Apprendre une langue étrangère, arrêter de broyer du noir et un bénéfice personnel
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Apprendre une langue étrangère, arrêter de broyer du noir et un bénéfice personnel
Si vous suivez l’actualité, vous devez comme moi, vous sentir régulièrement en colère, frustré ou démoralisé.
Et c’est normal, car la situation empire chaque jour, depuis des années. Les responsables se ressemblent et se suivent, aucun n’a de solutions, aucun n’est cohérent.
Vous oscillez entre l’envie de passer à l’action et la résignation, La volonté de prendre les choses en main et l’envie de tout laisser tomber, pour se replier sur soi et l’entourage proche.
Puis, face à l’immensité de la tâche, on se dit que notre voix ne portera pas loin.
Et pourtant.
Changer d’échelle
Le village breton d’où je viens, est comme tous les autres, avec son église, sa mairie, La Poste, une boulangerie et son café. Tout autour, se trouvent des champs de différentes formes, tous reliés entre eux par des chemins de terre et de cailloux.
A l'école, je suis un élève moyen, y compris "en sport et en chant".
J'étais venu voir jouer l’équipe de hand local, quand mon prof d’anglais de 4ème est apparu dans la salle.
Mon premier réflexe a été de vouloir me cacher. J'en avais assez des remarques, c'était suffisant à l'école, je n'avais pas besoin d'entendre encore une fois, le même message, que je connaissais par coeur et que j'avais assimilé.
La stratégie du pire
J’ai voulu l’ignorer, mais la stratégie a échoué car il est venu me serrer la main.
J’attendais que les remarques tombent goutte-à-goutte, comme d’habitude. Mais rien...
Il m’a parlé de sa vie, de son déménagement, de ses débuts au collège et des relations avec ses nouveaux collègues. Il m’a demandé comment j’allais, si je faisais du hand et quelques questions bénignes.
Il m'a rapidement présenté à sa femme : "un élève que j'ai avec moi" , puis est parti.
Pas de pics. Aucune remarque désobligeante.
On s’est croisé plusieurs fois au village, on discutait, c’était intéressant. Mais après quelques rencontres, j’ai commencé à me sentir mal.
Il faisait cours, il travaillait et moi j’avais de mauvaises notes. Si mes mauvaises notes étaient le reflet de son travail, alors il était nul. Or, ce n’était pas un mauvais prof.
J’ai voulu faire quelque chose, mais mes efforts et mes résultats n’ont jamais été corrélés.
L’art de l’esquive
Un jour, un camarade de classe - encore plus à la peine que moi - a reçu la mauvaise note de trop.
Sa frustration s’est transformée en colère. Je le comprenais: il évacuait son ras-le-bol. C’est dur d’encaisser autant sur tant d’années.
Tout le monde a fait semblant de ne rien remarquer. D’habitude, les profs choisissent d'equiver également. Mais ça n’est pas ce que mon prof a fait ce jour-là:
Tu sais, tu n’es pas obligé d’aimer l’anglais. Mais ça ne doit pas te pénaliser non plus. Regarde, mes contrôles sont faciles. 10 points sur du vocabulaire. 10 points de grammaire. Le vocabulaire, ça, tout le monde peut le faire. Et c’est le plus important parce que même si ta grammaire est bancale, ils comprendront ce que tu veux dire. Essaie de répondre à des questions de grammaire, même si tu te plantes, je ne retire pas de points. Avec ça, tu peux avoir 10 et au moins tu n’es pas pénalisé pour le reste.
Je ne sais pas l’effet que ça a eu sur mon camarade de classe. Mais de mon côté, ça a changé déclencher un changement dont je n'avais pas encore conscience.
L’impuissance apprise
L’impuissance apprise, c’est lorsque l’on est persuadé qu’on ne peut pas apprendre ou faire quelaue chose en particulier.
Ce sentiment se construit face à des expériences négatives cumulées et en l’absence de retour sur investissement dans l’accomplissement d’une tâche.
Le concept d’impuissance apprise a été découvert par hasard en 1967 par deux psychologues américains : Martin Seligman et Steven F. Maier. L’expérience qu'ils ont réalisé se décompose en deux étapes.
D’abord, elle consiste à faire en sorte qu’un chien associe un bip sonore à une décharge électrique.
Ensuite, vous le placez dans une cage séparée en deux par un petit muret. D’un côté du muret, le sol est électrifié, de l’autre non. Si vous envoyez une décharge, le chien n’a qu’à sauter de l’autre côté du muret pour éviter la décharge. Seulement ici, il reste immobile. Il a renoncé à essayer.
Quand les choses sont difficiles, nous aimons tous croire que nous ferions ce qui est nécessaire pour trouver une solution et changer la situation.
En réalité, les études en psychologie du comportement montrent que face à une situation négative et répétée, le sentiment qui domine est la perte de contrôle.
Votre cerveau se bloque automatiquement: “n’essaie pas, c’est inutile, économise ton énergie”.
C’est difficile d’en sortir, car le cerveau est persuadé que le résultat dépend d’une cause extérieure.
Vous arrêtez de faire des efforts. Vous devenez indifférent. Vous vous repliez sur vous-même, votre cercle proche.
Au quotidien
C’est l’environnement proche, mais aussi large qui peut générer des effets similaires.
Pensez à tous ces gens extrêmement négatifs, les commentaires, sur les réseaux sociaux, aux informations ou bien dans notre quotidien concret.
Des gens qui voient le mal partout. Qui semblent persuadés que l’homme est mauvais et qu’il n’y a aucun avenir.
Ils ne sont jamais contents de rien, mais ne font rien non plus.
Tous ces cyniques qui pensent que seul l'égoïsme de l’homme motive ses actions. Si vous leur parlez d’un projet enthousiasmant, ils en minimisent les bonnes intentions ou bien n’y prêtent pas attention, se focalisant, toujours, sur les aspects négatifs.
C’est bien, mais si il est seul à faire ça, ça ne changera rien.
Les gens s’en foutent de ça. Et puis, il ou elle ne le fait pas assez bien, il faut demander à des professionnels pour faire ça!
En s’opposant systématiquement aux autres, en heurtant leur fierté ou leurs émotions, ils dégradent la situation: rigidité, colère, tensions, les deux camps se retranchent derrière des barricades de plus en plus hautes.
Au fil du temps, deux directions apparaissent. Dans le meilleur des cas, leur parole devient inaudible, le public devient sourd à leur voix. Dans le pire des cas, ils poussent certains à se replier sur eux-mêmes, voire à faire l’exact inverse de ce qui est nécessaire.
Par exemple, c'est un écologiste, si peu pédagogue, qu'il finira par persuader un citadin pourtant sensible à l’environnement, d’acheter un SUV polluant par esprit de contradiction.
Non c’est n’importe quoi d’acheter ça, tu ne te rends pas compte de ce que tu fais, pense à la planète, pense aux autres.
Est-ce que vous avez déjà réussi à faire changer quelqu’un en lui disant qu’il était nul ?
Et pourtant, c’est ce que nous faisons naturellement.
Biais de négativité
A quoi ça sert de voir le négatif partout ?
Dans un environnement où la moindre erreur peut se payer cher, ce mécanisme est utile, car en nous souvenant de nos erreurs, nous pouvons éviter des risques inutiles.
Le biais de négativité, c’est la tendance de notre cerveau à retenir plus facilement les messages négatifs. Ils sont davantage chargés émotionnellement que les messages positifs, ce qui marque nos neurones au fer rouge.
En comparaison, un message positif est vite oublié.
Mais si la mécanique s’emballe, elle joue contre nous. En se concentrant sur le problème, et non plus sur la solution, on finit dans le fossé.
Lorsque le moniteur auto-école nous apprend à négocier un virage ou bien à éviter le sur-accident, il nous enseigne à :
-
Anticiper : pour détecter les risques à venir.
-
Regarder vers la sortie: pour se diriger vers la solution.
La méthode pour s’en sortir
Comment sortir de l’impuissance apprise ? La méthode est simple et bien connue.
Il faut s’offrir des petites victoires, régulièrement et augmenter le niveau de difficulté, progressivement.
Lorsque notre prof d’anglais nous a expliqué la trame de ses contrôles, c’est exactement ce qu’il nous a proposé.
Toutes les deux semaines, nous étions évalués sur :
-
10 points de vocabulaire - facile
-
10 points de grammaire - difficile
La régularité et les progrès visibles qui ne sont plus le fruit du hasard ont fait le reste. S’améliorer devient réalisable, on prend goût à l’effort.
Changer d’approche
Pourquoi la méthode est-elle efficace ? Elle permet de modifier la réponse du cerveau face à un message négatif.
Carol Dweck, psychologue spécialisée dans la motivation humaine et professeure à Sanford, est connue pour ses travaux sur le rôle de l’état d’esprit dans l’apprentissage et notre capacité à résoudre des problèmes.
D’un côté, l’état d’esprit figé, qui va chercher à éviter les difficultés, qui associe l’effort à une dépense d’énergie inutile. Qui ignore les critiques et qui possède une vision du monde déterminisme.
De l’autre côté, l’état d’esprit dynamique, qui va percevoir une barrière comme un obstacle à franchir, qui voit l’effort comme nécessaire pour s’améliorer. Qui sait prendre en compte ce qu’on lui dit et qui pense que les choses peuvent évoluer.
Voici l’activité cérébrale de deux élèves, ayant reçu une mauvaise note.
A gauche, l’activité électrique du cerveau d’un élève avec un état d’esprit figé. A droite, un élève avec un état d’esprit dynamique.
L’image provient de la conférence TedEx de Carol Dweck - The power of believing that you can improve
A gauche, la mauvaise note ne déclenche aucune activité particulière. Au mieux, un sentiment de tristesse ou de confirmation que rien n’a changé pour lui.
A droite, l’activité électrique du cerveau s’intensifie. L’élève n’a pas réussi, mais les choses ne sont pas figées. Il entrevoit la possibilité de s’améliorer et cherche à comprendre ses erreurs.
Nous aimerions tous penser que lorsque la situation est difficile, nous ferions tout pour nous en sortir ou aider les autres, mais ça n’est pas toujours le cas.
La question que nous pouvons nous poser est, est-ce que mon prof m’a fait passer d’un état d’esprit rigide à un état d’esprit dynamique, à travers son attitude ?
Ce qui est certain, c’est que je me suis accroché à sa matière comme à une bouée de secours. En travaillant l’anglais, puis d’autres matières, il m’a permis de développer une compétence utile aux coureurs : la discipline.
Pour mieuc le comprends, faisons un détour sportif.
Kilian Jornet
Kilian Jornet est un catalan qui a mis 4 heures et 57 minutes pour monter et descendre du Mont-Blanc. 4.808m d’altitude. A pied. Seul.
Quand il nous parle de son enfance, c’est comme s'il était né sur une montagne. Son terrain de jeu ? Le refuge de montagne où travaille ses parents.
Pendant que d’autres enfants jouent dans les rues de la ville ou les chemins de campagne, lui part explorer les Pyrénées, la forêt de Cap del Rec, la pointe du Tossa Plana, la rivière Muga et d’autres lieux qui l'entourent.
C’est là qu’il a découvert sa fascination pour la nature.
C’est là aussi qu’il a compris que les limites de son monde étaient la distance qu’il pouvait parcourir à pied. Dès le début, il prend l’habitude de récupérer une pierre, à chaque endroit le plus haut qu’il atteint.
Sa capacité à courir lui a permis d’agrandir sa collection de pierres, aujourd’hui on y trouve de la roche volcanique du Kilimandjaro, du granite des Alpes, de l’ocres du Maroc, des pierres bleues de Turquie, de l’ardoise d’Argentine...
En voyant que je pouvais apprendre une langue, j’ai pris conscience que n’en parler qu’une, c’était me limiter à mon village mental. C’était frustrant, car c’était limitant. Et j’avais vu qu’on pouvait aller plus loin, qu’il y avait beaucoup d’endroits à explorer.
Auto-discipline
Apprendre une langue, c’est comme participer à une course en montagne. Personne n’arrive au sommet sans préparation.
Kilian Jornet est pratiquement né dans la montagne, et c’est parce que chaque jour, il s'entraînait, qu’il a pu découvrir autant de lieux. Courir et apprendre une langue nécessitent tous les deux un entraînement régulier. Tous les deux permettent de développer notre persévérance.
Car vous devez apprendre à gérer vos efforts. On a pas tous les jours le même niveau d’énergie et de motivation. Il faut savoir ralentir, se reposer, puis repartir en gardant le cap.
Lorsque le chemin est bloqué, il faut improviser et prendre des chemins de traverse. Quand la grammaire est trop abstraite, quand vous ne comprenez toujours pas ou que parler est difficile, il faut élaborer de nouvelles stratégies sur-mesure.
J’ai appris d’autres langues, à ma façon, avec des approches et des niveaux différents.
La chose essentielle que j'en ai retirée: l’autodiscipline.
Au centre du réseau
Alors qu'est ce que cela a à voir avec nos vies au quotidien ? Eh bien que nous avons déjà une certaine marge d'action.
Nous serons bientôt sept milliards d'êtres humains sur Terre et il est simple de se dire, que nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans cet océan. Que ce que l’on fait ou ce que l’on ne fait pas, n’a finalement pas d’importance. Que ce que l’on dit ou ce que l’on ne dit pas, ne compte pas.
Choisir que rien n’a de sens ou de valeur semble plus facile à vivre. Pas de responsabilités. Pas d’engagements. Pas besoin de remise en question ou ou de se creuser la tête.
Ce n’est pas parce que tu ne joues plus, que le jeu s’arrête. Kaaris - Zoo
Ne rien faire semble plus léger à vivre. Mais le prix à payer est lourd, car si votre vie n’a pas de sens, ni d’importance, si vos choix ne comptent pour rien, alors vous errez. Vous allez déprimer avec le temps. Votre vie ne compte pour rien et c'est l'enfer.
La neutralité n’est pas une option. Ne pas s’engager, ne pas choisir, c’est conserver l'état actuel des choses, c'est soutenir les rapports en place. Alors qu'il y a tellement de chose qu’il est possible d’améliorer.
Ce que l’on produit chez les autres
Pour moi, c’est ce prof d’anglais qui a produit un changement significatif.
Comment ? Pourquoi ? Difficile à dire, mais c’est grâce à lui que mon état d’esprit a changé.
Comment il y est parvenu ? Non pas par de beaux discours, ni en me disant que j’étais le meilleur, que je pouvais le faire, ni grâce à une méthode pédagogique innovante, mais d’abord par son attitude.
Puis, en me proposant une méthode praticable. Ma seule responsabilité a été de fournir le travail.
Je suis retourné dans mon village, plusieurs années après. Je lui ai parlé de mon parcours scolaire, de mes difficultés de l’époque. Il m’a simplement dit:
Tu n’as jamais été un mauvais élève, tu as toujours franchi les étapes les unes après les autres.
Photo de Nicholas Green on Unsplash