Le car de Monsieur Thune
Le car de Monsieur Thune
Voilà un conte que j'ai écrit il y a longtemps mais qui n'a jamais été publié. C'est une histoire pour enfants et pour adultes qui ont gardé leur âme d'enfant.
LE CAR DE MONSIEUR THUNE[1]
« Allez les enfants, on va être en retard ! »
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C’est ainsi que s’adressait Monsieur Thune, chaque matin à 7 heures 29 minutes, aux douze enfants qui montaient dans son car. C’était un solide gaillard d’une soixantaine d’années, les pommettes rouges, les yeux très bleus et une grande écharpe rouge autour du cou. Le rendez-vous se faisait place de l’Église d’où le car partait invariablement à 7 heures et demie précises. Monsieur Thune, le chauffeur et propriétaire du véhicule hors d’âge, était d’une exactitude irréprochable. Jamais une minute de retard depuis toujours.
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Saint-Sauveur en Hurepoix ne possédait pas d’école. C’était un petit village distant de quelques douze kilomètres d’Arpajon. Et, si à l’époque des parents et grands-parents, on allait à l’école d’Arpajon à bicyclette, en voiture à cheval et plus récemment en mobylette, il n’en était plus de même aujourd’hui. Depuis quelques années, il y avait le car de Monsieur Thune. Oh, il n’était pas bien grand, ce car ; vingt places, tout au plus. Monsieur Thune l’avait acheté d’occasion, très bon marché, car il était très vieux. Toutefois, sur la place de l’Église, lorsqu’un rayon de soleil se glissait entre les branches des tilleuls, il avait encore belle allure. D’autant que Monsieur Thune ne comptait pas son temps pour le laver, astiquer ses chromes, le bichonner comme pour lui donner l’aspect du neuf.
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Le Maire du village, Marcel Ronet, avait réussi à faire participer la commune aux frais de transports des enfants depuis le village jusqu’à l’école d’Arpajon, aller et retour. Cependant, Monsieur Thune n’en tirait aucun bénéfice, cela couvrait juste les dépenses de carburant et les quelques réparations parfois nécessaires. Ce qui le faisait vivre, c’était d’être le « patron » du « Café des Deux tilleuls ».
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Monsieur Thune était très aimé des enfants du village. Il faut dire qu’il le leur rendait bien. Son amour pour les enfants n’avait d’égal que son amour pour son car que les enfants appelaient « Trompette » sans doute à cause du coup de klaxon enroué de 7 heures 25, ou encore des chromes rutilants comme le cuivre d’une trompette.
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« C’est Trompette, Maman ! » disait le petit Pierre en entendant le coup de klaxon du matin. « Vite, Odile, dépêche-toi, Trompette est là ! » lançait Cédric, le fils du boulanger, à sa sœur. Certains enfants, comme Thomas, le fils du Maire, le reconnaissaient même avant que le car pousse son cri de ralliement, juste au bruit de son moteur ; boudoudoum… Boudoudoum… boudoudoum. Thomas ne cessait de supplier Monsieur Thune de le laisser tenir le volant ou passer les vitesses. Comme il n’y avait généralement pas un chat sur la route étroite, Monsieur Thune cédait et le prenait sur ses genoux en lui laissant tenir le volant.
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« Allez les enfants, dépêchez-vous ! » disait Monsieur Thune avant de monter à sa place de pilote. Et l’on était parti dans un nuage de fumée. Douze kilomètres à travers champs sur une toute petite route, avec deux arrêts : le premier au hameau des Logettes pour prendre en charge les deux enfants de la ferme Morel ; et le deuxième aux Quatre-chemins, où trois gosses habitant les fermes environnantes attendaient patiemment sous le poteau indicateur du carrefour. La distance était parcourue en une vingtaine de minutes jour après jour. Un peu plus vite par beau temps et un peu plus lentement lorsque les nappes de brouillard de l’Essonne montaient jusqu’à la route, poussées par le vent d’Est. Mais presque jamais les enfants n’étaient arrivés en retard à l’école d’Arpajon.
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Le voyage ne manquait pas de gaieté. Il y avait toujours trois ou quatre enfants pour chanter à tue-tête tout au long du trajet. Et cela ravissait Monsieur Thune et le mettait de bonne humeur pour toute la journée.
« Alors, comment ça a été, c’matin, Patron ? » demanda le boulanger vers huit heures et demie à Monsieur Thune, le patron du Café des Deux Tilleuls. Pour lui, levé à quatre heures, son travail était terminé. Il avait enfourné ses derniers pains et venait prendre un solide casse-croûte avant d’aller sommeiller un peu.
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— J’ai rencontré une voiture, aujourd’hui, répondit Monsieur Thune. J’sais pas qui c’était. C’était un gars pas de chez nous, il était immatriculé 78.
— Encore un qui s’est paumé avec tous ces travaux, les déviations… reprit le boulanger.
— C’est vrai que pour l’gars qui connaît pas et qui doit prendre la nouvelle route de Corbeil, c’est pas facile ! ».
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Chaque évènement, que Monsieur Thune rencontrait au cours de son trajet du matin ou du soir pouvait ainsi alimenter la conversation avec chaque client. Il faut dire qu’il ne se passait pas grand-chose à Saint-Sauveur. Mis à part le mariage de la fille Rachoux en août dernier, et peut-être celui du fils du secrétaire de mairie qu’on espérait proche, ou bien quelque décès de temps à autre, c’était bien tout. Et ce « tout » là, on se le racontait au Café des Deux Tilleuls.

On était en février et le printemps, bien qu’encore lointain, semblait faire de timides essais, pour voir. Un matin, il faisait bien plus froid qu’à l’ordinaire. « Moins sept degrés Celsius » annonçait le gros thermomètre « Martini » exposé sur la façade du café. Pourtant, le ciel promettait une belle journée. Pas le moindre brouillard, cette fois. Le jour se levait à peine et les collines qui surplombent la vallée de l’Orge se détachaient en noir sur un fond rosé. « Trompette » était là à 7 heures 25, pimpante comme d’habitude, enveloppée d’un nuage de fumée blanche avec un peu de givre sur les vitres. On avait entendu le coup de klaxon puis l’éternelle recommandation de Monsieur Thune : « Allons, les enfants ! Dépêchez-vous sinon on va être en retard ! ». Et le convoi était parti à 7 heures 30 précises. Il avait plu, la veille, et la route était verglacée. Surtout au niveau du passage escarpé, vers le Moulinet. Monsieur Thune connaissait la route par cœur, chaque virage, chaque déclivité. Et son car ne l’avait jamais trahi. Mais, ce que Monsieur Thune ne savait pas, c’est que ce mardi matin, un bolide fou viendrait à sa rencontre, conduit sans scrupule par un conducteur imprudent, ne connaissant pas les pièges de cette route, et se croyant sans doute au paradis des automobilistes..
Quand Monsieur Thune vit arriver en face de lui cette voiture tout en travers, car elle venait de déraper sur une plaque de verglas, il tenta de freiner. Mais percevant que cela serait la pire chose à faire, il essaya de raser au plus près le bord de la route afin d’éviter la voiture. Mais elle était si étroite, cette route ! Monsieur Thune tenta désespérément d’éviter le choc au dernier moment… Et il y parvint. Cependant, alors que la voiture avait repris sa direction normale, la roue arrière du car avait dépassé les limites de la chaussée et, le bord étant penché vers un champ légèrement en contrebas, le car bascula lentement sur la droite et s’immobilisa, à demi couché sur le côté, comme une bête blessée. Comme Monsieur Thune roulait très prudemment et que les enfants avaient senti glisser le car, s’accrochant aux poignées des sièges, il n’y eut par bonheur aucun blessé sérieux. Sauf le petit Pierre qui se plaignait d’avoir reçu un coup de pied au front de la part de son voisin de gauche. Monsieur Thune avait quand même eu très peur. Il réussit à faire sortir tout l’équipage tant bien que mal par la portière de gauche, côté chauffeur, avec quelques circonvolutions. Tous les enfants semblaient indemnes.
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« Hé, dites, comment ça va ? Rien de cassé ?
— Maman ! Maman ! J’ai mal, pleurnichait le petit Pierre.
— Oups, j’ai eu peur, M’sieur, dit Cédric en soufflant. »
Monsieur Thune recompta deux fois la marmaille.« Neuf ! Mais…
— Aidez-moi, je suis coincée ! appela Claudia »
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Monsieur Thune n’avait pas vu que la petite était encore dans le car, tout au fond. Elle avait basculé de telle sorte que sa jambe gauche était coincée sous la barre d’appui du siège. Monsieur Thune se précipita à l’intérieur et réussit à débloquer la jambe de la petite Claudia. Comme elle était au dernier rang, il brisa la vitre arrière pour la faire sortir plus rapidement.
« Bon ! Tout le monde est là maintenant ? Allez, hop ! Ne vous éloignez pas et attendez-moi là ».
Monsieur Thune escalada le talus, pensant que la voiture folle se serait arrêté quelques mètres plus loin, à moins qu’elle eût plongé, elle aussi, dans le champ un peu plus loin. Rien à droite, rien à gauche. On entendait seulement au loin le bruit d’un moteur qui s’éloigne. La première émotion qui lui vint fut de la colère. « Ça alors… Ça alors ! » répétait-il sans cesse. Il redescendit le talus pour vérifier l’état des enfants qui s’étaient regroupés les uns contre les autres à cause du froid, puis jeta un coup d’œil à son car. Le vieil engin, couché sur le côté, avait très mal supporté le choc. L’ensemble de la caisse était faussé, tordu, et le rendait pratiquement irréparable. C’est d’ailleurs l’avis que donna le carrossier d’Arpajon, quelques jours plus tard : « irrécupérable ». Monsieur Thune s’assit sur une souche, les mains sur la tête, et refoulant une larme devant les enfants qui, eux, commençaient à sortir de leur frayeur.
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« Ça fait rien, M’sieur, on en rachètera un autre, dit Thomas.
— Mais oui, c’est pas si grave, soyez pas triste, M’sieur, ajoutèrent les autres enfants.
— Ou bien on va le faire réparer, ajouta Cédric. Mon papa il connaît un carrossier à Arpajon. »
Mais Monsieur Thune savait bien que c’était irréparable.
***
« Allez, vous allez venir avec moi, je vous ramène à Saint-Sauveur. On n’est pas très loin. »
Monsieur Thune resserra son écharpe autour du cou, ferma son blouson de cuir et réunit les dix enfants autour de lui. Puis la troupe démarra à pied sur la petite route verglacée en direction du village. À peine avaient-ils fait une centaine de mètres que l’on entendit le bruit d’un moteur qui s’approchait. Monsieur Thune se retourna. C’était Monsieur Morel du hameau des Logettes qui arrivait dans sa camionnette.
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« Mais qu’est-ce qui se passe, Monsieur Thune ? Et le car ? demanda le fermier. Mes deux petits sont revenus à la maison au bout d’un quart d’heure, et ils m’ont dit « Papa, c’est pas normal, M’sieur Thune n’est jamais en retard » Alors, moi j’ai pensé qu’il y avait eu quelque chose de grave.
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— Regardez en arrière, là-bas dans le champ, répondit Monsieur Thune
— Oh, mon Dieu ! J’avais pas vu. C’est pas possible ! Et les petits ? S’inquiétait Monsieur Morel.
— Hé oui. Un dingue en voiture, en travers de la chaussée, il avait dérapé et voilà… Il ne s’est même pas arrêté. Il a filé après avoir failli provoquer une catastrophe…
— Dites, y a pas de blessés au moins ?
— Non, ils vont bien. Mais j’ai eu peur !
— Hé les plus petits, venez avec moi, montez dans ma camionnette, je vous ramène. »
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Monsieur Thune aida les plus petites jambes à grimper dans la camionnette du fermier, puis il reprit sa marche avec les quatre plus grands à ses côtés. Monsieur Morel n’eut même pas à faire un second voyage. Une fois débarqué les six enfants, place de l’Église, on pouvait apercevoir au loin la troupe des quatre grands menée par Monsieur Thune.
***
Le Maire du village, toujours bien organisé, avait agi très vite. Il avait rassemblé le conseil municipal le soir même pour lui faire part de son initiative et obtenir l’accord des administrés. Dans l’après-midi, il avait téléphoné à la Compagnie AUTRANS, une grosse affaire de transports en commun d’Arpajon. En discutant et, compte tenu des circonstances exceptionnelles, la compagnie de cars avait accepté de faire un détour par Saint-Sauveur pour amener la douzaine d’enfants à l’école d’Arpajon.
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L’incident, une fois la peur passée, s’était révélé pour les enfants une source intarissable d’histoires et de bavardages à l’école, avec tout ce que cela comporte d’exagérations. Certains en avaient fait un miracle. D’autres, une bagatelle de rien du tout. Au village, au comptoir du café, les adultes discutaient avec passion au sujet de l’accident. La colère rougissait les pommettes de certains dont les couleurs étaient déjà bien soutenues par le café-calva. D’autres réconfortaient comme ils pouvaient Monsieur Thune.
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On avait extirpé le car de Monsieur Thune de l’ornière grâce à deux tracteurs puis transporté au carrossier d’Arpajon qui avait dit « Bon pour la casse, mon vieux ! Irréparable ». Bien qu’il s’en doutât un peu, Monsieur Thune était triste, déprimé. Il fallait voir sa mine grise, inlassablement penchée vers les carreaux de faïence qui couvraient le sol. Tout son univers de gaieté et d’amour s’écroulait : les cris des enfants, même leur indiscipline lorsqu’ils sautaient sur les fauteuils, leur bonne humeur, les bagarres à la sortie de l’école qui se terminaient toujours dans son car par des éclats de rire… C’est ça qui lui donnait le plus de tristesse. Quant à son car qu’il chérissait, l’expert de l’assurance lui avait répété qu’il n’était pas réparable. Toutefois, bien que le véhicule ne fût plus coté depuis longtemps (pensez donc, il était âgé de 25 ans !), une petite compensation avait été allouée.
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Tous les matins, quand le grand car de la compagnie Autrans arrivait sur la place de l’Église, en faisant de longs « Pfffff » d’air comprimé, Monsieur Thune soulevait un coin du rideau de sa porte. Il regardait, le nez sur le carreau, observant les enfants grimper un à un et s’installer sagement sur les banquettes. Puis, le car partait. Et alors, sa gorge se serrait un peu plus à chaque fois. Au retour, les enfants n’avaient plus le même enthousiasme. Il faut dire qu’avec la Compagnie Autrans, les règles étaient strictes. Thomas n’avait plus le droit de se tenir debout à côté du chauffeur. Le petit Pierre n’avait pas le droit de sauter sur la banquette. Cédric et Odile n’avaient pas le droit de se disputer. Et personne n’avait le droit de chanter. Chacun, à la descente se disait un petit « aurevoir » furtif puis filait vers sa maison.
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Un mois était passé. La Compagnie Autrans faisait des affaires. Les fonds de la commune commençaient à s’amenuiser. Un village de cinq-cents habitants ne pouvait se payer le luxe de détourner pendant des années le car de transport scolaire sans songer à augmenter les impôts. Et puis, ce n’était plus pareil : les enfants n’avaient plus si bonne mine. Le petit Robert qui aimait tant observer tous les gestes de Monsieur Thune au volant, et regarder la route avec lui, comme lui, devenait triste aussi.
Un soir, le boulanger alla voir le Maire.
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— Marcel, dit-il, plein d’enthousiasme, j’ai une idée. Ça ne peut plus durer. Il faut faire quelque chose.
— Je sais bien, répondit le Maire, mais que faire ?
— Écoute, Cédric et Odile m’ont dit qu’ils avaient tout raconté à la maîtresse. Toute l’école est au courant. La maîtresse a parlé aux enfants. Elle leur a donné l’idée de faire une collecte d’argent. Si on se cotisait, nous aussi, dans le village ? Comme ça on pourrait racheter un car d’occasion. Ça doit bien se trouver, non ?
— Faut voir. C’est une idée, répondit le Maire. Ceci dit, on n’a que cinq-cents habitants… Bon, mais alors, il faut que Thune n’en sache rien, compris ?
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Le Maire et le boulanger allèrent voir la maîtresse de l’école d’Arpajon. Tous les enfants furent mis dans le secret de ce projet. Toute l’école avait désiré participer. Le Directeur avait écrit une lettre à chaque famille pour leur demander leur soutien. Même le Maire d’Arpajon, avait fait voter une aide financière à la commune de Saint-Sauveur.
Le vendredi soir, en rentrant à la maison, Cédric, le fils du boulanger, courut vers son père, tenant à bout de bras une boîte à chaussures.
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— Papa, regarde tout ce qu’on a récolté en une semaine !
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Il ouvrit la boîte. Il y avait quantité de chèques et de billets. Aussitôt, le boulanger alla au comptoir du magasin et, avec la caisse enregistreuse, il se mit à faire l’addition. Soixante trois mille francs (ce serait environ 9000 Euros d’aujourd’hui). Il n’en revenait pas. Alors il sortit du magasin et alla chercher le Maire.
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— Marcel, regarde ce que les enfants ont récolté à l’école d’Arpajon, j’ai fait le compte. Soixante-trois mille francs !
— Bravo, formidable ! Moi, j’ai reçu un chèque du Maire d’Arpajon : Cent quatre-vingt-dix mille francs ! (près de 30 000 Euros) On peut envisager quelque chose avec cette somme. Demain, je file voir les marchands de véhicules d’occasion, on ne sait jamais.
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Le lendemain, il n’y avait pas école. Monsieur le Maire emmena son fils Thomas faire la tournée des casses et marchands de véhicules d’occasion. En fin de matinée, le Maire avait trouvé (avec l’avis de son fils) un car en assez bon état : un ancien bus de la RATP, en fait, mais assez bien reconditionné. Seulement, il était aux couleurs de la compagnie de transports parisiens, ce que Thomas n’aimait pas trop.
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— Papa, ça serait possible de le repeindre aux couleurs de Trompette ? Rouge et jaune comme avant ?
— Bonne idée, fiston ! J’appelle tout de suite le carrossier d’Arpajon.
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Le lundi suivant, sur la place de l’Église, Thomas, tout excité, s’était levé tôt et venait de monter dans le nouveau car en appuyant sur le klaxon avec insistance : tuuut-tuuut-tuuut. Dans la salle du Café des deux Tilleuls, derrière son comptoir, Monsieur Thune qui discutait avec Monsieur le Maire, jeta un coup d’œil à travers le rideau. « Non… Ce n’est pas possible… Marcel, c’est pas possible… ». Il enfila une écharpe, sa vieille veste de cuir râpé et sortit, suivi du Maire qui avait peine à cacher un sourire. Alors il s’arrêta net. Son regard se fixa tout droit. Ses yeux se mirent tout d’un coup à briller et deux grosses larmes coulèrent sur ses bonnes joues. Il avança prudemment, avala sa salive, comme si ce nouvel engin eût été un mirage. Jaune et rouge, avec des chromes ravivés, le car était là, paisible, sur la place, bien au milieu des deux tilleuls, laissant entendre un ronronnement différent mais agréable « boudoudoum… boudoudoum… ». Déjà sept ou huit gosses avaient pris place à l’intérieur et sautaient de joie sur les banquettes. Et sur chaque côté, à la peinture rouge, en très belles lettres à l’anglaise, on pouvait lire « Trompette N°2 ».
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Monsieur Thune grimpa, s’assit sur le siège du conducteur, le régla à sa taille, toucha les commandes, caressa le volant, comme pour s’assurer que tout cela était bien réel. Il resta ainsi deux ou trois minutes, silencieux, laissant courir son regard partout, en s’essuyant un peu les yeux de temps en temps. Puis il leva la tête bien droit et dit : « dépêchez-vous, les enfants, on va être en retard », en s’accompagnant d’un grand coup de klaxon.
[1] Cette histoire se passe dans les années soixante-dix, bien avant Internet, les téléphones portables, les tablettes, les microordinateurs et les Euros.
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