Août - 1
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Août - 1
Lorsqu’il sortit de l’aéroport de Beyrouth, le thermomètre affichait 37°C. Isidore se sentit immédiatement trempé par sa propre sueur à moins que ce ne fut l’air humide qui venait se plaquer contre sa peau. La sensation était désagréable, en tout cas. Il chercha la ligne de bus qui lui permettrait de rejoindre la ville et notamment la gare routière où un autre bus l’emmènerait à Aley. Un tel périple, en août, pour un homme seul, représentait déjà en soi une sorte de parcours expiatoire. Le vol, à bord d’une compagnie low cost, s’était déroulé sans heurt. Pas de bébé pleurnichard à proximité, des hôtesses de l’air affables et une collation étonnamment bonne. Bien sûr, un mois plus tôt, il avait pris un avion pour Lisbonne avec Véronique et sa présence lui avait manqué. Surtout lorsqu’elle avait posé sa tête sur son épaule et s’était mise contre lui, juste quand l’air de l’appareil s’était brutalement rafraîchi. Là, au dessus de la Méditerranée, il n’avait personne avachi sur lui pour lui tenir compagnie. Le vieux monsieur à sa gauche, côté hublot, somnolait en tressautant un peu. Isidore tenta de lire un peu, Neige noire d’Emilien Petit, mais il ne parvenait pas à se concentrer et finit par piquer du nez à son tour. Il fut un peu surpris lorsque les roues de l’avion touchèrent le tarmac. Il se réveilla réellement à la douane, après avoir récupéré son sac. Une fois dehors, il souffla de soulagement. Ce n’était pas si dur ! Il s’était imaginé des difficultés improbables quand en fin de compte tout était parfaitement balisé. Un groupe de touristes italiens avait fait la queue juste devant lui et ça l’avait rassuré. Tout était beaucoup plus simple et son angoisse avait baissé d’un cran. Il lui fallait maintenant parvenir jusqu’à son hôtel.
Isidore avait réservé une chambre sur les hauteurs de la ville et espérait y arriver avant la nuit.
Un bus flambant neuf vint charger tous les touristes et les égrener tout le long du chemin parsemé d’hôtels flambants neufs et de resorts étincelants jusqu’au centre de la ville un peu sale et populeuse. Beyrouth ressemblait tout à fait l'image qu'il s'en était faite : grouillante, encombrée, bruyante. Des jeunes par petits groupes circulaient sur les trottoirs au milieu de scooters et coursiers divers. Les voitures tapissaient les routes en longue traîne mobile et vrombissante. La chaleur, allée avec l'odeur d'essence, rendait la ville irrespirable. Les gens semblaient ne pas s'en préoccuper ; il y avait là des femmes voilées intégralement, sans doute des touristes du pays du Golfe, des femmes en jupe et maquillées, des hommes en jean et t-shirt et les d'autres avec une barbe et un cheroual, et tous se frayaient un chemin dans la cohue assourdissante de cet après-midi d'été.
Le chauffeur, en déposant Isidore, indiqua un arrêt, deux cents mètres plus loin, où prendre sa correspondance. « Dans quarante minutes max, monsieur ! » Cela lui laissait largement le temps d’atteindre l’abri faiblement ombragé et désert. Il portait un sac à dos de randonnée un peu gros mais pas très lourd. Au bout d’une grosse heure d’attente, le soleil avait eu le temps de tourner et infliger à ses pieds des brûlures contre lesquelles Isidore était bien démuni. Il avait beau les badigeonner régulièrement de crème indice 50, il sentait la chaleur du soleil s’engouffrer dans sa peau à partir du milieu du tibia et jusqu’à la pointe de ses orteils. Inévitablement, ça finirait par un massage à la Biafine. Mais il n’y pensait pas trop, concentré sur ce qu’il allait faire. Pendant les quelque dix années où il avait vécu avec Amal, à aucun moment il n’était venu l’accompagner au Liban. Pour commencer, il n’avait pas beaucoup d’argent. Ensuite, Amal n’avait pas terriblement encouragé Isidore à l’accompagner, même si elle trouvait que c’était un pays magnifique. Après avoir passé trois mois en France, elle avait compris que l’écart entre les deux modes de vie était trop grand pour qu’il n’y ait aucun heurt. Alors voilà, qu’à quarante-six ans, sans raison valable, contre toute attente, Isidore Valois foulait pour la première fois la terre du Liban. A la recherche de quoi ? Pour le moment, d’un bus. Au bout d’une heure et demie, son attente fut récompensée : un grand car beaucoup moins neuf que le précédent, arriva à sa hauteur en suffoquant et craquant. Il s’arrêta dans un hoquet de moteur. Aussitôt une foule compacte d’hommes, de femmes et d’enfants sortirent du véhicule et se précipitèrent pour récupérer des sacs et des valises entassés dans la soute dans des cris et une bousculade inévitable. Cela rappela à Isidore les sorties en classes vertes organisées par son école primaire : un bus avec deux classes et six accompagnateurs qui revenait d’un village des Yvelines où ils avaient vu des vaches et des serres de tomates pendant quatre heures, se garait devant l’école sur les coups de seize heures trente, et que la foule des parents attendait, chacun prêt à bondir pour harponner son rejeton et l’emmener prestement à la maison. En trois minutes, le bus était vide, même le chauffeur était parti fumer une cigarette à l’écart. Isidore lui fit signe qu’il montait ce qui provoqua un haussement d’épaule indifférent de la part du fumeur. Dix minutes passèrent, personne d’autres que lui n’était encore monté. Le chauffeur revint, cria quelques mots en arabe qu’Isidore ne comprit pas.
« Vous allez à Aley ?
- Si. Aley. »
Isidore tandis son ticket. Le chauffeur ne le regarda pas et répondit quelque chose en arabe. « Attendre encore » finit-il par articuler. Isidore n’était plus à ça près et se rassit, près de la fenêtre de gauche, derrière le conducteur.