Les Limbes du Peintre - Chapitre 3
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Les Limbes du Peintre - Chapitre 3
Arrivé sur les lieux – Lyon, je m'attarde quelques instants devant l'enseigne qui scintille de rouge – Galerie d'Art Elena Moriatti.
J'hésite avant d'appuyer sur la sonnette. Parce que celle qui occupe toutes mes pensées, qui a chamboulé ma vie, qui a fait d'Arnaud Être quelconque, Arnaud le Peintre, se trouve derrière cette porte. Un simple geste et je serai face à celle qui a éveillé en moi un désir insatiable.
Les murmures des derniers passionnés quittant la galerie, me libèrent de mes songes.
J'appuie sur la sonnette. L'instant d'après, un colosse vêtu de noir m'ouvre la porte.
Je la vois, assise dans la pénombre, pour seul éclairage le réverbère de la rue.
Je reste quelques secondes à contempler ce tableau, représentant sous fond obscur, une magnifique beauté entourée d'un îlot de lumière.
J'avance d'un pas serein.
Elle tourne son regard vers moi.
— Bonjour Arnaud, me dit-elle de sa voix sensuelle tout en me tendant sa main que je prends avec douceur. Le contact de sa peau éveille de légers frissons.
— Bonjour Elena.
— Asseyez-vous, je vous en prie.
Pendant que je m'exécute, d'un geste gracieux, elle fait chanter une petite clochette. L'instant d'après un serveur se présente à nous. Je commande un whisky pur.
— Parlons du déroulement de votre vernissage...
Je ne l'écoute pas, conquis par son raffinement, les traits fins de son visage, ses lèvres dessinées. Le jeu des couleurs extérieures mêlées à son teint naturel rend sa beauté cristalline. Dès mon retour, je le sais, je reproduirai sur toile cette image afin de l'immortaliser.
— ...Vous êtes un peintre talentueux. Vos œuvres sont très expressives.
Elle tire une bouffée de sa cigarette.
— Chacun de nous recherchons un moyen d'expression, sous toutes ses formes.
Elle se tait quelques instants et me toise de ses grands yeux verts. Je me sens comme un puceau en quête d'un monde inexploré. Je suis prêt à tout pour pénétrer son univers. Bien sûr, j'ai envie d'elle mais mon véritable désir est tout autre. J'ai besoin de sa présence, de son énergie pour créer, pour subsister. Sans Elena, Arnaud le Peintre n'existerait pas.
De cette pensée née une terrible vision. Celle d'une créature difforme, née de l'ombre qui, lentement se glisse vers la jeune femme et plante ses crocs dans sa chair.
Elena saigne mais ne semble pas réagir. Des filets de sang salissent son cou soyeux et sa voluptueuse poitrine. La créature relève sa gueule vers moi... Paralysé, le verre m'échappe des mains.
— Vous allez bien, Arnaud ?
Perturbé, les mots se perdent.
— Je... Je suis désolé, sûrement la fatigue.
La vue de mon visage ensanglanté, m'invitant à le suivre dans son funeste plaisir, me donne la nausée.
Je me lève, désireux de ramasser les bouts de verre, mais elle refuse.
— Laissez, André va s'en occuper. Je crois que vous devriez rentrer, vous reposer. Je vous raccompagne.
Dehors, je respire à pleins poumons l'air nocturne, afin de chasser mon image d'une jouissance sadique, mais en vain.
Il est là, il vibre en moi, je le sais, je le sens, ce démon avide d'un délice sanguinaire.
— Rentrez chez-vous, Arnaud. Je vous appelle courant semaine prochaine. Je viendrai voir vos toiles et choisir celles que nous exposerons.
Silencieux, je lui adresse un léger sourire, lui serre la main et la regarde s'éloigner. Sa silhouette fine et élancée se dissipe lentement dans la pénombre, balayée par la brume naissante qui enveloppe doucement ses formes d'une étoffe protectrice. Le filet de lumière bleutée, filtrant, lui donne l'aspect d'une chimère s'évaporant dans la nuit.
Seul, au milieu de ce silence nocturne, hanté par la Chose démoniaque, je me mets à vomir avant d'errer au gré de la nuit.