Le théâtre et la politique
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Le théâtre et la politique
Le théatre et la politique : les choses vues de Hugo
Ces temps-ci, il est ô combien difficile de ne pas s'interroger sur les expressions de violence qui traversent la société française, au point que l'on se demande si l'on avait pas oublié que la société humaine était par définition violente, et que c'est contre cette violence primordiale qu'ont été élaborées les formes modernes de gouvernement libéral, qu'a été érigé l'Etat, ect…
C'est aussi un débat infini parmi les historiens que de considérer si les sociétés passées étaient plus ou moins violentes que les notres, mais à l'échelle d'une vie humaine, le constat s'impose d'un relatif adoucissement continu des moeurs sous l'effet de la démocratie, de l'amélioration des conditions de vie.
Le doux commerce toutefois n'est pas toujours doux et ne se substitue pas à la guerre.
Alors, quand des manifestants pour signifier leur détermination face à Emmanuel Macron se promènent avec des semblants de piques au bout desquelles était planté une reproduction de la tête du Chef de l'Etat, le malaise ne manque de survenir, rappelant que notre pays a connu par le passé de grandes phases de violence politique, et on songe à la formule de De Gaulle : "il faut un chef à la tête de l'Etat" et la mise en cause du Chef est aussi un décapitation symbolique de l'Etat et de la République.
Surjouer l'émotion est sans doute une faute politique. En prenant soin de dépassionner le débat, chacun peut s'accorder à comprendre la mise en garde de Robert Badinter - ceci n'est pas du "folklore" - mais en même temps, l'indignation morale est-elle efficace? Permet-elle de comprendre et de contenir la violence? Doit-elle nous empêcher de nous interroger sur sa résurgence fut-elle ici symbolique, mais par ailleurs, réelle, dans les vies contraintes, les vies rabaissées, les vies dénigrées, les vies violentées.
Il y a un peu plus d'un an, à l'occasion de l'anniversaire d'un très bon ami, à l'initiative heureuse et attentionnée de son épouse, nous nous sommes, nous ses amis, retrouvés dans un théâtre pour assister ensemble à la représentation de Signé Dumas au théatre La Bruyère dans le 8e arrondissement de Paris.
Dans cette confrontation entre le grand Alexandre DUMAS et son collaborateur fidèle Auguste MAQUET se jouait comme une mise en scène de la séparation insurmontable entre les élites et le peuple, entre le petit nombre des gouvernants et la masse des gouvernés, avec en arrière-plan le début de la Révolution de 1848 qui aboutit à la fin de la monarchie en France…
DUMAS, tout à sa gloire, se plaçait sans le moindre doute, du côté de ceux qui gouvernent, entendant même sauver la monarchie sans voir l'ampleur de la révolution en cours, sûr de comprendre et de contenir les passions populaires. MAQUET, lui, collaborateur de l'ombre, ouvrier de l'oeuvre de Dumas, prenait la mesure de la colère du peuple contre la monarchie de Louis-Philippe et le gouvernement conservateur de François GUIZOT, et mettait en garde son employeur contre le risque, au moment de s'adresser au Peuple, de se n'apparaître que comme un représentant du monde ancien…
Je ne saurais oublier ce soir-là. Nous étions le samedi 1er décembre. Protégés dans l'enceinte confortable d'un théâtre bourgeois, nous ne pouvions pas toutefois ne pas entendre les échos des affrontements dans les rues adjacentes et vers les Champs-Elysées. Etrange écho de la réalité dans la fiction, du passé dans le présent.
Emmanuel MACRON a sans doute quelque chose du DUMAS de la pièce. Il parle au nom du "nouveau monde" mais reproduit l'ancien.
Il y a quelques jours, le président de la République a été confronté à des manifestants virulents alors qu'il assistait à une représentation théâtrale à Paris, aux Bouffes du Nord. Sa présence fut signalée et les services de protection du Chef de l'Etat furent pris en défaut.
Le théâtre encore, au coeur de la politique.
On l'oublie, mais le théâtre est, historiquement, un art politique. Mettre en scène, reproduire, intepréter des vies héroïques ou simples, c'est être directement confronté à la question de la compréhension et de la représentation civique.
Les citoyens ne devraient pas empêcher leur Chef de l'Etat à se rendre au théâtre, mais l'y encourager.
Il y a quelques jours j'assistais au Théâtre de Poche à l'adaptation des Choses Vues de Victor Hugo, recueil publié à titre posthume, dans une mise en scène de Stéphanie TESSON, aussi sobre qu'efficace, faisant dialoguer deux visages de Hugo, comme en miroir, inteprétés par Christophe BARBIER et par Jean-Paul BORDES/
Outre le plaisir de voir la supérieure ironie et belle écriture de Hugo, parfois un peu bavard mais ici ramené à l'essentiel, je n'ai pu que penser à la situation de notre société et du gouvernement de la France, dans quelques-uns de ces micro récits, notamment ceux autour de 1848.
Le récit du premier dîner donné par Louis-Napoléon BONAPARTE le 23 décembre 1848 après sa victoire à la première élection présidentielle au suffrage universel direct de notre histoire est saisissant…
Je ne m'attarderai pas hélas sur l'ironie cinglante de Hugo, qui allait devenir le plus virulent adversaire de Napoléon III "le Petit" : notamment ce récit piquant de l'invitation adressée par erreur…
Sérieusement, Louis-Napoléon Bonaparte qui fut celui qui installa les Chefs de l'Etat français dans ce palais de l'Elysée qui est un symbole à lui seul et un lieu d'enfermement pour tout président, demande à Hugo sa vue sur la sitation politique. La réponse de HUGO est epoustouflante et l'on se dit qu'emmanuel MACRON eût du inviter HUGO après son élection…
La voici
"Je luis dis que les choses s'annonçaient bien, que la tâche était rude mais grande, qu'il fallait rassurer la bourgeoisie et satisfaire le peuple, donner aux uns le calme et aux autres le travail, la vie à tous, qu'après trois petits gouvernements, les Bourbons aînés, Louis-Philippe et la République de février, il en fallait un grand; que l'empereur [Napoléon Ier] avant fait un grand gouvernement par la guerre, qu'il devait faire lui un grand gouvernement par la paix; que le peuple français, étant illustre, depuis trois siècles, ne voulait pas devenir ignoble; que c'était cette méconnaissance de la fierté du peuple et de l'orgueil national qui avait surtout perdu Louis-Philippe; qu'il fallait, en un mot, décorer la paix"
La fierté du peuple français. Tout tenait là, en une formule, en une proposition : ne pas la méconnaître, ne pas renvoyer ce peuple à l'ignoble… à la violence ordinaire d'un peuple à qui l'on dénie sa grandeur.
Comment, demande Louis-Napoléon à Hugo?
"Par toutes les grandeurs des arts, des lettres, des sciences, par les victoires de l'industrue et du progrès. Le travail populaire peut faire des miracles. Et puis la France est une nation conquérante. Quand elle ne fait pas de conquête par l'épée, elle veut en faire par l'esprit. Sachez cela et allez. L'ignorer vous perdrait."
Cette profession de foi perdue, d'un temps révolu, du monde ancien, ce serait là, si c'était aujourd'hui mon labeur quotidien, mon travail populaire, comme lorsque je travaillais jadis humblement auprès de Dominique de Villepin, voilà ce que j'écrirais à Emmanuel Macron.
Paris, le 2 février 2020