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Chapitre 2

Chapitre 2

Published Nov 7, 2023 Updated Nov 10, 2023 Culture
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Chapitre 2

Abygael

Un hurlement horrible me sortit de mon cauchemar. Les cheveux collés par la sueur, les yeux gonflés de sommeil, la bouche pâteuse, je me redressai rapidement dans mon lit en jetant la couverture sur le côté. Les battements forts de mon cœur tonnaient à mes oreilles et une peur incompréhensible me prit aux tripes. Un bref coup d’œil autour de moi me permit de vérifier que j’étais bel et bien en sécurité dans mon minuscule appartement. Pourtant, un mauvais pressentiment me collait encore à la peau.

Il faisait sombre dehors, malgré la pleine lune. Il ne devait pas être plus de cinq heures du mat, ce que me confirma l’écran allumé de mon smartphone sur mon matelas, non loin de mon oreiller. Une fois de plus, je m’étais endormie juste après avoir abandonné mes chaussures et mon pantalon au milieu de la pièce. Une odeur de clope, de transpiration et d’alcool flottait dans l’air. Écœurant…

Sans penser à ce qui m’avait réveillée, je me dirigeai vers ma salle de bain et fis couler l’eau de la douche. Le temps qu’elle se réchauffe, j’inspectai mon reflet : ma crinière rousse était hirsute, j’avais des yeux de panda avec mon mascara et mon eyeliner qui avaient coulé. Je faisais peur à voir… Heureusement, une buée épaisse flouta mon image. Dans un soupir, le pas encore lourd de sommeil, je me faufilai sous le jet brûlant qui fit aussitôt des miracles sur mon corps douloureux. La chaleur tendit mes muscles et effaça toutes traces de mon rêve angoissant.

Il ne fallut pas longtemps pour que l’eau refroidisse, me faisant bondir hors de la douche. Chaque fois je me faisais avoir ! Je m’enveloppai dans une grande serviette douce, gorgée de l’humidité ambiante, et rejoignis la cuisine dans un nuage de vapeur. Inutile de chercher à me recoucher pour profiter de quelques heures supplémentaires de sommeil, j’étais bien trop éveillée pour me rendormir. Mon seul espoir pour affronter cette nouvelle journée était de faire le plein de caféine.

Habituellement, je me serais recroquevillée sous ma couette, mon ordi sur les genoux, à regarder une série quelconque sur Netflix, mais pas aujourd’hui. J’avais rendez-vous avec la mère supérieure de Sainte-Catherine en début de matinée. Elle me convoquait tous les ans à la même époque. Chaque fois on faisait le tour de l’église, toujours dans un silence confortable, pour finir devant la tombe triste de sœur Hélène. Puis, non sans quelques commentaires acerbes sur ma façon de vivre et de m’habiller, la mère supérieure me conduisait au réfectoire pour un repas austère en compagnie des autres religieuses. Nous partagions un moment agréable à discuter de tout et de rien, à se remémorer mes bêtises et à rire. Une façon agréable de rendre hommage à sœur Hélène qui était le cœur de cette assemblée.

Une douce odeur de café chaud envahit mon studio, me ramenant à l’instant présent. Une tasse à la main, je me laissai tomber sur le sofa miteux coincé entre le mur de ma chambre et la mini kitchenette. Sans me soucier de mes cheveux encore dégoulinants, je repliai mes jambes sous moi et laissai échapper un soupir en repensant à mon cauchemar. Des flashs d’horreur me revinrent en mémoire : des dents ensanglantées, des griffes acérées, des yeux verts et brillants… et ce rugissement qui m’avait glacé le sang. Était-ce réellement un rêve ? Ce cri m’avait paru si réel, que j’aurais juré qu’il provenait de l’extérieur. Comme si la bête qui avait hanté ma courte nuit m’attendait dehors, juste sous ma fenêtre, et me priait de la rejoindre. Cette idée me donna la chair de poule et, par réflexe, je pris une gorgée brûlante, mais réconfortante de ma boisson préférée.

Soudain, on frappa à ma porte. Trois coups forts et rapides. Une enveloppe glissa sur le sol pour atterrir au milieu de ma cuisine et une ombre se déplaça dans le couloir avant de disparaitre. Je me précipitai vers mon entrée, mais je n’eus pas le temps d’apercevoir mon facteur. Pieds nus avec pour seul vêtement ma serviette humide, je courus jusqu’à la rue, mais ne vis personne. Il avait disparu.

De retour dans mon studio, je ramassai le pli étrange et l’ouvris. À l’intérieur, un vieux papier jaunâtre sur lequel était écrite à la main une invitation. L’écriture était belle et soignée. L’encre utilisée était d’un rouge profond et un parfum fleuri s’en dégageait.

Ma chère Abygael,

Par la présente, je t’invite à me rejoindre au café A la Lune de Greylyn cet après-midi 16 heures.
Je t’attendrais à l’intérieur. Pour me reconnaitre, rien de plus simple : je poserai devant moi un carnet en cuir rouge. Celui-ci contient toutes les réponses aux questions que tu te poses depuis des années déjà au sujet de tes origines.

J’ai hâte de pouvoir enfin te parler.

Maman

Quelques minutes plus tard, je me trouvais devant la porte de Willis à tambouriner pour qu’il m’ouvre et me laisse entrer. Il ne semblait pas surpris de me voir et ne fit aucun commentaire sur ma tenue légère. Il me tendit une boite de mouchoirs et me regardait silencieusement, attendant que je retrouve la parole. Je ne m’étais même pas aperçu que des larmes inondaient mon visage.

Je me laissai tomber sur l’un des fauteuils de son salon et lui tendit la lettre que je venais de recevoir. Aucun son ne sortit de ma bouche. J’étais totalement sous le choc, contrairement à Willis qui ne prit pas la peine de lire le message. Comme s’il en connaissait déjà le contenu !

- Qu’est-ce que tu vas faire ?

Une colère noire explosa en moi. Je me relevai pour venir me poster à quelques centimètres de Willis. Malgré mon mètre quatre-vingt-huit, je devais lever la tête pour le regarder droit dans les yeux, ce qui m’exaspéra. Un doigt sur sa poitrine, je lui criai dessus :

- Comment ça, qu’est-ce que je vais faire ? Comme tous les ans, je vais aller à l’église pour voir la mère supérieure et me rendre sur la tombe de sœur Helene. Je n’ai aucune raison de changer mes plans !

Il se contenta de soutenir mon regard. Ses yeux sombres me renvoyaient mon reflet. À cet instant, je ne pouvais pas lire en lui pourtant, j’avais l’impression que lui était capable de sonder mon âme. Cette sensation désagréable me poussa à m’éloigner. Je pliai mes bras sous ma poitrine et fis les cent pas.

- Tu me caches quelque chose, n’est-ce pas ? Tu n’as même pas lu ce foutu mot, mais j’ai l’impression que tu sais exactement ce qu’il contient. Pourquoi ?

Un bref instant, je crus voir un sourire sur ses lèvres. Juste avant qu’il ne lâche un profond soupir et ne se passe la main dans les cheveux, comme chaque fois lorsqu’il est contrarié ou qu’il s’apprête à avouer un truc délicat.

- Aby, ce n’est pas à moi de te dire quoi que ce soit. Ok ? Tu vas devoir attendre et te rendre à ce rendez-vous. C’est important. Je te donne ta soirée. Passe me voir après si tu veux en discuter.

Il ouvrit la porte et m’invita à sortir sans un mot de plus. J’étais sur le cul, pas certaine d’avoir bien saisi ce qu’il venait de se passer. Après être restée sans bouger quelques secondes, le regardant fixement dans l’espoir qu’il me donne un indice, je quittai son appartement pour rejoindre le mien, énervée et déboussolée. J’avais besoin d’une boisson plus forte que mon café !

 

Willis

Je claquai la porte et me laissai tomber sur le tabouret en face du bar. Bon sang ! Si j’avais encore des doutes, à présent je suis fixé. J’avais bien senti quelque chose de différent chez elle lorsque je l’avais aperçue toute seule sous cet abri bus, il y a quelques années. Elle avait cette aura puissante, presque sauvage qui m’avait attiré à elle. Mais ce n’était rien par rapport à ce que je venais de ressentir. Lorsqu’elle m’avait fixé, attendant une réponse de ma part, j’avais bien failli m’incliner devant elle et tout lui avouer. Si je n’avais pas été un alpha, j’aurais tout simplement courbé l’échine et je me serais probablement excusé pour mon silence.

Abygael était ma fille ! Ma première et unique enfant. Mon héritière. La future alpha de la meute de Diamonswood. De rage, j’explosai le meuble le plus proche de moi d’un simple coup de poing.

- Putain ! mais comment j’ai fait pour pas m’en rendre compte avant !

Je savais pertinemment pourquoi je ne l’avais pas vu avant. Je m’y étais refusé, voilà tout. Parce que si j’avais accepté de regarder l’évidence, j’aurais très certainement merdé. Comme avec sa mère. Alors j’ai préféré faire l’autruche et fermé les yeux. Et, malgré moi, j’avais plus agi comme un père que je ne l’aurais fait si accepter la vérité.

Je soufflais de colère et de frustration. J’avais laissé partir Abygael, la laissant croire que j’étais au courant de cette lettre. Que j’en connaissais le contenu. Alors que je n’en savais strictement rien. Efea avait disparu un beau jour. Sans un mot. Sans une explication. Je l’avais cherchée, mais je ne pouvais pas laisser tomber ma meute. J’avais beaucoup trop de responsabilités pour tout quitter. Même pour elle… Et j’ignorais si elle était capable de me pardonner après tous ces mots horribles que j’avais eus. Efea était mon âme sœur et ce que je lui avais dit sonnait comme un rejet J’étais acculé par le conseil. Accepter notre union était contraire à toutes leurs pensées rétrogrades. Une magicienne et un loup-garou, c’était contre nature à leurs yeux. Non. Ils préféraient que je prenne Leana pour épouse, la fille de l’alpha d’une des meutes voisine. Les rumeurs disaient qu’elle avait des vues sur moi, mais je n’en avais rien à foutre !

J’aurais dû me battre pour Efea. Pour nous. Mais j’avais été trop lâche. Je n’avais que 18 ans et elle en avait à peine 16. Mon père venait de mourir et son frère, un fou jaloux de notre famille, menaçait de prendre la tête de la meute. Je n’avais pas le droit de le laisser faire. Alors j’ai tourné le dos à celle que j’aimais pour le bien de miens. J’ai pris soin de ma mère, affligée par le décès de son époux, jusqu’à ce qu’elle parte elle aussi. Emportée par le tourment… et moi, j’étais resté seul. J’étais devenu un monstre craint de tous, même du conseil, qui s’était décidé alors à me laisser tranquille.

Putain, j'ai une fille ! Si je n’avais pas été capable de lire dans les pensées d’Aby, je n’aurais rien su. Pas avant d’avoir lu cette maudite lettre. J’aurais dû faire semblant. Jouer la comédie. Mais j’étais sous le choc de la nouvelle. Et les vagues de pouvoir qu’elle envoyait m’empêcher de réfléchir correctement. À présent, il était trop tard. La seule chose que je pouvais faire était de la convaincre de retrouver sa mère dans ce café. Elle avait besoin de réponse et moi aussi. Je pourrais la suivre discrètement et écouter leur conversation. Cela dit, je devais la jouer intelligemment. Je n’avais pas le droit à l’erreur.

Bon sang… je comprenais mieux le comportement de tous ces jeunes loups. Pourquoi ils venaient au bar depuis quelques semaines. C’était pour elle. Pour Aby… C’était aussi pour cela que Grant était devenu fou cette nuit. Il n’avait pas réussi à contrôler son animal et c’était approché trop prêt de la ville. La louve d’Aby l’avait appelé. Elle approche de son vingt-et-unième anniversaire, l’âge pour un alpha de prendre sa place au sein de la meute. Aucune magie ne peut lutter contre le pouvoir de la Lune. C’était pour cette raison qu’Efea était de retour. Voulait-elle tout lui avouer avant que le sort qu’elle lui avait jeté ne cesse ? Ou avait-elle trouvé un moyen pour réduire à néant son côté loup-garou ?

Les bonnes sœurs ! Oui, elles devaient être au courant de tout ça, sinon elles n’auraient pas gardé Aby avec elles. Elles ne gardent jamais aucun enfant. Ils sont tous envoyés dans un orphelinat ou dans des familles d’accueil. Mais je sais que cette vieille bique de sœur Hélène était une magicienne. Elle était la mentore d’Efea.

Je pris alors mon téléphone pour appeler l’église Sainte-Catherine. La mère supérieure n’accepterait jamais que je foule les pierres de son église. Si je voulais obtenir des réponses, c’était ma seule chance.

J’attendis patiemment qu’une des sœurs réponde et demandai sans même me présenter de parler à sœur Flora. Après quelques minutes d’attente, une voix grinçante m’annonça que la mère supérieure était morte cette nuit avant de raccrocher.

Merde ! Toute cette histoire commençait sérieusement à sentir mauvais.

 

Texte de L. S. Martins

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