsi que ses yeux de malice et d'intelligence. Je reconnus la voix, celle d'outre-tombe, dès qu'elle parla :
— Tu voulais savoir, tu as vu, non ?
D'un côté oui, j'avais ouvert des portes, voyagé et pénétré un monde d'une beauté surprenante. Mais de l'autre côté, sur l'autre rive, j'étais toujours dans ce piège hors du temps, et moi tout ce que je voulais : c'était des nouvelles de ma femme !
La bête ignifuge me dévisageait. Son regard de reptile acariâtre entrait dans mes veines, courait dans mon cœur. J'avais peur, et des croyances aussi anciennes que souterraines me parlaient de l'enfer, de ses flammes visibles sur le dos de cet animal flamboyant. Oh! je n'étais pas fier et j'aurais pu pisser au lit. Mais, allez comprendre pourquoi, je me sentais protégé.
J'avais entendu parler de cette croyance d'ange gardien, qui, votre vie durant -et je m'appelais ainsi- vous protège. Ces êtres non visibles chassent les mauvais démons qui vous entourent. La sorcellerie m'étant totalement inconnue et les seuls monstres que je connaissais étant ceux des peuples des mers, ceux qui vivent dans des fosses marines, et qui possèdent mille pouvoirs pour survivre dans un milieu si hostile, je ne savais plus si je n'étais pas tout simplement débile puisque je n'étais pas mort, et que je pensais encore...
— alutorliuk ?
Alors là non, si je n'ai pas de traduction comment je vais lui parler à cette salamandre, et je n'eus pas le temps de répondre, qu'elle avait déjà répondu au problème.
— Cette expérience vous a plu ?
Ben, pas vraiment...
Et je ne voulais pas vexer l'animal aux écailles d'ambre couleur framboise prêtes à flamber. Je résume la situation, depuis un laps de temps que je ne saurais évaluer, j'ai une
femme prise en otage et moi je voyage sans filet, entre la vie et la mort.
Ce reptile d'océan me donnait vertiges et migraines, j'ignorais son prestige au sein de tribus anciennes, sa langue avait des reflets de diable, et moi des hauts le cœur. J'aurais donné ma place à n'importe qui sans exigence particulière, pas besoin de carte d'invalide, ni vermeil ou d'être une femme enceinte. Rien, je me sentais doué pour le partage.
Et maintenant que j'avais quitté l'enceinte de sable, que je m'étais égaré dans ce nid de fleur, aussi doux que sublime, je demandais l'heure à mon interlocuteur.
La salamandre riait de tout son soûl, cette question lui semblait si saugrenue :
— L'heure ?
Je n'avais pas osé prolonger mon questionnement, l'heure, la date, l'année, tout ce qui me permettrait de retrouver un peu de stabilité, une liane pour retrouver mon chemin et mon pyjama beige. Un taxi !
— Tu n'imagines pas ta chance.
De la quoi ?
Chance, mais si j'avais fait deux mètres de plus, je lui cassais la gueule. Euh! peut-être pas, il a de trop grosses dents et la langue bien pendue. Le risque serait trop grand. De la chance, un comble, je sombre dans le néant, ma voiture est foutue, et je suis aux portes de l'enfer, sans comprendre pourquoi ?
Et ce lézard de pacotille me parle de quoi !
— De chance !
Oh la là ! J’oubliais qu'il perce mes pensées, et que je n'ai aucun secret. Face à l'excroissance globuleuse de ses yeux, je dois me faire une raison et être aussi vide qu'une huître plate. Voilà à quoi je voulais ressembler : à un mollusque, pour ne pas finir en brochette, même si je devais être relevé par des épices fines de coucous, certain d'amuser plus d'un ventre. La situation ne manquait pas de piquant, et l'aura bleue fumante qui se dégageait du dos de mon interlocuteur me le rappelait, sans cesse.
Je préférais la petite sylphide, Tournesol et son oiseau-lyre.
— Tu as ouvert une porte, tu as vu le défi du temps.
Oui, et alors ? Je n'avais rien demandé à personne, moi !
— As-tu saisi le message ?
Que pouvais-je dire d'autre que :
— Non !
Là, une fleur a retrouvé ses épines, une petite piqûre de réalité me rappelait ma présence futile au sein de l'univers.
— Aie !
— Rassuré ?
Faut-il souffrir dans sa chair pour se sentir vivre ?
Quel message, je ne suis pas Champollion, moi !
Navré d'être entraîné dans un piège, aux allures de merveille et aux épines réelles, je ne pouvais pas réfléchir. À cet instant, la salamandre alluma ses yeux, un tourbillon arc-en- ciel, identique à l'évacuation de l'eau dans un siphon non bouché, fit l'effet inverse : la salle aux trois portes réapparut. J'avais ouvert celle de droite et je m'étais retrouvé dans ce vaste espace désertique où l'herbe est une espèce en voie de disparition. J'étais effrayé.
Un rideau de traits rouge carmin voilait l'accès aux portes, la salamandre devint un typhon bleu. Le mur de geai ne m'invitait guère à me déplacer vers ces sorties supposées. Transi d'effroi, je me tenais droit, sans voix, sans chemin et en conservant un passé. Quand des fleurs d'oranger piquèrent la brique, et me brûlèrent la peau, comme si j'étais resté dix heures exposé au soleil, j'avais mal et j'implorais le ciel de me laisser vivre. Respirer, me baigner, aller danser et courir après les chiens, les chats, les femmes aussi...
Tout mais pas ouvrir une porte et m'offrir un voyage gratuit en parfait décalage avec mes notions de temporalité. Troublé, j'attendais sans bouger un seul cheveu que les couleurs cessent d'éclater, et qu'elles se stabilisent. J'avais une soif de concret...
— Veux-tu sortir ?
Bien sûr que oui, jamais je n'aurais imaginé autant désirer mon quotidien, et la présence des miens. Depuis six mois, je devais téléphoner à mes parents, les inviter à dîner, leur parler de projets, les rassurer sur mon avenir, oublier mes doutes, et procréer. Donner sang, œil et nom, créer autre chose que du flan, pistache ou caramel, procréer...
— Ouvre une porte !
C'est pire que l'armée ici. Laquelle ? Je ne veux pas retourner me cogner au ventre de l'icône ou sombrer dans un monde de licornes, je ne suis pas un héros. Je n'ai jamais fait la guerre, et en tout bien tout honneur, je trouve idiot de se battre. J'aime juste que ma main ne tremble pas quand je dessine la vie.
J'avais le sentiment d'être cet oiseau en cage et je savais que seuls les perroquets cherchent la liberté. Je me souviens de ces gris du Gabon, un couple de chanteur néophyte, mais pas inoffensif, leurs becs avaient du mordant. Les barreaux de la cage, tant qu'ils
étaient deux, inséparables, ils les supportaient en s'égosillant de l'aube au crépuscule. Et un jour de brume, l'un des deux, mâle ou femelle, s'échappa, laissant l'autre dans son mal solitaire. Oh! il chantait toujours. Le matin, il ouvrait la grille et volait dans la maison, se posant allègrement sur épaule ou tête d'humains. Puis, un jour, il fit son dernier vol par un froid d'hiver. Sa dernière conquête, rejoindre la liberté de l'espace et mourir...
J'avais beau l'appeler, lui dire qu'il était fou, que ses ailes allaient geler, son cœur s'arrêter, rien n'y fit. Un dernier chant, insolent, dans les arbres avoisinants et il a rejoint sa compagne quelque part dans un monde invisible...
Moi, j'étais confronté à une néguentropie, je devais agir, tout balayer, remettre de l'ordre dans mes pensées, agir. Je tirai sur la poignée...