

Le tourisme de masse ravage le monde comme des nuées de criquets sauvages
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Le tourisme de masse ravage le monde comme des nuées de criquets sauvages
Le tourisme devrait être une chance et il aurait pu l’être si son développement n’avait pas été si anarchique. Il fut longtemps un privilège, se transformant progressivement en industrie lourde au gré du développement économique. Le rendant accessible à un panel de plus en plus grand d’une population de plus en plus nombreuse, concentrée, dérégulée, qui transforme les lieux de vie en décors saisonniers et les populations en figurants de carte postale. Ce phénomène n’est pas né d’un excès de voyageurs, mais d’un défaut d’intelligence collective. Il est le produit direct d’un capitalisme dévoyé — un capitalisme chrématistique, pour lequel toute réalité devient support à profit, sans considération d’usage ni de longévité. Le voyage, autrefois acte culturel, est aujourd’hui devenu extraction. Extraction de revenus, de paysages, d’espaces, d’émotions prêtes-à-consommer. Le touriste est transformé en minerai et la planète, elle, en paie le prix. Des troupeaux de touristes, dans le monde entier, partent tous en même temps, au même endroit, pour y avoir le même comportement, tels des nuées de criquets. D’avantage social, le tourisme, par sa massification est devenu une plaie. Un million de touristes par an produisent chaque jour individuellement plus de 7 kilos de déchets, contre un peu moins de 3 kilos pour un Maldivien (il y a 415 000 maldiviens). Résultat, plus de 300 tonnes de déchets arrivent chaque jour sur l'ile de Thilafushi par bateau.
Le tourisme mondialisé, concentration et saturation
Aujourd’hui, 95 % des touristes se concentrent sur à peine 5 % de la surface accessible du globe. Cette polarisation produit une pression intense sur quelques régions, transformées en usines à loisirs. Ce n’est pas le nombre de touristes qui est cause de sa massification, mais bien sa densité. Les conséquences sont multiples :
Sur le plan environnemental, les effets sont massifs. Des plages naturelles sont bétonnées. Des criques vierges deviennent des parcs d’attractions hôteliers. La crème solaire pollue les écosystèmes marins au point d’endommager irréversiblement les récifs coralliens. En Méditerranée, les croisières représentent plus de 10 % de la pollution navale. À cela s’ajoute l’érosion du sol, la surconsommation d’eau, la saturation des réseaux d’assainissement, l’éparpillement de déchets, la régulation locale des usages des lieux, réduisant la latitude de vie pour les locaux (interdiction de la musique, des chiens, de fumer, etc., quand les locaux allaient se promener à cheval sur les plages il y a seulement 50 ans).
Les populations locales sont également victimes de la flambée des prix de l’immobilier. À l’île d’Oléron, à Ibiza ou encore à Saint-Tropez, qui était un petit village de pêcheurs il n’y a pas longtemps, les yachts ayant remplacé les bateaux de pêche, comme à Venise, menacée par les paquebots et qui a instauré des quotas, ou Barcelone, qui a pris des mesures diverses drastiques, Milan s'y met aussi, les habitants ne peuvent plus se loger. Alors les jeunes s’exilent, remplacés par des travailleurs saisonniers qui s’entassent où ils peuvent, faute de logements qui leurs sont consacrés. Les écoles ferment. Les villages et les quartiers deviennent des villes fantômes l’hiver, musées vivants l’été.
Airbnb et la gentrification des centres urbains
Le phénomène Airbnb a accentué cette dynamique destructrice. Ce qui fut un outil de partage, le couchsurfing, imagine dans les années 90, consistant à aller dormir chez l’habitant, est devenu un levier d’extraction spéculative par de l’hôtellerie privée. Les prix des locations Airbnb n’ont d’ailleurs rien à envier à ceux de l’hôtellerie haut-de-gamme. Service en chambre en moins et camera du propriétaire donnant sur la douche ou le lit en plus, pour le même prix. Dans toutes les grandes villes touristiques du monde, des milliers de logements sont retirés du marché résidentiel pour être convertis en hôtellerie déguisée, avec des rendements affolants. Même au double du prix normal un logement converti en Airbnb reste un investissement rentable. Tellement, que même lorsque les villes mettent en place des régulations, les loueurs préfèrent prendre le risque de ne pas les respecter et de payer des amendes, pourtant considérables.
Les conséquences sont connues : outre la flambée des loyers entraînant une gentrification des quartiers, la disparition des commerces de proximité, dédiés à l’approvisionnement local, substitués par des commerces saisonniers (glaces, crêpes, souvenirs), transformant les centres-villes en cités-dortoirs, des quartiers morts hors saison. À Barcelone, la municipalité prévoit de supprimer 10 101 licences de location touristique d’ici 2028. À Manhattan, New York impose une limite à 30 jours de location par an, uniquement si le propriétaire est présent. Ces régulations montrent que des réponses sont possibles, mais elles arrivent souvent trop tard et se heurtent au droit de propriété, la liberté d’entreprendre, suscitent des levées de boucliers, d’opportunistes sans vergogne qui ne tiennent aucun compte des conséquences sociétales de leur comportement avide.
Le capitalisme chrématistique en cause
Pourquoi cela se produit-il ? Parce que le développement touristique a été structuré non par des besoins ou des logiques d’usage, mais par une recherche exclusive de rendement. Le capitalisme chrématistique ne se demande pas ce qui est bon, juste, durable. Il se demande ce qui est rentable. Ce n’est pas en soi une mauvaise chose, le rôle de l’investisseur c’est de faire du profit, qui est le socle du développement économique. Dans toute activité le problème se pose lorsque la création de richesse est plus faible que le coût de ses conséquences. Et au niveau écologique c’est particulièrement prégnant, les sommes en jeu pour réparer l’environnement ou en assumer les conséquences sociales sont absolument faramineuses. De préserver l’environnement en amont en rendant les investissements plus symbiotiques est le premier élément d’une rentabilité à plus long terme.
A l’origine du tourisme, il ne s’agissait que d’investisseurs qui ont construit des destinations de toutes pièces, essentiellement destinées à une certaine élite bourgeoise. Leur ampleur n’était pas à l’échelle de porter des conséquences insupportables et les intentions étaient plutôt honorables. Il s’agissait évidemment de gagner de l’argent, mais dans l’esprit de faire bénéficier d’endroits à la population qui n’y avait pas habituellement accès, rendre disponible les lieux de vie. Avec le développement économique, le tourisme de masse s’est multiplié exponentiellement et c’est tout naturellement qu’il s’est installé autour des destinations préexistantes, qui ont pris alors une ampleur de plus en plus incontrôlée. Dans les années 60, Ibiza était une jolie destination touristique sympathique avec une population locale vivant paisiblement. Aujourd’hui c’est une usine à touristes, la population locale est partie, tout a été ravage, les canettes de bière des beuveries saturent les plages, le bruit de la fête est omniprésent et les prix de l’immobilier sont impayables, la moindre masure coûte le prix d’un penthouse à Monaco. Cette concentration de la richesse gêne l’épanouissement du secteur qui aurait pourtant pourtant des débouchés considérables à offrir.
Ainsi, les destinations historiques ont été développées en série, promues, vendues, bétonnées. Aucune planification globale, aucune répartition des flux, aucune équité. Le tourisme est devenu un produit standardisé, concentré sur des lieux très peu nombreux — ce qui aggrave l’impact local, mais maximise les profits de court terme. Avec des conséquences financières à long terme induisant des pertes colossales, lorsque, par exemple, Phuket s’est vu contrainte de fermer certaines de ses plages —et donc ses hôtels et commerces— bloquant les investissements, le temps de permettre à l’environnement de se régénérer quelque peu. Il existe donc un intérêt général à réguler de manière à fiabiliser les investissements, ce qui les rendra également plus accessibles à la classe moyenne et donc source de nouveaux moyens pour le développement raisonné du tourisme tout en étant source d’une redistribution, produisant un revenu contributif.
Pour une réforme systémique : quotas, diversification, participation
Face à cette dérive systématique, il est temps de proposer une réforme systémique.
Premièrement, il faut instaurer des quotas de fréquentation touristique. Chaque destination a une capacité de charge — écologique, sociale, logistique — qu’elle ne peut dépasser sans dommage. Un système de pré-réservation, de liste d’attente avec des points de fidélité permettrait de réguler la pression. Lorsque l’on veut aller quelque part, on s’inscrit sur une liste d’attente. Une fois qu’un quota se libère on peut partir. Le fait d’y être allé nous donne des points, qui nous conféreront un droit supplémentaire d’y retourner. Ceci, sauf si on est hébergé sur place par de la famille ou des amis ou que l’on a acquis un logement, ou encore que l’on part à l’aventure, sans hôtel ni camping, des cas où on n’est évidemment pas concerné par le quota.
Ce qui ouvre la porte à l'existence des formes alternatives de tourisme, mais qui restent très minoritaires, à la marge. L'écotourisme et le slow tourisme ne représentent pas grand-chose. La réalité du tourisme est bien celle du tourisme de masse, qui représente au bas mot 95 % du marché et va grossir exponentiellement. Dans l'avenir, nous serons exponentiellement de plus en plus nombreux à voyager de plus en plus souvent et de plus en plus loin. Si il n'y a pas une structuration déterministe de ces futurs flux, de façon à les dispatcher sans compromission du droit naturel de voyager, alors la situation va très vite devenir intenable.
Deuxièmement, il faut développer de nouvelles destinations, multiplier les spots, en particulier dans des zones aujourd’hui ignorées du tourisme de masse : les côtes africaines de l’Atlantique, qui offrent des plages paradisiaques à d’autres périodes de l’année que juillet-août, les Andes, les déserts, les territoires ruraux, les grandes plaines argentines ou même la jungle. On répartirait ainsi les flux, on allégerait la pression, on partagerait mieux les retombées, entre ceux qui en vivent, ceux qui financent, les riches investisseurs et les petits investisseurs de la classe moyenne. Le tourisme devient localement raisonnable et son chiffre d’affaires global est mieux réparti sur la population mondiale, au lieu d’être concentré sur des spots micro-locaux ultra-denses et destructeurs.
Enfin, il faut démocratiser le financement du tourisme, en permettant à chacun de devenir co-investisseur de projets durables grâce à des outils comme l’AMI (Action Mutuelle d’Investissement). Cela permettrait d’intégrer la population mondiale à la gouvernance du tourisme et de générer un revenu contributif associé. Faire du tourisme de masse un moyen d’épargne dans une société qui vit la transition sociétale de la fin du travail en raison de l’automatisation est une complexification normale évidente, une évolution logique du revenu individuel. Créer des livrets d’épargne touristiques serait également une bonne solution, comme il existe de l’épargne pour le logement ou l’investissement vert, l’élaboration d’une norme mondiale ouvrant sur de l’épargne nationale, démocratisant l’investissement serait source d’une nouvelle géopolitique à forte connotation sociétale et écologique.
Réformer Airbnb : retour au lien social
Airbnb ne peut évidemment redevenir ce qu’il prétendait être à l’origine : un outil de rencontre et de tourisme paisible et convivial. Néanmoins il est crucial, pour préserver les modes de vie, de calmer les ardeurs de ce secteur en surchauffe avec des conséquences sociétales catastrophiques. Airbnb devient une source d’inégalité, puisque ceux qui ont les moyens d’investir sont des nantis, qui se gavent sur le dos de ceux qui en subissent les conséquences, une capacité dont sont privés les plus pauvres. Alors qu’à l’origine il s’agissait d’un instrument égalitaire permettant à ceux qui n’ont pas les moyens d’investir de bénéficier du tourisme en proposant de dormir chez eux pour un prix modique, ce qui rendait également le tourisme accessible. Le couchsurfing était un tourisme low cost et convivial dans le principe, comme les auberges de jeunesse. Pour retrouver, au moins partiellement, tout cela, la régulation est indispensable. Limiter le nombre de nuitées, limiter strictement les licences de location courte durée, éventuellement interdire les locations sans présence de l’habitant, plafonner les résidences secondaires à but locatif sont autant de pistes efficaces.
Faire renaître l’esprit du couchsurfing, accueillir un voyageur chez soi, échanger, partager, transmettre, serait également une source d’apaisement de la frénésie induite par les opportunités délirantes de la dérégulation actuelle de la location touristique. Ce modèle, né dans les années 90, permet de préserver l’habitat, de tisser du lien, et de faire du tourisme une expérience humaine plutôt qu’un produit extractif concurrent de l’hôtellerie professionnelle. Et cela calmerait les troubles sociaux qui se multiplient en nombre, ampleur et virulence, en raison du ras-le-bol des populations qui en sont directement victimes.
Conclusion
Le tourisme n’est donc pas un fléau par essence. Il est l’occasion de découvrir des modes de vie, des populations, de se rencontrer. La connaissance de l’autre, sa découverte, est la clé de la tolérance et de la paix. Il diffuse des savoirs, suscite des intérêts des uns pour les autres, permet à des populations désoeuvrées et peu formées de vivre, il est porteur de développement économique là où il s’installe. A contrario, de limiter les voyages pour des raisons écologiques comme on l’entend chez les décroissants est une cause d’éloignement, de recul dans les progrès sociaux interraciaux, ce qui est source de haine et donc de tensions.
C’est uniquement lorsqu’il est déraisonné qu’il devient destructeur, lorsqu’il est structuré selon les logiques d’un capitalisme de rente, centralisé et sans conscience. Il est urgent d’imaginer un autre modèle, fait de régulation, de diffusion, de démocratisation. Un tourisme qui respecte les lieux, les habitants, les voyageurs. Un tourisme qui ne consomme pas le monde, mais le révèle. Un tourisme du partage, pas de la prédation.
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🧡 Je rappelle que j'accepte les dons. Cela fait maintenant des décennies que je consacre ma vie à mes frais à la transition écologique et sociétale, adoptant une posture oblative littéralement sacrificielle. Ca n'a pas été vain, j'ai réalisé une oeuvre monumentale, offrant une qualité d'information exceptionnelle, ainsi qu'une vision de transition systémique intégrale pour le 21e siècle. Néanmoins, tout ceci m'a mis dans une situation vraiment critique, pour ne pas dire désespérée. J'ai vraiment besoin de vous, merci. 🙏


Charlymel 2 hours ago
Votre article met en lumière des problèmes très réels du tourisme de masse : dégradations écologiques, pression sur les habitants, perte de sens dans le voyage. Mais il adopte une approche très pessimiste, sans évoquer les formes de tourisme plus durables ni les solutions possibles. Pour avancer, il serait utile de reconnaître la diversité des pratiques touristiques, de valoriser les initiatives positives, de sensibiliser les voyageurs à leurs responsabilités, et surtout, de pousser les autorités à mieux encadrer le secteur.
Thierry Curty 1 hour ago
Merci pour votre commentaire.
En réalité, l'écotourisme et le slow tourisme n'ont pas grand intérêt, ils ne représentent rien. J'en parle à un moment donné quand je parle de partir à l'aventure sans hôtel ni camping sans être hébergé.
La réalité du tourisme est bien celle du tourisme de masse, qui représente au bas mot 95 % du marché et va grossir exponentiellement. Dans l'avenir, nous serons de plus en plus nombreux à voyager de plus en plus souvent et de plus en plus loin. Si il n'y a pas une structuration déterministe de ces futurs flux, alors la situation va très vite devenir instable.
et ça me laisse à penser que je devrais ajouter ma réponse à votre commentaire dans l'article. Merci.