L'instinct.

Ce don qui claquait comme une évidence
Que la nature avait érigé au sommet de sa pyramide,
que l’animal le plus insignifiant possédait quelque part en lui.

Les religions les courants philosophiques la science la psychologie en débattaient depuis des siècles, l’accordant à l’humain ou le lui arrachant selon l’angle adopté …

Pourtant quelque soit celui sous lequel on étudiait Gilles : il en était totalement dépourvu.

Preuve en était son nouveau boulot
qui le plantait au milieu de la chaussée avec la pancarte du jour :

Bien évidemment il avait suivi une n^ième formation durant laquelle on lui avait expliqué que les passants, par définition, passaient !
Surtout dans la rue,
son principal et désormais lieu de travail.
Il ne s’était cependant pas attendu à être dépassé par l’indifférence quand ce n’était pas de l’agacement voire de l’hostilité que déclenchait son approche.
Les jeunes s’arrêtaient pour s’enflammer ce qui mettait presque en péril son propre discours et les vieux l’écoutaient pour passer le temps. Les plus récalcitrants appartenaient à la tranche d’âge 35-50 comme si ce qui les séparait des deux versants de la vie leur offrait une chance d’être intelligents.

Le vrai problème c’est qu’il n’avait pas vu venir le premier gars

Avec son costard de cadre en pleine ascension et sa serviette en cuir qu’il balançait comme une arme de pointe.
- Vous savez qu’on l’appelle aussi le « chat-ours » à cause de ses pupilles fendues verticalement ?

Mince !
Gilles n’avait pas assez bien révisé ses classiques.

- Il est un symbole d’innocence parce ce qu’il ne mange que des bambous ! Reprit le pseudo-spécialiste - Il peut en ingurgiter jusqu’à 20kg par jour et passe près de 14 heures à les mastiquer en raison de sa faible capacité à assimiler la cellulose ; comme n'importe quel ursidé, il ne peut en digérer que 17%.

Sûr, le type était vachement calé !

- Il a vu son habitat réduit par l’explosion de la démographie humaine, la déforestation, les constructions exploitant les ressources en tout genre, l’accroissement des zones agricoles …

- C’est encore un coup des chinois !

C’est là que la donne avait basculé

Avec l’intervention du deuxième type à la barbe revêche et à la pupille dilatée de rancoeur.
- Mais les européens sont tout autant responsables !! Avait malencontreusement rétorqué Gilles

Et ici que tout avait foiré

Le préposé à l’aide sociale avait ameuté les promeneurs (comme jamais Gilles n’en aurait été capable), contrecarré par le rond-de-cuir dont la serviette frappait les airs comme un drapeau mal fixé.
Après une gracieuse envolée les plaquettes avaient été piétinées par les deux clans qui s’étaient formés l’un vers la place Saint Martin, l’autre vers la boutique Anouk (très pratique pour les piliers qui permettaient de se camoufler avant de lancer les stylos récupérés sur le stand).
Ce dernier avait été balayé.

Au sol se tordait la banderole qui aurait dû afficher le sommet de la journée :

Photo de couverture et illustration : Chantal Perrin Verdier