A la santé de nos échecs !
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A la santé de nos échecs !
11 juin 2020
À la santé de nos échecs.
C'est fou, c'est à peine crédible, c'est étonnant. Lorsque la molette de la souris fait défiler devant mes yeux éberlués le fil du journal de bord du réseau social, les réussites de mes amis virtuels me sautent à la face. Les succès pétaradants boostés au positivisme absolu me pousseraient presque aux rives de la dépression et ma vie devient alors d'un banal teinté de sombre, presque la vie d'un misanthrope reclus dans sa cambrousse. A ceci prés que je suis heureux dans mon repli, du moins c'est l'impression que j'en ai.
Et untel de nous donner une liste exhaustive de ses polluants déplacements à travers le monde, et un autre au volant de rutilantes carrosseries, qui boit du Petrus d'un air cérémonial et supérieur alors qu'il pourrait jouir d'un Cadablès, bien meilleur, et se pavane en vacances de pacotilles dans un club darladiladada. Qui se targue d'une insolente réussite équilibrée par un sens du partage jamais égalé me proposant — en cliquant plus bas — de révéler le talent qui se cache sous mon épaisse carapace de vigneron un peu bourru. Que nenni, rien à foutre de vos salades pestilentielles !
Mes amis sont formidables ! Seulement ils me culpabilisent fortement, à fréquenter les meilleurs endroits, à avoir fait cent fois le tour du monde, à ne manger que des mets délicats et les photographier afin d'en faire profiter alentour et même plus loin. Une vie formidable à la une de sa propre télévision.
J'en deviens à mes yeux un échec ambulant, un fantôme décharné sans substance, sans densité et mes cheveux qui blanchissent me renvoient inéluctablement à la santé de mes échecs.
Ah, mes échecs ! Parlons-en justement. Généralement ils reluisent entre deux réussites éloignées en prenant la forme de projets avortés, de claques dans la gueule, de désobligeances outrancières, d'orages de grêle, de coup de Jarnac, de manque de nez ou d'oreilles attentives, de manque de pot, d'ambitions non contrôlées.
Et pourtant je ne les porte pas à la une de mes dires, à la gondole de mon égo et pas plus pour afficher ostensiblement les quelques réussites qui en résultent.
Dans le fond j'ai fini par m'y attacher à ces échecs comme on s'enticherait d'un chien de quai, d'un chat un peu galeux.
C'est qu'ils sont attachants mes échecs, mes coups du sort et ils m'ont poussé à aller plus loin, à aller voir au-delà de la porte claquée, à partir respirer un air de liberté, à jeter un œil de travers, à aller à la rencontre de l'iconoclaste, du clown pour apprendre à écouter son ressenti en n’ayant que faire de la pensée édulcorée, canalisée dégoulinante de nos sociétés bien polies qui ont décidé de nous faire évoluer dans de petites boites trop étroites à mon thorax déployé. J'ai toujours eu envie de respirer.
L'échec pousse au large.
Déjà, très jeune, une cascade en bécane avait sérieusement anéanti mes ambitions estudiantines et rugbystiques en me clouant quelque temps sur un lit d’hôpital d'où il fallut se relever pour réinventer un avenir parsemé de quelques réussites. Et puis toutes ces entreprises individuelles conjuguées en famille, parsemées de vagues, de cols, de tempêtes, de fausses fraternités, de vraies rencontres, de folie douce qui aident à espérer, à arrimer ses convictions au réel en un semblant de réussite qui apparaît alors comme une chance.
Il faut du temps, de la sueur, des rires et des peines pour se comprendre un tantinet et c'est à deux que l'édifice prend forme en une joie re-jaillissante. Le mat, paroxysme de l’échec éblouit par la brillance de l'espoir se laisse choir aux oubliettes. Et le chemin s’entrouvrit dès lors que nous le prîmes à l'envers.
Et ainsi va la vie d’échecs en réussites discrètes, menues. Polarité essentielle à l’équilibre de nos délires. L’échec va dans le sens, donne de la santé, de la vitalité à nos entreprises lorsque la vie reprend le dessus. Avoir confiance en ses déboires en arrêtant de regarder le doigt pour mieux fixer l'étoile.
C'est tout un ensemble de choses dérisoires, de petits trucs insignifiants qui préfigurent un absolu. Vus du dessus, tous ces revers deviennent moindres et nous poussent vers nous-mêmes. Une victoire sans l'épice de la défaite est bien trop fade pour l'annoncer à grand renfort de tambours. Une éclatante réussite dans le mépris de l'autre n'est qu'un échec mal interprété.
Et je déroule le bandeau incessant des réussites amicales en m’apercevant que je ne reconnais pas grand monde dans ce dédale numérique qui défile sur mon écran.
Ah zut, je suis sur le profil d'un autre qui n'a pas dû penser à se déconnecter.
Errare humanum est. Je ne persévère pas, je déconnecte. Ouf !