La Grande Bellezza : quand la nostalgie se pétrie dans le regard au loin
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La Grande Bellezza : quand la nostalgie se pétrie dans le regard au loin
« Quand je suis arrivé à Rome à 26 ans, je me suis précipité assez tôt, sans presque m’en rendre compte, dans ce que l’on peut définir comme le tourbillon des mondanités. Je ne voulais pas être simplement un mondain, je voulais devenir le roi des mondains, et j’y suis parvenu. Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher. »
Jep Gambardella.
Il y a des œuvres en cette époque, -la plupart même- portées sur le médiocre, le fastidieux, sur l’inutile. Une œuvre n’est-elle pas faite inutilement et pour rien pensons-nous ? Certainement. Toutefois, ce qui reste agréable dans l’inutile de qualité, c’est la capacité à rompre le blet pour rajeunir le teint sur fond de sourire intérieur. La beauté jointe à l’éclat provoque un sentiment et le fait sortir de son terreau pour le donner en spectacle au corps. De même qu’une œuvre écrite comme le pensaient Bataille et Barthes, une œuvre cinématographique se doit aussi d’être érotique, érotique en ce qu’elle raconte, érotique en ce qu’elle suscite.
Désamorcer la lourdeur de l’existence par l’esthétique
La Grande Bellezza provoque ce genre de sensations érotiques, pareilles à l’effleurement des choses au corps à l’âge où l’on s’éveille au monde. Il y est raconté une tranche de vie, surement la plus misérable de l’Homme : la vieillesse, projetant le spectateur dans un monde vrai en plein Rome, beau peut-être, mais effroyablement lucide. Le cinéma d’aujourd’hui est condamnable par sa trop vive fiction, pour son sortir des réalités établies et désagréables. La Grande Bellezza est une vie, l’une des vies expliquant le mieux l’existence d’une fin, avec ce qu’elle comporte de vil, de pâteux, en somme, de grave. Et pour ce faire, le réalisateur s’est accaparé subtilement la légèreté pour raconter la lourdeur. La souplesse musicale et d’esthétique visuel qui accompagne La Grande Bellezza fusionnent avec la pesante tâche du sens, pour faire éclore la fleur empoissonnée que nous subissons tous depuis notre naissance.
Il en faut peu pour se leurrer. Quand est mis en scène par Paolo Sorrentino la mondanité romaine, c’est pour tout de suite l’éclairer des scories qui la font. Jep Gambardella, journaliste et écrivain, le roi des mondains, projette dans la terrasse de son appartement les formes qui font son quotidien et ses peurs, à savoir le néant. Des personnes y circulent, d’autres partagent des moments fugaces d’absence, cela, quand son regard n’est pas porté au loin, dans une nostalgie qui le ronge au fur et à mesure qu’il vieillit. Les fantasmes s’effritent, les espoirs s’évaporent, les envies baissent, le découragement l’emporte en fin de compte, laissant place à un passéisme passif.
La Grande Beauté versus l’ennui
Néanmoins, plus on avance dans le film, plus l’observation de Jep s’affine : il voit plus clair ; le peu de ce qui lui paraissait de la vie est en train de prendre fait dans un théâtre burlesque où se confondent sentiments et désintéressements. Il trouve son altérité dans une bicéphale réaction contre le monde. Il est à la fois l’acteur parfait que veulent voir jouer ces spectateurs qui en somme, n’ont envie de ne rien savoir du vrai personnage, mais tout du comédien ; et dans un même temps, il est l’ignoble juge qui scrute et sa vie et celle des autres pour condamner, infliger, et répudier à travers le supplice de l’ennui, du vide, du poreux, toutes les velléités du mondain dont il est roi. Aucun détail ne lui échappe, et cela semble très pénible.
Voici donc un film qui raconte l’histoire du roi des mondains qui fit tout pour y arriver, mais qui toutefois est frappé par une détresse indolore, apparue à un âge où l’on meurt d’avoir trop goûté.