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Prologue. La théorie des sardines

Prologue. La théorie des sardines

Published Aug 11, 2024 Updated Aug 14, 2024 New Romance
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Prologue. La théorie des sardines

Séléné

(8 septembre 2023)

— Aaaaarrh ! Je vais être en retard !

Les mains moites et crispées sur le volant, je peste après ce satané feu rouge qui me nargue. La journée a démarré sur les chapeaux de roues, par une panne de réveil. Ça m’apprendra à geeker jusqu’à pas d’heure.

Je suis déjà en train de me faire le film du désastre à venir. Le train va partir sans moi, j’arriverai trop tard, je ne pourrai pas finir mon inscription en licence d’histoire de l’art et archéologie. Plus de fac, plus d’avenir, plus rien. Ma vie sera foutue.

STOP ! Du calme ! Inutile de se monter le bourrichon de la sorte, tout ira bien. La SNCF n’est pas connue pour sa ponctualité.

— Tu la bouges ta bagnole, vieux con, ou tu veux que je te pousse ? hurlé-je en klaxonnant le mou de la pédale de devant qui n’avance pas, alors que le feu est passé au vert.

La LEM, ça vous parle ? La fameuse Loi de l’Emmerdement Maximum. Et bien, je suis en plein dedans ! Le karma joue avec mes nerfs et m’a expédié direct en haut du cocotier de bon matin. Mais tout n’est pas foutu, je profite d’avoir de la visibilité — et des chevaux sous le capot de mon Abarth 500, pour doubler la tortue et je fonce vers la gare au mépris du Code de la route.

Je réussis finalement à être à l’heure, sans pour autant redescendre de mon arbre. Stressée à l’idée de retourner à la fac, je trépigne et gesticule sur le quai. Et quand un signal sonore annonce l’arrivée du train, le doute s’empare de moi. Est-ce que j’ai pris mon abonnement de train ? Je fouille frénétiquement dans mon sac. Rien. Je n’ai pas fait ça tout de même ? Je ne l’ai pas laissé à la maison ? Vingt dieux ! Cette journée est un véritable enfer.

— Putain, merde, chier, con !

Et voilà, tout de suite, ça va mieux. Certes, le florilège de grossièretés n’était pas une obligation, mais il n’y a pas mort d’homme non plus, quoi qu’ait l’air d’en penser le bonhomme près de moi qui me fustige du regard. Il ne va quand même pas me chier une pendule à treize coups pour quelques insultes ?

D’un œil sombre, je le dissuade de formuler le moindre commentaire déplaisant quant à mon éducation, avant de m’accroupir pour vider mon sac par terre. J’en retourne tout le contenu jusqu’à mettre la main sur le précieux Graal. Alléluia ! Je soupire de soulagement et ramasse mes affaires à la hâte, heureuse d’éviter une prune pour non-présentation d’un titre de transport qui, soit dit en passant, coûte déjà bien assez cher comme ça.

Si j’ai opté pour ce mode de déplacement, c’est seulement pour des questions de commodité et non par amour du genre humain. Habitant à cinquante kilomètres de la fac, recourir aux transports en commun est plus simple que d’aller m’engluer dans les embouteillages de la rocade bordelaise, à moins d’un gros pépin ou d’une grève.

À cette heure-ci, le train est loin d’être bondé et je trouve même un siège isolé près d’une fenêtre. Je me réfugie aussitôt dans ma bulle pour amorcer la phase détente. Un petit exercice de respiration me permet de faire redescendre la tension. Les écouteurs vissés dans les oreilles, je lance ma playlist sur Spotify contenant les titres de Mademoiselle K., véritable papesse du rock français à mes yeux. Morning I wait for the evening to come… But it never comes. Les premières notes de Morning Song résonnent et je me laisse porter par la musique qui apaise mes nerfs en pelote.

Après trois quarts d’heure de voyage, me voici rendue à la gare de Bordeaux Saint-Jean. Je traverse le hall à grands pas pour aller au guichet du service des transports urbains et quelques minutes plus tard, je suis l’heureuse détentrice d’un pass estampillé Transports Bordeaux Métropole. Youpi, je vais pouvoir profiter des trajets façon sardines en boîte avec des gens qui puent et devenir une potentielle proie pour les frotteurs. Au vu des actualités quotidiennes, j’exagère à peine.

Je jette un rapide coup d’œil au plan du réseau TBM. Pour rallier la fac, je devrai prendre un bus, direction la Victoire, puis le tram jusqu’au campus. Environ quarante-cinq minutes de voyage. À multiplier par deux, cinq jours par semaine. Quelque chose me dit que je vais pouvoir lire un sacré paquet de livres cette année.

Je localise sans peine l’arrêt de bus grâce à l’attroupement de bipèdes nerveux qui attire mon attention. Certains semblent prêts à tout pour obtenir une place dans le prochain bus, quitte à vendre papa et maman ou bien à recourir à la délation pour éliminer les fraudeurs. C’est moche. Je préfère patienter à l’écart, pas vraiment pressée de me mêler au troupeau.

Sentant un regard sur moi, je me retourne et fais face à un grand brun, nimbé d’une aura mystérieuse, qui me scrute avec insistance, une expression impassible sur le visage. Fidèle à moi-même, je rougis et détourne les yeux, aussi intimidée qu’une pucelle qui s’apprête à voir le loup. Bon sang, que j’ai horreur de ça ! Depuis toujours, mon corps a la fâcheuse tendance à retranscrire mes émotions sans détour. Autant dire que je ne suis pas vraiment la reine du bluff.

Bien entendu, lorsque le bus arrive, il est déjà plein à craquer, et les gens autour de moi se précipitent pour monter dedans en se bousculant et en se braillant dessus. Et ça se revendique peuple civilisé… Homo sapiens de mes deux !

Je passe mon tour ce coup-ci, je ne suis pas à quelques minutes près. Nous ne sommes plus qu’une poignée de personnes à patienter. Et je perçois toujours ce regard sur moi. Pour autant, je n’ose pas me retourner une nouvelle fois, au risque de m’empourprer à nouveau. J’ai déjà bien assez chaud en plein soleil et, si je quitte ma veste, je vais cuire avec ma peau de béluga. Je saisis donc le calepin dans mon sac et l’utilise comme éventail pour me rafraîchir un peu. Les minutes passent et enfin le bus suivant arrive. Je scanne mon pass sur la badgeuse en saluant le chauffeur, qui paraît étonné qu’un humain lui adresse la parole, et je file m’asseoir à l’arrière.

En descendant à l’arrêt Victoire, je suis à la fois intimidée et contrariée. Il y avait de la place partout, mais le brun s’est planté sur le siège pile en face du mien. J’ai senti son regard sur moi pendant les dix minutes de trajet et je n’ai pas osé lever le nez de mon téléphone. Loin d’être effrayée — j’ai toute confiance en mes capacités à me défendre, j’ai l’impression que ma personne a éveillé sa curiosité, mettant à mal ma tentative de me fondre dans la masse. Plutôt discrète, avec un physique tout ce qui a de plus commun, je ne saisis pas ce qui peut bien l’intriguer à ce point chez moi.

Je grimpe dans le tram et me faufile dans un coin. Le mystérieux inconnu est toujours là, se tenant à peine à deux mètres, ses yeux rivés sur moi. Qu’est-ce qui lui prend de me mater ainsi, il veut ma photo ou quoi ? Ma vigilance m’envoie des signaux d’alerte. La situation devient flippante et je commence à m’agiter intérieurement.

Première option : c’est peut-être un psychopathe. S’il descend au même arrêt que moi, j’ai intérêt à rester sur mes gardes, des fois qu’il cherche à me suivre voire même à m’agresser. On ne trouve plus que ça dans les médias désormais, des « faits divers » comme les appellent les journalistes, et l’idée que l’on puisse potentiellement parler de moi, enfin plutôt de mon cadavre, dans un épisode de Faites entrer l’accusé me fout la pétoche puissance maximale.

Plus la foule s’amasse dans la rame à chaque arrêt, plus il se rapproche de moi et ma respiration devient erratique. Pour ne pas céder à la panique qui tambourine à la porte de mon esprit, je relativise en mettant cet affolement sur le compte de mon imagination débordante. Je devrais envisager l’écriture, je publierais peut-être un best-seller un jour. Souffle un coup, il ne va rien t’arriver. Pas la peine de te biler pour si peu ! Et puis il y a des témoins tout autour.

Deuxième option : j’ose penser qu’il me trouve peut-être tout simplement mignonne et cela n’aura aucune incidence sur le cours de ma vie une fois que nous disparaîtrons chacun de notre côté. Après tout, combien de fois me suis-je dit « quel charme » en lorgnant un beau mec, sans pour autant devenir une dangereuse criminelle ? Et la probabilité que je recroise cet homme est faible, vu le nombre de voyageurs qui circulent dans les transports en commun chaque jour.

Profitant du fait qu’il daigne enfin regarder ailleurs, je l’observe. J’ai bien le droit de me rincer l’œil une minute, lui ne s’est pas privé ! Il est désormais si proche de moi, qu’à mesure que je le détaille, j’en arrive à reconsidérer ma théorie sur les sardines. Cet homme possède un charisme indéniable, qui n’est pas sans me rappeler les beaux mâles italiens. Un style bohème, le teint hâlé, une barbe de quelques jours qui recouvre une partie de son visage aux traits anguleux, des cheveux bruns bouclés et épais, des yeux dorés, frangés de longs cils noirs. Ouah je suis jalouse, je veux les mêmes ! Et en plus, il sent bon. Un parfum aux effluves ambrés et épicés qui vient combler mon odorat sensible. Je le reluque en toute discrétion, du moins, je l’escompte, en rêvassant. Finalement, ce n’est pas désagréable de voyager si proche de cet Apollon.

Un coup de frein inopiné me déséquilibre et, cherchant à éviter la chute, je me rattrape au premier truc qui passe… Sa chemise. Et zut ! Pour le coup, c’est moi la frotteuse.

— Je suis vraiment désolée… Je ne voulais pas… bafouillé-je avec difficulté.

— Ce n’est pas grave mademoiselle.

Oh fichtre, qu’ouïs-je ? C’est Geralt de Riv qui me parle.

Sa voix virile, c’est le pompon sur la Garonne ! Je frissonne de la tête aux pieds, mon cœur a des ratés, le feu me monte aux joues. Je lui souris béatement et me perds dans ses yeux dorés. Son regard dévie vers mes mains, toujours bien agrippées à sa chemise, tandis qu’une moue énigmatique apparaît sur son visage.

Doux Jésus, quelle idiote ! Pitié, achevez-moi !

Mortifiée par cette situation d’une gêne absolue, j’étouffe un cri d’horreur en desserrant ma prise et m’écarte de lui, incapable d’articuler quoi que ce soit. En presque vingt-deux ans, je me suis déjà tapé l’affiche une paire de fois, mais je n’ai jamais eu autant honte de ma vie qu’aujourd’hui. J’ai monté le niveau de quelques crans d’un coup, ça va être difficile de faire mieux.

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