Chapitre 21
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Chapitre 21
Je remonte me coucher. Les enfants n’ont pas sourcillé. Dernière consultation de ma boîte mail avant de partir pour le royaume des anges. Je prends la diligence du sommeil avec pour tout bagage le dernier mail d’Ana. J’y répondrai demain.
Coucou Marraine,
Je viens de faire une grande découverte ! Ce matin, j’ai été réveillée par de drôles de cris. D’ailleurs ce n’est pas la première fois. A vélo, des individus s’annoncent aux habitants avec des cris énergiques. Ils hurlent d’une voix stridente et éraillée «Kabariwallah, kabariwallah». Evidemment, il a fallu que nos copains nous le traduisent. Wallah, c’est un suffixe qui désigne quelqu’un défini par un mot. Ici c’est par exemple une personne qui collecte les journaux auprès des particuliers.
J’ai enfin compris ce qu’ils trafiquent, ces bougres.
Ce sont les kabariwallahs qui traitent directement avec les habitants ou les ragpickers. Ils rachètent au poids les produits recyclables dans lesquels ils sont spécialisés comme les journaux, les bouteilles en verre ou en plastique. Les habitants sortent alors de leur maison et le hèlent s’ils ont des objets à revendre. Les journaux rachetés peuvent être transformés en petits sachets de papier pour les commerces locaux. Tout ce système fait grave partie de la vie de tous les jours.
Je sens qu’on va bientôt aller se promener en dehors de Delhi. On a des fourmis dans les pieds ! J’ai envie de découvrir d’autres airs.
Je vous embrasse bien fort
Ana
Ana baigne dans le concret de sa vie quotidienne. Elle décrypte, à la loupe de ses outils d’étrangère, les arcanes internes qui régissent l’organisation de la société indienne. Les ordures prennent une place singulière dans la vie actuelle d’Ana à Delhi. C’est le sujet qu’elle essaie en ce moment d’analyser avec simplicité.
Je me demande de quels autres nouveaux airs Ana parle. Peut-être de l’envie de quitter une grande ville. L’envie de voir des paysages de silence où l’homme vit au rythme sauvage et profond de la nature.
Souvent une idée fugace et récurrente me prend tout entière. Cette idée tellurique de m’enfouir dans un nid de vert, au royaume musical des oiseaux invisibles. Le chant divin des oiseaux dans un feuillage insaisissable.
Je m’endors, sans jamais aucune difficulté.
Le lendemain, je n’ai pas le temps de répondre au mail d’Ana. Elle m’en a déjà envoyé un autre.
L’urgence de la jeunesse, la frénésie d’arriver à temps dans une gare inconnue.
Salut la compagnie,
J’envoie demain mon dernier feuillet sur le traitement des déchets. Une véritable chronique de la poubelle ! J’aime bien mettre les pieds dedans, un peu de glamour dans toute cette poésie.
Dans ce pays, tout est objet de recyclage. Le système repose sur la division du travail et de la matière. Plus la personne se spécialise dans un objet, plus elle se rapproche du recyclage final et plus les bénéfices sont substantiels. Tout est minutieusement défroissé et aplati à la main pour perdre en volume.
Avec Brianne, sous couvert de faire un article dans le journal, on a suivi un ragpicker et on est allé avec lui dans les locaux d’un middleman. Dans la chaîne du recyclage, c’est l’intermédiaire qui pèse les déchets. Y avaient des balances impressionnantes à grands plateaux. La collecte du ragpicker a été pesée et le middleman l’a payé mais j’ai pas vu combien. Après le ragpicker et le kabariwallah, le middleman vend ensuite sa marchandise au teckadar qui n’achète que du verre, du plastique ou du papier en grosse quantité. Dernier maillon de la chaîne, le teckadar vend sa marchandise au wholeseller, fournisseur en gros des usines de recyclage. Je suis captivée par tout ce que j’apprends, tout est tellement différent de Paris et de Capcity-le-Soubresaut !
Je pense qu’on va sortir de Delhi avec ma copine pour voyager un peu dans le pays. On a aussi rencontré un copain belgo-indien qui fait ses études aussi dans une école de commerce. C’est genre une reconversion pour travailler avec ses parents dans l’import-export. Il a pas loin de trente ans, mais c’est super, il connaît pleins de choses. L’Inde c’est aussi son pays. Son père est sikh, religion monothéiste indienne. Je continue mes découvertes et pense très fort à toi. Embrasse bien tes trois marmots de ma part.
Ana
Jusqu’ici Ana a un regard intérieur, en pleine décomposition des aspects multi-culturels qui l’entourent. Un peu de tourisme et de découvertes géographiques pourraient alimenter sa curiosité et ouvrir ses observations.
Ce sont les vacances et je prends le temps de donner des nouvelles à Ana. Deux raisons à ses mails réguliers. Partager l’inédit intense de son vécu. Garder un contact actualisé avec sa vie à Capcity-le-Soubresaut.
La vie dans ma ville pourrait sembler presque fade. Mais non, ma vie extérieure est aussi riche que celle de mon intérieur.
Ana part avec Brianne dans l’Himalaya, dans la petite ville de Rishikesh. Leur copain belgo-indien Arvind Singh leur a donné une lettre d’introduction pour être reçu dans un ashram tenu par un guru. C’est une communauté spirituelle où vivent un sage et ses fidèles. Le mot guru affole Dune qui pense spontanément à une secte. L’écart entre nos deux univers est prodigieux. Mais le séjour des deux filles à l’ashram se passe bien. Ana et Brianne vivent au rythme local en suivant les cours de yoga à l’aube et en allant tous les soirs sur les bords du Gange assister aux célébrations mystiques. Le Yoga représente l’union avec le divin. Discipline issue de l’Inde védique qui vise l’unification physique, psychique et spirituelle de l’être humain par la méditation. Elles sortent la journée en dehors de la ville pour découvrir les environs. Nos deux françaises ont un pied en dehors de l’ashram. Cela nous rassure.