Chapitre 8
On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy9 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
Chapitre 8
Genèse de notre voisinage. L’immeuble est neuf. Nous emménageons tous au même moment, avec Lucifile et la plupart de mes voisins géniaux. Nous baptisons les murs. Vivons ensemble les premières dégradations du matériel collectif de notre gourbi. Nos premières années de jeunes mamans submergées par les couches et les tétées.
Le mercredi, la gardienne nous ouvre le jardin intérieur peu entretenu par la mairie de Capcity-le-Soubresaut. Nos marmots s’échappent dans l’herbe folle qu’ils dépassent à peine.
Parisienne d’origine Lucifile épouse un Normand, issu d’une famille traditionnelle. Elle tombe enceinte de son premier garçon. Quitte son boulot dans une grande entreprise aseptisée à l’eau de pivoine, pour élever son fils et s’occuper de la maison. Elle prépare par correspondance son concours de professeur des écoles. La nuit du concours, elle ne se réveille pas moins de dix fois pour rendormir ses petits en proie à des cauchemars pseudo-éveillés. Elle est admissible. Comme si le mode semi-lucide aux examens lui avait ouvert les portes, elle se lance à corps perdu dans la préparation des oraux. Lucifile organise à droite à gauche des simulacres d’entretiens chez voisins et amis. Ça marche, elle réussit son concours. Admiration.
Garde régulière de nos bébés respectifs chez l’une ou l’autre pour que la maman libérée puisse avoir un peu de temps personnel. Image de trois bébés du même âge sur un tapis d’éveil, mes jumeaux puis le sien. Les bébés découvrent les méandres de la société. Ils rampent, escaladent les montagnes et les ponts de paquets de couches dans le salon. Merci infiniment aux promotions des supermarchés. Ils m’incitent à stocker de la couche en pagaille.
Lucifile enseigne d’abord en maternelle. Elle y explore le domaine Montessori. Maison du bonheur pour l’enfant qui, au fil de sa progression, conceptualise et consolide ses apprentissages à travers une variété féérique d’ateliers de manipulation. Enseignement personnalisé, adaptation de l’apprentissage à l’évolution de chaque enfant.
Lucifile est discrète et peu expansive. Elle évoque par petites touches le marasme conjugal dans lequel elle vit. Son mariage bat de plus en plus de l’aile. Leur vie de couple est au point de mort. Lucifile me confie qu’elle n’a plus de libido.
L’inadéquation entre son idéal de vie et sa réalité la fait déprimer jusqu’à imaginer un changement radical de vie. J’admire sa force de conviction qui lit, interprète et agit en conséquence de sa dépression. Elle passe à l’action.
Un beau matin, amené avec fracas par des jours d’indécision et de dépression usante, Lucifile fait ses bagages. Clapots dans le couple, mise à distance évidente entre elle et son mari. C’est une manière de prendre du recul et d’aérer le couple, de lutter contre la lente asphyxie d’un mode de vie trop urbain. Elle abandonne Capcity-le-Soubresaut et le mari, qui semble approuver le choix. Terminés nos petits thés.
Lucifile déménage avec ses garçons dans un village aux chevilles baignées par la Dordogne. Elle se met en disponibilité pour faire l’école à la maison et continuer à se former en autodidacte Montessori.
Quelques mois passent entre Dordogne et région parisienne. Ils ne se séparent pas vraiment. Son mari reste travailler à la capitale. Il fait le voyage tous les week-ends pour retrouver ses enfants. Il espère par la même occasion que l’air insufflé par la distance, oxygène à nouveau son couple. Eternel idéal de reconquérir sa femme.
Cependant l’écart se creuse dans le couple qui ne tient que par les enfants. Lucifile remonte à Paris le week-end tandis que son mari descend en Dordogne pour être avec ses enfants. Période de flottement dans le pseudo couple.
Durant cette période, j’ai du mal à la voir. Nos rituels de thé me manquent. Lorsqu’elle remonte le week-end, elle repart en coup de vent, gênée de ne pas en dire plus. Je finis par forcer sa porte. Elle est au pied du mur.
- J’ai quelqu’un dans ma vie.
- Ah bon ?
Je tombe des nues.
- Oui, j’ai renoué contact avec mon premier amour sur Les copains d’avant.
- De l’école primaire ?
- Non, du collège !
Les mécanismes déjà mis en place à l’adolescence, se remettent en marche. Ils tombent en émois réciproques. Six mois de fusion passionnelle dont les voisins pourtant si proches ne devinent presque rien. Jardin secret de Lucifile.
Un jour arrive enfin où Lucifile ressent le besoin d’exprimer son amour et certainement le malaise de sa situation. Et je n’hésite pas.