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Portrait chromatique

Portrait chromatique

Published Feb 17, 2025 Updated Feb 17, 2025 Biography
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Portrait chromatique

Vert feuille


Je divague. Je divague parce que je suis gênée. Chaque feuille est d’un vert différent, bien à elle. Alors, le vert feuille, je ne sais pas ce que c’est. Les feuilles, en revanche, ça me connaît.

Les feuilles retraçant la disposition du jardin de mon enfance, scotchées dans un herbier de fortune, toute ma fortune, le nom des essences et le plan des plantations.

Les feuilles qui me fouettent le visage, gorgées d’eau, de neige, de rire, on s’ébroue au passage, mon cheval lâche un halo de vapeur blanche dans la lumière matinale. Plus tard, en osmose, je sais quand il penchera la tête vers ces feuilles qui l’appellent et m’appellent aussi, je sens ce qu’il choisit dans le même élan, je sais.

Je sens aussi le soutien des arbres qui se courbent et me portent le long de cette piste cyclable sablonneuse au bord de l’Atlantique. J’ai déjà 60 km dans les pattes, sans eux, j’aurais été découragée.




Vert


Le vert a pris un sens inattendu dans ma vie lorsque j’ai commencé à étudier les rêves.

Assez rapidement, j’ai compris que le vert, tous ses homonymes, ses anagrammes et autres dérivés n’était autre que le rêve. Le rêve lui-même, en personne! Le monde du rêve, le rêve à qui j’accorde une volonté propre, une ambition: ce rêve qui est tour à tour inconscient, message, poésie mathématique, celui qui est l’émanation de mon âme ou bien mon âme elle-même, ma couleur particulière, mon unicité.

Chez moi, cela est vert. Je ne compte plus les collines d’herbe verte, les plis de tissu vert, les vitres et les bris de verre, les vers à soie, les eaux d’une lagune, ou les vues de Saint-Etienne (!).. tous ces symboles que le rêve, rieur, m’envoie en songe pour m’aiguiller dans l’art d’interpréter ses messages nocturnes. Le vert me guide et me conseille.

Forte de cette découverte, je réalise aujourd’hui que je baigne aussi de jour dans un environnement vert: c’est la couleur dominante de ma décoration intérieure et, dans mon appartement, le salon s’ouvre sur un écrin de verdure. En été, lorsque le feuillage est pléthorique, l’intérieur et l’extérieur ainsi se confondent. J’aime tous les verts: vert salade, pomme, vert-de-gris, vert olive et kaki, vert amande, sauge, vert bouteille, lierre, vert anis, absinthe, menthe glacée, émeraude, mousse, sapin, tilleul, vert chasseur, vert d’eau, céladon et même verdâtre. En écrivant ceci, je viens de donner au rêve qui se contemple en son miroir de quoi tisser intrigues, énigmes, jeux de piste et faux-semblants pour les nuits prochaines… Je suis prête.


Bleu cobalt


Pourquoi faut-il ajouter cobalt à bleu?

Cela sent la technique, la chimie, la dureté du métal, la géométrie et la précision.

Cela sent le discours de connaisseurs dans les allées d’un magasin de matériel de peinture où je danse d’un pied sur l’autre au rayon aquarelle sans savoir quel pinceau choisir.

Cela sent les regards réprobateurs quand j’arrive à l’examen à la bourre en ayant révisé le mauvais chapitre.

Cela sent l’imposture comme celle qui me prend à la porte d’une église, lors d’une cérémonie dont j’ignore les codes.

Le bleu cobalt ne peut pas être contourné. Je le préfère en petites touches.


Bleu marine


J’aime cette couleur qui m’illumine.

Bleu marine.

Outre le monde qu’elle convoque, peuplé de sirènes et d’étoiles de mer, le bleu marine est profond, abyssal et velouté. Pourtant, s’il recèle coquillages et poissons multicolores, il héberge aussi de grimaçantes baudroies et des pieuvres géantes aux mille ventouses. Bleu marine au plus profond, bleu marine au firmament. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Le bleu marine évoque l’infiniment grand, l’infiniment petit, les cycles, les boucles. D’après la faculté, il se range dans les bleus froids et doit donc être couplé à l’argent. Pourtant, l’or filant dans le ciel d’une nuit d’hiver transgresse la règle et c’est si beau. Le bleu marine, pour d’autres couleur conventionnelle des jeunes filles de bonne famille est, à mes yeux, fait de mystère et d’aventure, avec un soupçon de défi.



Vert foncé


De quelle couleur est-il, ce vert foncé? Est-il rompu ou saturé? Un vert militaire peut être foncé et, pourtant, n’avoir rien de commun avec un vert sapin.. lui aussi foncé, lui aussi vert.

Les couleurs me fascinent toutes.

Enfant, j’avais un jour emprunté un jouet. Il s’agissait d’une tête à coiffer et maquiller, comme celles sur lesquelles on présente les perruques dans les vitrines. Je disposais, moi aussi, de plusieurs perruques synthétiques, de couleurs grasses pour maquiller son visage et qu’on pouvait essuyer d’un coup d’éponge, de pupilles de différentes teintes et je m’en donnais à coeur joie. J’ai toujours adoré les déguisements. Celui-ci se renouvelait à l’infini, je testais les harmonies et les dissonances pendant des heures et avait décidé de devenir maquilleuse. Mes parents, qui envisageaient pour moi un avenir académique plus distingué, ne l’entendaient pas de cette oreille et la poupée me fut retirée.

Quelques décennies plus tard, je me présentai en catimini à une formation de conseil en colorimétrie. Dans le sous-sol d’un quartier délabré de Bruxelles - ville où mes engagements professionnels me propulsaient régulièrement - je courais, le soir, mélanger de la peinture en silence.

Pendant des heures. Je fabriquais du vert, du vert foncé même et un millier d’autres nuances, je constituais en mosaïque un cercle chromatique de taille respectable fait de subtiles touches de gouache. Une fois mon oeuvre complète et sèche, je découpais patiemment tous les petits carrés de couleur et les éparpillais sur une gigantesque table à dessin. Tout était mélangé dans un grand éclat de rire. Puis je reprenais mon travail minutieusement et réorganisais, un par un, les petits carrés de papier colorés, jusqu’à reconstruire exactement le cercle chromatique alors que les nuances voisines ne se différenciaient que par l’ajout d’une ou deux gouttes de couleur différente. Jaune plus une goutte de bleu, jaune plus deux gouttes de bleu, plus trois gouttes… etc. J’adorais cette activité esthétique et méditative, censée aiguiser mon regard et ma perception.

De ce point de vue, ce fut une réussite.



Brun


Je suis brune. Mes cheveux sont bruns. L’étaient.

Ah oui, c’est du passé. Et pourtant, je ne l’ai pas encore compris. Je dis encore que je suis brune.

J’imagine une couronne sombre, une crinière en contraste, encadrant mon visage dans un reflet familier et intime. J’imagine encore, lorsque je me conçois, l’image de l’adolescente dans le miroir de ma chambre. Un joli miroir carré, minuscule dans son large cadre en noyer, un joli reflet, un oeil vif, une joue rebondie et la chevelure d’un brun profond, cadre dans le cadre: mon visage était ombre et lumière, j’aimais ces contrastes. Plus tard, j’ai porté les cheveux longs. De longues mèches bouclées et sombres balayaient le paysage devant moi à chaque coup de vent, chaque mouvement de tête.

Pour avoir cru que mon corps m’appartenait, qu’il était moi, je suis chaque jour stupéfaite de découvrir sur une photo prise en plein soleil des mèches blanches comme neige, comme des langues de sel dansant devant mes yeux, un peu comme si elles venaient d’arriver et tombaient là par hasard. C’est scandaleux, inimaginable et pourtant: j’ai les cheveux clairs finalement.


Magenta



Rouge froid. Rose, affirment les mauvaises langues. Violet? Non… Magenta. C’est curieux, j’entends rarement magenta cité dans les conversations. On dira rouge, on dira fuchsia ou rose indien à la rigueur, on dira pourpre. Mais magenta? J’en conclus que magenta est élitiste.




Jaune verdâtre


Le jaune verdâtre pourrait-il alors être la couleur de la colère, de la moutarde qui vous monte au nez?

En relisant un texte plus ancien, un chapitre de mon mémoire sur l'interprétation des rêves de 2018, je suis tombée sur un passage dans lequel je comprenais, à travers l'analyse d'un songe plein de poétiques images d'excréments, qu'il m'était conseillé de laisser libre cours à la colère. Colère, sourde encore, qui, à l'époque, me rongeait. Ce que je fis. Ce conseil était judicieux et je me félicitais, dans mon mémoire, de l'effet thérapeutique du rêve.

Aujourd'hui, ce passage me donne clairement l’impression d’une immaturité, d’un fier effort presque touchant pour braver, encore toute tremblante après la mue, des carcans intérieurs aussi obsolètes qu’encroûtés. Ce jaune verdâtre - en route sur le chemin du jaune, de l’or - me permet de mesurer la liberté d’être acquise depuis .. et donc celle à acquérir encore et encore. Me voilà avec un nouveau projet de vie, où rêves et couleurs me portent: continuer ardemment l’oeuvre alchimique intérieure.


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