Reconnaître un idiot avec Montaigne
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Reconnaître un idiot avec Montaigne
Montaigne était un homme patient, très ouvert au dialogue et curieux de tout. Très nuancé sur tous sujets, il était pourtant radical sur un point : les cons existent et il faut les fuir (rappelons qu'il a subi l'horreur et la bêtise des guerres de religion). Pour lui, avant de d'engager sérieusement dans une discussion avec quelqu’un, il est primordial de savoir si l’interlocuteur est un imbécile ou un individu raisonnable. Il est inutile de parler raison à un idiot : on ne devient pas subitement musicien, dit-il, pour avoir écouté une bonne chanson. Par conséquent, « il ne sert à rien de prêcher le premier passant, et régenter l’ignorance ou ineptie du premier rencontré ». Mais il arrive souvent qu’un sot dise une ou des vérités, par accident. Il faut donc savoir ruser pour les démasquer ! A cette fin, Montaigne a mis au point une sorte de stratégie, dont voici les trois points essentiels.
N'aidez pas votre interlocuteur
Tout d’abord, si vous avez un doute, n’accompagnez pas l’interlocuteur dans ses raisonnements : au contraire, faites celui qui ne comprend pas. A partir de là, de deux choses l’une :
- soit il réussit à s’expliquer et préciser ses propos (et il sait ce qu’il dit),
- soit il s’embourbe tout seul (et il ne sait pas ce qu’il dit).
Mais si vous raisonnez avec lui, il se saisira de vos interprétations, ponctuera vos phrases de « c’est ce que je voulais dire ! » et vous n’en saurez pas plus sur lui. Exemple tiré du film Kennedy et moi (Sam Karmann, 1999). Dans cet extrait, Jean-Claude Brialy cite un proverbe de manière un peu incongrue. Tandis que Nicole Garcia sourit aimablement, Jean-Pierre Bacri demande des explications qui ne viennent pas. L'idiot est démasqué.
Demandez du détail
Si votre interlocuteur use de vérités générales que vous trouvez justes, par exemple, « l’Italie est un grand pays dans le domaine artistique », voyez, dit Montaigne, si c’est le hasard qui tombe juste pour eux.
« J’entends journellement dire à des sots des mots qui ne le sont point. Ils disent une bonne chose : sachons jusqu’où ils l’entendent, voyons comment ils la saisissent »
Donc, demandez un peu plus de concret, de détails : « qu’ils circonscrivent et restreignent un peu leur jugement : pourquoi c’est, par où c’est. » Et vous pourrez constater si le propos est une idée creuse, une apparence d'idée qui se dissout comme une bulle de savon, ou si le bonhomme connait ce qu’il dit.
Jugez sur pièce
Interrogez-le sur quelque chose qu’il a fait et dont il est fier et content, et passez outre les coquetteries du genre « j’ai bâclé ce travail », « je l’ai fait il y a longtemps », etc. Non, dit Montaigne, donnez-moi quelque chose « qui vous représente bien en entier, par laquelle il vous plaise qu’on vous mesure. Et puis, que trouvez-vous le plus beau en votre ouvrage ? Est-ce cette partie, ou celle-ci, la grâce, ou la matière, ou l’invention ? » L’interlocuteur, à l’aise, se montrera tout entier. Et vous serez dans les meilleures dispositions pour le connaître.
Pour approfondir :
Essais, Livre III, ch. 8 : De l’art de conférer
Montaigne, sur Littératurefrançaise.net
Mon introduction à la lecture de montaigne :