Au bord de "La Sinope"
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Au bord de "La Sinope"
Mon bol de thé à la main, les pieds dans des sabots de caoutchouc, je foule l'herbe mouillée par la rosée de la nuit en longeant la rivière. J'adore ces instants matinaux où je perds la notion du présent. J'inspecte les rives et fouine dans dans les buissons. En prenant le temps je découvre dans les bordures des choses insoupçonnées... des fleurs sauvages, des insectes à peine éclos qui sèchent leurs ailes encore froissées au soleil, des nids d'oiseaux et de petits animaux.
Enchâssée entre ses deux rives dorées d'iris sauvages et de renoncules aquatiques abondants en cette saison, la rivière qui borde mon jardin court sur son lit de cailloux. Tout au long du jardin "La Sinope" fredonne nuit et jour des sonorités cristallines, des notes syncopées comme des rires d'enfants. Ici elle se cache sous les branches basses des aulnes et des frênes. Plus loin elle stationne au pied d'un vieux saule en un paisible miroir où se mirent des ciels mouvants.
Les vents légers qui se glissent sous le pont m'apportent des collines où fleurissent ajoncs et genêts, des bouffées de fragrances mellifères et des odeurs âcres de fouin coupé ; les vrombissements de machines agricoles ; les voix fortes des travailleurs des champs ; des meuglements des troupeaux au pré.
Je poursuis mon chemin au milieu des insectes qui bourdonnent autour de moi. Après la pluie, agrillons et libellules, papillons et scarabés, phryganes et syrphides viennent d'éclore, emplissant l'espace de leurs farandoles. Chacun s'empressant de se nourrir et de se reproduire l'instant de sa courte vie. Mais le ravissement ne serait pas complet sans la présence des oiseaux chanteurs. Un troglodyte, si furtif le reste du temps, perché sur un roseau s'égosille pour annoncer triomphalement ses récentes épousailles et l'heureux évènement qui se prépare dans dans son nid de mousse. Au sommet du pommier et d'une épine en fleur l'accentueur mouchet et le pinson lui répondent en coeur. Pendant qu'une bergeronnette des ruisseaux en livrée nuptiale se gave de mouches de mai, insensible à la dispute d'une canne colvert et d'une poule d'eau qui cherchent le meilleur buisson pour y construire leurs nids.
Pour m'imprégner de la beauté de mon environnement je m'assois sur un rocher sorti de terre. Au-dessus de moi les grands frênes centenaires font un cintre de verdure. J'ai souvent réfléchi à mon attirance pour ce lieu et je me demande s'il n'y a pas en moi une résurgence de ces religions que pratiquaient nos ancêtres primitifs sous des voûtes sylvestres qui furent leurs temples. Moi qui ne fréquente aucun temple, je suis attiré par ces berceaux de feuillages soutenus par de majestueux troncs colonaires. Ici je m'invite et je m'assieds, j'écoute le bruissement des feuilles, l'eau qui chantuse entre les pierres. Ici le sublime me transporte dans un ailleurs de rêve. Dans ce lieu de méditations je me repais du lied de la nature et oublie les fracas du monde d'aujoud'hui. ces instants de commensalisme me donnent de la vitalité et me pénètrent des vraies richesses de la vie.