Chapitre 5
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Chapitre 5
Je suis sur le point de le télécharger sur mon profil, lorsque mes voisines interviennent.
- Hors de question de te jeter dans l’arène sous cet angle trop spontané.
- La séduction, ça se travaille.
- Alors quoi ? La photo, ça ne va pas ?
Mes chères voisines Dune et Lucifile ne me répondent pas. Elles me coachent. Décidement, je suis la seule cruche du quartier à ne pas savoir comment faire ! Toutes les trois, nous partons en exploration. A la recherche de la photo perdue.
Dans le parc ferroviaire de Capcity-le-Soubresaut, les arbres ombragent le teint de la peau. Le soleil libère tout défaut. Le filtre de l’appareil aussi. Je minaude devant mes amies. Elles me mitraillent, m’assaillent de conseils suggestifs. Le ridicule féminin de la situation me saute aux yeux.
Les poules d’eau encadrent le sujet entre les roseaux. Un quatuor de palmes rouges se pose dans la mare. Il irise l’eau d’une onde de ridules. Seul le héron blanc observe la scène, immobile sur ses échasses. Derrière le petit bois, la ligne de chemin de fer emmène ses passagers loin du bouillonnement de la capitale, dans des quartiers à l’air presque provincial.
Voilà, j’ai une photo de moi dans un cadre bucolique. Portrait déconnecté de tout indice urbain alors que j’habite en ville. Le hurlement du train ne s’entend pas sur la photo. J’indique par cette image que je vis en symbiose avec la nature. Le mensonge commence. Il me donnera de l’aplomb derrière l’écran.
Fin de la séance. Caméliope est empaquetée dans sa photo présentoir. Dans le parc, je télécharge ma photo sur Beethoc. Je soupire d’aise et de fatigue. Ma joie dure peu.
Le questionnaire et la photo ne représentent qu’une étape pour accéder au site. Dune et Lucifile n’en démordent pas. Il faut bien plus pour alpaguer le chaland sur la route de la séduction.
De retour à la maison, Dune s’engouffre dans le couloir de l’appartement. Elle ouvre d’un large geste le panneau coulissant du placard. Ce dernier grince d’une manière démoniaque et saute de ses rails. La porte du placard désossée et déposée à ses pieds ne perturbe en rien Dune, concentrée sur son nouvel objectif. Elle prend une brassée de vêtements. Vient les jeter avec détermination à mes pieds.
– Habille-toi ! Enlève tes vêtements de bergère des montagnes et enfile une de ces robes avec ce collant, ordonne Lucifile d’un ton sans appel.
Je tente bien de m’insurger. De mon point de vue, ce n’est pas vraiment utile. Pour le moment, je vise juste la mise en ligne de mon profil !
– Non seulement c’est utile mais c’est même indispensable ! L’image que tu as de toi renvoie ton image aux autres. Faut que tu te sentes comme une reine, à la démarche fière et gagnante. Faut taper un grand coup !
– Ben, c’est pas gagné, surtout s’il faut que je marche avec des talons !
– L’écran, tes photos et tes mots reflètent l’image que tu veux donner aux autres, voilà ce que je pense. Par exemple, quand tu souris au téléphone, on sent le sourire derrière tes mots. Pareil quand tu écris ! Va falloir arrêter de te dévaloriser en permanence ! Personne n’aime les loosers ! renchérit Lucifile.
Dune et Lucifile se tournent l’une vers l’autre. Elles lâchent en parfaite symbiose un profond soupir. Elles tournent autour de moi. Commentent mon allure. Je conserve ma placidité de surface.
– Il y a un peu de boulot sur le look mais on va y arriver. Faudra passer par la case boutique de vêtements !
– C’est une bonne chose qu’elle ait maigri, franchement sa sveltesse ne peut que l’aider ! Elle perdra moins de temps à être opérationnelle sur le terrain.
Opérationnelle ? Je préfère rester dans le flou, ne pas demander d’éclaircissements.
C’est vrai. Je me sens légèrement moins ballonnée depuis que j’ai perdu mes dizaines de kilos de baleine. Trois enfants en deux ans. Déformation de mon galbe de mannequin qui un jour exista bel et bien dans les limbes de ma mémoire cellulaire, à l’époque de ma vie fœtale. Refonte physique effectuée grâce à un assainissement alimentaire et une bonne dose de sport. Va falloir maintenant s’attaquer à la refonte morale parce que la confiance en moi nage dans du jus de chaussettes dépareillées !
Je me rebiffe. Dune et Lucifile tiennent bon. Le rôti doit être bien ficelé pour ne pas être retourné tout de suite à l’envoyeur. Elles jacassent et partagent leurs points de vue sur les stratégies imparables de la séduction. En prévision d’une rencontre imminente, elles tiennent à ce que j’ai deux ou trois tenues prêtes dans le placard.
J’aime mon voisinage, il me fait du bien. Mais là, j’ai un peu peur. En parallèle, mon doux trépied me relance. Il me titille pour que je bouscule mon inertie. Oui, j’ai besoin d’aller de l’avant.
Après le questionnaire, la photo et la mise en habits, je potasse pendant des heures sur le texte qui sera l’accroche provocatrice d’une avalanche de propositions incroyables et féériques. J’y suis. Et je clique. Tout est prêt, le produit commercialisable.
A peine quelques minutes plus tard, je reçois des notifications. Je teste. Cherche. Réponds à des messages. Me retrouve très vite avec un rendez-vous. Le soir-même. Dire que j’ai passé la journée à m’inscrire.
Ana vient garder les garçons. Elle leur explique qu’elle va partir quelques mois. Ils passent un pacte. Elle leur promet de donner des nouvelles et d’être leur grande sœur pour toujours.
Je crois être prêtre pour cette rencontre. Toutes mes cellules sont ouvertes. Je crois avoir trouver mon complément. Puisque dans ma tête, chaque inscrit sur le site est sincère. Midinette et fleur bleue peut-être un peu naïve.
Le scénario est court. Il faut vite accomplir l’acte sinon rien ne se passe. J’y crois et m’exécute. Rien de plus. L’affaire est vite classée. Je vis une première amourette post-divorce vouée à l’échec. Dès son commencement, l’intensité dévoratrice avorte en son oeuf.