Août - 3
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Août - 3
Après la douche rafraîchissante, il descendit en quête d’un repas. A la réception, on lui indiqua un restaurant typique. Comme la fatigue commençait à poindre, Isidore ne chercha pas plus loin et se rendit à l’adresse indiquée. Un petit restaurant charmant où des familles de touristes dînaient dans les pleurs des bambins et le cliquetis des couverts. On l’installa dans un coin, à côté d’une famille allemande aux cous larges et luisants. Ce n’était pas si simple de se concentrer sur son assiette avec des convives aussi imposants.
Jetant quelques regards furtifs dans la rue, il s’attendait à tout moment à retrouver Amal et l’imaginait âgée de 46 ans, aujourd’hui. Il espérait secrètement être reconnu, ici, et qui sait peut-être que Rosa passerait sur cette place ce soir avec quelques amies ? Il devait se rendre à l’évidence que tout cela ne tenait pas la route et que sa présence ici ne lui apporterait aucun réconfort. Durant le trajet en avion, il avait eu largement le temps de faire le point sur sa vie. Petite existence terne de bon fils modèle. Petit employé modèle d’une administration terne. Quels avaient donc été ses coups d’éclat ? Quelles furent ses victoires ? Ses joies ? Ce n’était pas très glorieux d’avoir amassé si peu de beaux souvenirs en de si longues années. Un premier prix en latin au concours général, en 1re. La soutenance d’une thèse remarquée qui fit l’objet d’une publication en deux tomes – mais qui ne se vendit pas. Il n’était pas peu fier d’avoir su séduire Amal, bien entendu ; mais là aussi, il lui semblait qu’en réalité c’était la détermination de la jeune femme qui avait été pour beaucoup dans l’éclosion de leur idylle. Les motifs de regrets étaient bien plus nombreux et Isidore n’avait pas à trop se creuser la tête pour en faire la litanie. N’être pas venu à Aley tout de suite après le départ d’Amal. Ne pas avoir poursuivi la clarinette (elle était soigneusement rangée dans sa mallette depuis vingt cinq ans). Ne pas avoir continué la recherche à l’université. Ne pas être capable de chasser Amal de son esprit depuis toutes ces années. Ne pas être capable de s’abandonner complètement avec Véronique. Il se reprochait une certaine forme d’égocentrisme sclérosant qui l’avait empêché d’aller de l’avant. Au fond, il vivait comme un romantique mais sans produire la moindre poésie ni créer la moindre œuvre d’art. Non, ce n’était pas un romantique, seulement un lâche, comme beaucoup d’homme. Mais à la différence de la plupart d’entre eux, il ne s’en relevait pas. La photo de cet amour perdu, conservée après toutes ces années dans son portefeuille, symbolisait davantage sa propre couardise ou une allégorie de l’échec conjugal, que l’immarcescible amour qu’il entretenait pour Amal. Car tout était de sa faute, il en était convaincu.
Ce qu’il venait faire ici n’était qu’une forme d’exorcisme un peu foireux d’un lourd passé que dix ans de thérapie avaient à peine digéré. La lettre d’Amal – il la connaissait par coeur – avait remué des remugles anciens qui avaient pourri son week-end lisboète mais, curieusement, il avait senti les effets se dissiper et son deuil se faisait sereinement. Il devait avoir la certitude de l’authenticité de cette lettre. Il y avait Rosa également qui surgissait brutalement comme un rayon de lumière au coeur de la nuit. Il n’en avait rien dit à Véronique finalement. Il n’en avait parlé à personne. Une cloche retentit dans la vallée. Notre-Dame de Bsous, église maronite toute neuve sur un promontoire de la ville, rappelait qu’il était déjà 22h. C'était l'heure où le vent se levait et où Isidore décida de se coucher.