On peut croire décider librement alors qu’on ne fait que rejouer, sans le savoir, des morceaux de passé. C’est toute la subtilité de ce que l’Analyse Transactionnelle nomme « contamination ». L’état du moi Adulte, censé être le centre de discernement, le lieu de la lucidité et du choix présent, se laisse envahir. Non pas par malveillance, mais par confusion. Il est parasité par des croyances héritées ou des réactions émotionnelles qui prennent le pouvoir sans le prévenir. Il ne voit plus la réalité telle qu’elle est, mais à travers les lunettes d’un passé non digéré.

Comment retrouver une position claire, non pas parfaite, mais simplement plus juste ? Il ne s’agit pas de désinfecter son psychisme à coups de principes, mais de réapprendre à écouter, à trier, à douter.

Premier geste : repérer ce qui, en soi, parle le plus fort. Une certitude rigide ? Une peur disproportionnée ? Une pensée automatique, répétée mille fois ? Il y a sans doute là un signal. Le Parent ou l’Enfant sont aux commandes, l’Adulte a quitté le poste.

Décontaminer, c’est d’abord refuser la soumission intérieure. Cela ne signifie pas faire taire les autres états du moi. Ce serait une nouvelle forme de violence. Au contraire : il s’agit de les écouter sans obéir, de les interroger sans les fuir. Une injonction se présente ? Très bien. On peut la laisser parler. Mais il devient alors essentiel de l’examiner à la lumière du présent : est-elle adaptée à cette situation ? Est-ce une norme encore utile ou un vestige devenu stérile ? L’émotion est vive ? Soit. Mais à quoi répond-elle exactement ? À une menace réelle ou à un écho ancien ? Ces questions, simples en apparence, peuvent produire de sérieux déplacements.

Ce travail n’est pas seulement intellectuel. Il passe aussi par des déplacements plus subtils. Un Enfant blessé peut s’apaiser si un Parent nourricier prend le relais. Un Parent rigide se détend parfois si l’Enfant libre trouve un espace d’expression. Il ne s’agit pas d’éradiquer un état du moi mais de les remettre à leur place, en les laissant dialoguer sans domination.

L’Adulte, lorsqu’il revient, ne tranche pas d’un coup sec. Il doute. Et c’est précisément cela qui le rend fiable. Il ne prétend pas savoir tout de suite. Il prend le temps. Il suspend les automatismes. Il ne cherche pas la cohérence parfaite mais une forme de justesse suffisante, en contexte.

Il ne s’agit pas ici d’élaborer une méthode à suivre, mais une attitude à cultiver. Il suffit parfois d’une seconde de silence avant une décision. D’un sursaut de lucidité face à une réaction démesurée. D’une question posée sans exigence de réponse immédiate. Cela ne garantit pas des choix parfaits, mais cela redonne un peu d’espace intérieur.

L’A.T et Eric Berne ont mis le doigt sur un concept très important. Il me semble réaliste de dire que nous pouvons à tous moments faire l’objet de contaminations du Parent et de l’Enfant. Ces contaminations sont nourris par nos familles, et aussi par nos amis, collègues, conjoints, figures d’autorité et réseaux sociaux.

Il est donc difficile d être Soi, et c’est possible. C’est le travail d’une Vie.

Une fois n’est pas coutume mais je me réfère pour traiter mes contaminations et celles de mes clients aux quatre principes de Spinoza : ne pas railler, ne pas condamner, ne pas déplorer, comprendre…

Vivre heureux , ce n’est pas vivre sans peurs ni héritages. C’est choisir de ne plus s’y soumettre à l’aveugle. C’est refuser que la pensée d’un autre temps prenne le pouvoir sur le présent. Ce n’est pas une posture héroïque. C’est un exercice modeste, quotidien, souvent imparfait. Mais à terme, c’est ce qui libère.