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Chapitre 19

Chapitre 19

Published Oct 16, 2024 Updated Oct 16, 2024 Chick-lit romance
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Chapitre 19

 

 Un match de rugby ? C’est l’occasion de pavaner sa langue sur le rebord de conversations farfelues. Pas seulement. Ogron dégaine son clairon. Lucifile arrive juste au bon moment, un peu plus et elle restait sur le paillasson à baver.

Ogron nous a confectionné des soufflés au chou-fleur. Il est impensable pour lui de ne pas se plier à son commandement. Les ramequins à peine sortis du four, nous sommes, séance tenante, sommées de nous asseoir pour déguster sa première prestation. La vie est belle et le soufflé brûlant. Heureusement j’aime le chou-fleur mais Dune fait la grimace. L’excuse d’un aphte n’adoucira en rien Ogron qui bien au contraire, abusant de son double droit d’hôte et de chef cuisinier, ira jusqu’à vanter les vertus désinfectantes de ce légume.

C’est la mi-temps. Ogron nous distribue des chiffons imbibés de produit décapant.

- Un pt’it coup de main sur le balcon ? Merci !

Et nous voilà à lessiver la cuisine d’été qui n’a pas resservi depuis l’explosion , le jour de sa demande en mariage. Nous frottons un peu. Pas trop. Et optons pour la pose de deux couches de peinture. Ultérieurement.

Bientôt la fin de la mi-temps. Dune, décidément très inquiète durant les premières semaines d’absence de sa fille, vit maintenant joyeusement le voyage d’Ana par procuration. Son haleine parfumée au chou-fleur et le ventre soumis au ressac de son intolérance au chou, elle nous lit le dernier mail d’Ana. Il nous est adressé à tous.

Coucou gueux de Capcity-le-Soubresaut,

C’est Miss Poubelle ! La première partie de mon carnet de route a été publiée ! C’est cool, du coup ça me motive pour comprendre comment fonctionne cette chaine de transformation des déchets.

Maman m’a dit que vous regardiez la coupe du monde de rugby. Ils sont plus cricket ici ! Vous êtes chez Ogron, dans son canapé tout défoncé et vous vous imaginez une scène de dalao. Allez, fermez les yeux please. C’est un tas de détritus grouillant de vie humaine et animale !

Bientôt la fin du feuilleton sur les poubelles indiennes ! C’est marrant parce que le sujet n’est pas du tout glamour. Et ben ils en redemandent pour le journal étudiant, ils parlent d’étude sociologique. J’y vais à fond ! On peut dire que vous êtes chanceux, vous avez les infos en avant-première. Je suis pas certaine que maman soit passionnée par mon sujet mais je ne désespère pas !

Y a les ragpickers qui prélèvent leurs déchets sur les tas de détritus. Ce sont des cueilleurs de guenilles qui collectent et trient les ordures dans la rue. Y en a d’autres qui sillonnent les quartiers résidentiels à pied avec de gros sacs en toile dur plastifiée ou des brouettes s’ils sont mieux équipés. Ceux-là, ils ramassent les ordures que certains ont jetées juste en face de chez eux durant la nuit pour éviter complètement la marche jusqu’au dalao. En plus de ça, il y a des travailleurs qui ramassent les ordures le matin. Ils brûlent aussi les feuilles mortes des eucalyptus.

On sent que ça bouge un peu quand on discute avec nos copains indiens. Je lis aussi pas mal d’articles sur ce sujet dans la presse. C’est que ça intéresse le public.

Le degré de civisme varie d’une maison à l’autre. Dans les grandes villes, les détritus augmentent avec la population. Les habitants commencent à comprendre l’importance d’une certaine discipline quotidienne pour traiter les déchets. Tiens, hier j’ai vu des jeunes gens faire la morale à un vieillard qui jetait sa poubelle sur le trottoir d’en face. En même temps, même si on veut bien faire et ben parfois, on ne peut pas. Genre t’as beau chercher partout une poubelle, y en a pas. Tu vas pas rester avec ton papier dégueu et tout gras du samosa dans la main. Du coup, plutôt que de puer toute la journée le beignet frit et le chou-fleur, tu balances le papier sur le trottoir !

Bisous au samosa, tiens ! Faudra en faire pour que vous y goûtiez avec les petits.

Ana, la reine de la poubelle

NB : je dois avouer que je ne suis pas très assidue aux cours dispensés à la fac. On n’y comprend rien et les tables sont poussiéreuses. Si c’est pour finalement tout rebosser seules, autant le faire directement seules. Donc on déserte les bancs de la fac. Je me dis que je ne perds pas mon temps à comprendre ce qui m’entoure, le chantier est immense. J’apprends. C’est fascinant !

Bisous fascinés

Ana

- Elle devrait plutôt faire du journalisme. Je la vois bien correspondante d’un journal, genre chronique de la vie de tous les jours en Inde.

- Oui, elle parle plus de ses découvertes quotidiennes que de son sujet de recherche.

Enfant de l’immeuble, l’expérience d’Ana nous concerne tous et apporte dans nos vies les sels de l’aventure et de l’altérité. Aucun d’entre nous ne connait réellement l’Inde, ce pays si vaste à la fois fascinant et inquiétant.

Echanges par mails, Dune a aussi régulièrement Ana en ligne via skype.

- En tout cas, je suis un peu plus rassurée grâce à notre correspondance régulière. Je vois qu’Ana s’adapte !

- Elle semble bien installée dans sa maison haut perchée.

- Hormis l’épisode des rats, naturellement, je continue à faire des cauchemars, complète Dune avec des frissons.

- Le match reprend, tout le monde regarde, gronde Ogron.

Je flotte dans mes pensées, pas réellement intéressée par ce sport. Je suis toujours curieuse de lire les mails d’Ana dans lesquels je devine par procuration les odeurs et les atmosphères du ciel indien. Je ne connais pas l’Inde. Peter, Tolstoi et Sacha ouvrent grand leurs yeux, Ana est comme une grande sœur pour eux. Leur pacte est gravé en eux.  Un royaume d’aventure s’ouvre dans leur imaginaire.

Pour ma part, je communique avec Ana par mails. Prendre le téléphone même via la webcam m’est souvent une corvée accentuée par les sautes d’humeur du décalage horaire. Je relis souvent son dernier mail avant d’y répondre en donnant des nouvelles de chacun.

Je voyage beaucoup aujourd’hui. De la plate-forme œcuménique de la boutique d’Esthair jusqu’à l’univers mystérieux de l’Inde.  Le mail de ma filleule pousse chacun des convives de cette soirée ointe par la bénédiction du rugby, à plonger en soi pour s’imaginer le choc culturel de nos deux modes de vie.

Bavardages à bâtons rompus, lecture, écriture, les journées passent. C’est l’heure d’aller retrouver mes petits pour une semaine de vacances. Détendues, les retrouvailles sont sereines avec Peter, Tolstoï et Sacha. Fierté d’être leur maman, pure joie de les voir grandir.

Côté sentimental, je reste statique. Le site de rencontre Beethoc toque régulièrement à ma porte. Je me connecte, observe. Relances, invitations aguichantes. Rien n’y fait, je suis immobile et étonnée d’être immobile. Un frémissement ?

 

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