Pandémie: nous trompons-nous de combat?
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Pandémie: nous trompons-nous de combat?
Il est aisé d'apprécier Jean-Dominique Michel dont les propos d’anthropologue de la santé au sujet de la pandémie sont devenus viraux sur le net. Je le connais un peu, Genève étant une petite ville, et je confirme qu’il est aussi sympathique que ses écrits et ses vidéos le laissent apparaitre. Il écrit et s’exprime bien, il a un franc parler rare dans ce monde du politiquement correct et possède cette qualité que j’apprécie particulièrement : il sait glisser les grains de sable qu’il faut dans les rouages d’un système qui essaie trop souvent de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je soutiens donc pleinement sa démarche de dénoncer les incuries du monde politique et médical qui, s’était-il préparé à la crise de manière responsable, aurait sans doute pu éviter une bonne partie du désastre que nous traversons.
Jean-Do, comme l’appellent ses proches, fait bien d’insister sur ce point. Il sera important de rechercher les responsabilités dans cette débâcle. Il distingue, à mon avis à juste titre, la question de la non-préparation à une pandémie de la question de la gestion de la crise elle-même.
La première question est cruciale pour tirer les leçons de ce fiasco. Les plans de préparation à une pandémie existaient mais ils n’ont pas été suivis ou n’ont pas pu être appliqués pour des raisons qu’il conviendra de rechercher. Il serait sain, dans un système démocratique qui se veut transparent et comptable, d’identifier pourquoi nous n’étions pas prêts et de condamner, s’il le faut pénalement et sévèrement, les responsables de ce manquement grave. Il paraît difficile d’accepter qu’il existerait une justification valable pour des pays « riches » de ne pas avoir été prêts et équipés en masques, en tests, en matériel, etc…..Certains pays l’étaient, comme par exemple l’Allemagne et la Corée du Sud. Pourquoi ne l’étions-nous pas? Sera-t-il suffisant d’arguer que pour le SARS et le MERS nous étions préparés et que les cris d’alerte infondés - puisque que le drame attendu ne s’était pas produit – a fait que nous n’y avons plus cru lorsque le Covid-19 est arrivé ? A force de crier au loup….
La deuxième question, celle de la gestion de la crise, est plus délicate. Peut-on reprocher à des dirigeants, compte tenu de la situation factuelle de non préparation, d’avoir opté pour telle ou telle mesure ? Il ne me semble pas que le débat doive se focaliser sur ce point. Je n’aurais pas voulu être un politicien et devoir trancher dans ce contexte de non-préparation et d’urgence.
Certes, comme le relève Jean-Do, la tentative du politique de s’en remettre au (ou plutôt se défausser sur le) corps médical dont ce n’est pas le rôle de décider de mesures nationales en cas de crise sanitaire, peut sembler maladroit. Notre expert est également particulièrement sévère face à l’incapacité du monde politique à reconnaître ses erreurs. A cet égard, on peut certainement s’interroger sur le rôle de l’OMS, son financement, sa gestion de cette crise, ses revirements et du processus de nomination de ses organes dirigeants.
Mais s’il est vrai qu’il est pénible de voir nos politiciens s’enfoncer dans différentes contradictions, par exemple au sujet des masques, on comprend leur réaction malgré tout. Jean-Do regrette cette attitude et y voit une forme de malhonnêteté, voire « d’imbécilité technique ». Mais mettons-nous à la place de nos dirigeants. Si vous étiez au Conseil Fédéral, vous verriez-vous annoncer publiquement : « Désolés chers concitoyens, nous avons failli à notre tâche, nous avions réduit les stocks de masques et de tests et autres matériels pour des raisons économiques et la crise arrivée, nous avons un peu paniqué. Du coup nous avons pensé bien faire et vous suggérer de rester tous chez vous, quitte à endommager sérieusement des pans entiers de notre économie, quitte à créer un climat anxiogène, quitte à limiter vos libertés individuelles, etc….Nous nous sommes dit qu’il fallait refuser du monde dans les hôpitaux, sauf s’ils étaient sévèrement atteints du Covid-19, refuser aux médecins le droit de prescrire certains traitements, refuser à la presse un libre accès au séances du gouvernement, etc…. Rien de tout cela ne serait arrivé si nous avions été bien préparés et nous sommes désolés de vous avoir menti pour les masques, mais nous n’en avions pas assez. Quant à la question des dédommagements pour réparer le préjudice, nous souhaitons bien sûr pleinement assumer notre responsabilité tant collective que personnelle dans ce désastre, essentiellement avec vos futurs impôts toutefois » ?
Un tel discours paraît effectivement difficilement envisageable de la part de nos dirigeants. Ils n’en seraient plus à craindre pour leur réélection, mais pour leur cou. Car en faisant amende honorable, ce serait leur tête qui risquerait de faire les frais de l’ire de la population.
Il y a en revanche deux points sur lesquels je suis plus dubitatif que notre expert Jean-Do. Le premier, quand il affirme que le virus ne toucherait pas les pays chauds. Les chiffres du Brésil, du Pérou et de l’Équateur ne semblent pas le confirmer. Mais le second surtout, quand il compare les chiffres du Covid-19 à ceux de la grippe. Même s’il a la prudence de préciser qu’il espère que les chiffres annuels de décès de la grippe sur le plan mondial (environ 600'000) ne seront pas atteints par le Covid-19, il n’en demeure pas moins que la comparaison ne me semble pas aussi scientifique qu’elle pourrait l’être. Je lui ai demandé s’il ne fallait pas plutôt comparer les chiffres hebdomadaires actuels que des chiffres annuels possibles. Combien de cas d'infection et de décès du Covid-19 il y a eu dans chaque pays la semaine du 30 mars 2020, par exemple, et les semaines suivantes ? Et comment ces chiffres se comparent-t-ils au nombre de décès de la grippe sur les mêmes semaines en 2019, et les années précédentes ?
Je ne suis ni expert, ni scientifique, mais il me semble que pris sur base hebdomadaire, les chiffres raconteraient déjà une histoire sinon différente, du moins plus précise. Sans escompter le fait que les chiffres du Covid-19 ont peut-être été affectés à la baisse par les mesures de confinement et de distanciation sociales. Pour la grippe, aucune mesure d’une telle ampleur n’est venue potentiellement diminuer le nombre de décès les années précédentes. Même la Suède, dont on dit que son approche de non-confinement obligatoire se révélera peut-être la meilleure, compte déjà 8 fois plus de décès que ses voisins, la Norvège et la Finlande qui ont mis en place des mesures de confinement. Il semble en tout cas prématuré d'affirmer, sur la base des statistiques disponibles quelles seraient les conséquences des mesures mises en place par certains pays de confiner ou non leur population, notamment en termes de nombre de décès.
De toute façon, la comparaison avec la grippe parait difficile, car les données de base ne sont pas les mêmes, en raison des mesures de confinement qui faussent l'analyse. Même la Suède a émis un certain nombre de recommandations, certes non-obligatoires, qui ont eu pour conséquence que les suédois ont moins voyagé, davantage télétravaillé et fait preuve du sens civique et de la discipline qu’on peut attendre d’une culture plus nordique que méditerranéenne. Cela signifie que même les comparaisons avec la grippe que pourrait faire la Suède ou que l’on pourrait faire entre d'autres pays et la Suède sont faussées par une donne de départ qui n’est pas celle d’une saison de grippe habituelle puisque, de notre vivant, on n'a encore jamais mis une bonne partie de la planète sous verrou pour une grippe.
Vient ensuite s’ajouter une autre complication : dans la phase initiale de la crise, a-t-on fait les tests nécessaires pour déterminer si les décès étaient causés par le Covid-19 ou par la grippe ? N’y a-t-il pas eu mélange statistique qui rendrait la distinction entre les deux délicate ? Tous les décès ont-ils été comptabilisés comme il le fallait ?
Je n’ai toujours pas reçu de réponse sur le décompte hebdomadaire de la part de Jean-Do à l’heure où j’écris ces lignes. Il est vrai qu’il est extrêmement sollicité, notamment avec la parution de son livre, Covid-19, anatomie d’une crise sanitaire. Je n’en déduirai pas pour autant qu’il existerait un agenda de la part de certains qui consisterait à soutenir le narratif du Covid-19 comme n’étant rien de plus qu’une grippe, ce qui expliquerait une partie du succès - par ailleurs parfaitement mérité - des propos de notre expert en France, notamment auprès de médias s’opposant au gouvernement actuel. Mais je persiste à penser qu’il serait souhaitable que cette question puisse être regardée de plus près avant de paniquer devant cette pandémie ou au contraire de la banaliser et de savoir si nous pourrons ressortir de chez nous sans crainte.
Je crains toutefois que de jongler avec les statistiques à ce stade ne soit plus contre-productif qu’autre chose. Il paraît trop tôt pour affirmer que les chiffres dont nous disposons sont véritablement parlants, car nous n’avons pas le recul suffisant. Et il n’est pas même sûr qu’avec le recul, nous parviendrons en en tirer quelque que chose de probant. La prudence paraît donc de mise avant de jouer aux comptables et de présenter des conclusions définitives. Bien évidemment, on peut compter sur les politiques pour faire exactement le contraire, en fonction de leur agenda.
Une autre question intéressante serait de savoir s’il est vraiment opportun de mettre en place des procédures de tests systématiques, préconisées par Jean-Do. Le pourcentage de la population infectée, vraisemblablement plus élevé aujourd’hui que lors de l’apparition du virus, rendrait-il le procédé sans pertinence ? Et dispose-t-on d’ailleurs des tests adéquats pour le faire et en quantité suffisante ? Les PCR dont sont équipés les hôpitaux, au-delà de leur méthode assez invasive, auraient apparemment un taux de faux négatifs pouvant aller jusqu'à 80%. Et surtout est-ce que cela fait vraiment du sens de tester des personnes ne présentant pas de symptômes?
Et je mentionne au passage la problématique de la restriction des libertés individuelles que soulève l’idée évoquée d’un passeport immunitaire, car c’est un vaste débat en lui-même…… Il me semble que la question des responsabilités, si elle est importante, ne doit pas occulter ce débat, au moins autant crucial, qui tourne autour du choix de société dans lequel nous souhaitons vivre. Allons-nous laisser l’État continuer à restreindre nos libertés individuelles ? Serons-nous assez effrayés pour obéir aveuglément à des dirigeants qui ont démontré leur incurie de façon patente ? Allons-nous continuer à vouloir d’un monde polissé et policé, qu'on voudrait garantir sans accrocs, tant nous ne supportons plus la souffrance et les vicissitudes de la vie ? Et allons-nous être assez naïfs pour croire l’État qui nous le promettrait, au prix de nos libertés individuelles ? Là sont davantage les questions desquelles nous devons nous préoccuper aujourd’hui, indépendamment de savoir si ce virus n’était rien d’autre qu’une mauvaise grippe, et quoi qu’en disent les statistiques (ou quoi qu’on veuille faire dire aux statistiques).