Sans revenir sur l’origine du concept de la « théorie du complot », à laquelle j’avais déjà consacré un article, il m’a paru utile d’établir un petit guide à l’usage des amoureux de la science-fiction qui, il faut bien le dire, ont été sérieusement déstabilisés ces derniers temps par une quantité inhabituelle de propos dérangeants ayant pour conséquence d’aller jusqu’à les faire douter du plaisir authentique qu’ils ressentaient à regarder Star Wars, Bienvenue à Gattaca ou BFM TV.

Je précise que cet article n’est pas destiné à ceux qui seraient en quête de vérités ou qui rechercheraient des clefs de compréhension pour décortiquer l’actualité dans le but de découvrir ce qui se passe réellement derrière le flot de communications venant des Merdias dominants ou de la presse alternative. Ce type d’exercice est hautement déconseillé, ne pouvant mener au mieux qu’à une censure par Face de Bouc ou d’autres réseaux sociaux garants de nos vertus, sanction infamante que l’on ne saurait souhaiter même à son pire ennemi.

Il s’agit ici de rassurer le citoyen bien-pensant qui frémit légitimement devant l’idée même de devoir opérer le choix cornélien qu’implique toute prise de décision, puisque décider conduit par la force des choses au dilemme craint par tous du renoncement. Car qui dit choix, dit forcément renoncement. Et renoncer n’est jamais facile. Qui n’a en effet jamais connu les affres du questionnement qui peut nous hanter après avoir pris une décision plutôt qu’une autre : ai-je bien fait, et si j’avais décidé autrement, n’aurais-je pas plutôt dû, etc…. ? Il est parfois tellement plus simple de ne pas devoir décider, de pouvoir faire ce qu’on nous dit, en se lavant les mains (comme dirait Ponce Pilate), sans avoir à réfléchir, parce que d’autres l’ont fait pour nous, des experts, des scientifiques, des dirigeants. La liberté, surtout celle de choix, est pesante pour beaucoup, car personne n’aime l’idée du renoncement qui sous-tend toute décision faite au détriment d’une autre.

Renoncer à une croyance est aussi une épreuve pénible. J’ai longtemps pensé que mes parents étaient d’abominables complotistes quand ils m’ont annoncé que le Père-Noel n’existait prétendument pas. Je dédie donc cet article à tous ceux qu’on ne saurait blâmer de vouloir maintenir du rêve dans leur vie, et je souhaite leur offrir quelques astuces pour mieux naviguer entre le doux monde de la Science-Fiction et celui repoussant du Complot ourdi par des esprits chagrins.

Le Complot dérange

Si une information vous dérange, il y a de fortes chances qu’elle relève d’une théorie du complot. Si on vous avait annoncé il y a un an que vous devriez porter un masque dans la rue et vous munir d’une autorisation pour sortir de chez vous, cette information vous aurait probablement dérangé et vous auriez eu toutes les raisons de considérer qu’il s’agissait d’une théorie du complot. Maintenant qu’on s’y est habitué, il n’y a plus lieu de la considérer comme telle, mais il y a un an, cela aurait été clairement très complotiste. Et il aurait été raisonnable ne pas y croire, car une telle affirmation aurait sans conteste été considérée comme une tentative peu crédible, dérangeante et malvenue de nous faire sortir de la fiction que nous vivions dans un monde de libertés que jamais nous n’aurions envisagé de devoir défendre. Nous étions tellement habitués à notre liberté que nous n’en connaissions même plus le prix. L’idée que l’on puisse la restreindre aurait par définition été complotiste.

Que Joe Biden devienne Président des Etats-Unis ne saurait en revanche être considéré comme une théorie du complot, car sa nomination, même si obtenue par une éventuelle fraude électorale, ne dérange que peu de monde. Du moins parmi les gens qui comptent, car on ne saurait s'inquiéter de l'avis de hordes de « déplorables » situés dans la cambrousse entre New-York et San Francisco. Ce qui dérangerait, c’est que Trump reste Président. Donc toute tentative de prétendre que l’élection serait truquée se doit d’être forcément une théorie du complot.

La Science-Fiction rassure et il faut la préserver

J’avais bien aimé Robocop car je ne m’imaginais évidemment pas qu’une telle fiction puisse devenir réalité. Je me contentais du plaisir de vivre sur grand écran les frissons procurés par des aventures qui ne viendraient jamais perturber la réalité de mon quotidien. Maintenant que le Pentagone a mis au point des robots qui font apparaître Robocop comme un personnage de série B pauvrement réalisée, je n’ai aucune envie de croire que les mouvements de « Defund the Police » aux Etats-Unis vont nous mener progressivement au remplacement de ces affreux policiers, qui passent leur temps à perpétrer des violences policières, par des gentils robots incapables de commettre de telles injustices.

Donc si l’on me prétend que les mouvements contestataires qui dénoncent les violences policières sont financés par des groupements d’intérêts que l’on peut lier à l’industrie de la robotique, je crie à la théorie du complot. Je ne vois pas pourquoi l’on m’enlèverait mon rêve que Robocop n’est qu’un bon film de science-fiction et je ne suis pas prêt à avaler que je ne suis que bêtement manipulé lorsque j’exige à cris d’orfraie que l’on vire tous les policiers au motif que certains d’entre eux commettent des bavures.

C’est la même chose avec Star Wars. J’aime bien Yoda, mais il ne faudrait pas exagérer lorsqu’on entend que l’ancien patron des programmes spatiaux israéliens affirme qu’Israël et les USA sont depuis longtemps en contact avec la « Fédération Galactique ». Me retrouver nez à nez avec Yoda et ses camarades, c’est autre chose que les voir sur grand écran, et là je m’insurge forcément devant pareille hypothèse qui ne peut par nature être autre chose qu’une ridicule théorie du complot. Non pas parce qu’elle serait sans fondement, mais bien parce qu’elle dérange. Alors s’il vous plaît, ne touchez pas à ma Science-Fiction en tentant maladroitement de la faire devenir réalité, car vous vous mettriez d’emblée dans la catégories des vilains complotistes.

Les théories du complot du moment

Tout comme les abjectes théories du complot qui foisonnaient il y a un an, il y a pléthore de nouvelles théories qu’il faut rejeter en masse par les temps qui courrent. En tout cas jusqu’à ce qu’on s’y habitue, comme les masques et les autorisations de déplacement.

La théorie du vaccin obligatoire est probablement la plus infâme des théories qui tentent de se faire une place au soleil ces jours-ci. Car notre Marron et Manuel nous l’a bien confirmé, il ne rendra pas le vaccin obligatoire. De prétendre qu’il aurait menti si le Parlement venait à proposer la vaccination obligatoire serait de la pure diffamation. Manu n’a aucun pouvoir sur le Parlement et donc il ne saurait être accusé d’avoir menti. D’ailleurs le Parlement n’a aucune intention d’imposer la vaccination puisqu’il a immédiatement retiré la proposition de faire voter dans l’urgence entre Noël et Nouvel An une loi qui permettrait au Premier Sinistre de faire piquer tout quidam qu’il jugerait utile de soumettre à cet acte qui normalement requiert le consentement de l’intéressé. Prétendre qu’il s’agissait soit de voir si une telle mesure passerait discrètement pendant les Fêtes ou de nous préparer psychologiquement à ce qu’on nous réserve pour l’avenir n’est que pure théorie du complot.

Dans la série bien complotiste, je vous jette pêle-mêle quelques théories pas piquées des vers : des petits malins auraient calculé qu’il y a un pourcentage de l’humanité qui aurait une contribution économique négative et qu’il faudrait les éliminer : les vieux, les assistés, les obèses ou autres exclus du système pour des raisons de santé, d’inaptitudes physiques ou psychologiques, brefs tous les bras cassés qui coûtent un maximum au système et qui contribuent inutilement à la surpopulation et à l’explosion des coûts sociaux et médicaux, sans rien rapporter. Du coup, on aurait inventé une thérapie génique, qu’on ferait passer pour un vaccin, qui consisterait à inoculer à ces inutiles une technologie qu’on pourrait ensuite activer à distance, avec l’aide de la 5 G, pour déclencher des cancers ou Dieu sait quel disfonctionnement qui les ferait disparaître graduellement et discrètement. Pour savoir qui dégommer, on combinerait des scores d’utilité sociale donnés par des algorithmes avec les relevés d’ADN spécifiques à chacun, prélevés grâce au tests PCR, dont une autre théorie du complot voudrait qu’ils ne serviraient qu’à cela, car leur taux d’erreur pour dépister le Covid-19 s’élèverait à plus de 90% selon les derniers experts en complots. A moins que l’utilité des tests PCR ne soit de créer un maximum de cas positifs dans un premier temps (attention, pas des malades, mais des "cas"), pour justifier les confinements et l’imposition du vaccin. Ce qui expliquerait pourquoi les labos appliqueraient pour les tests PCR jusqu’à 45 cycles d’amplification, alors qu’au-delà de 25 cycles, les tests n’auraient aucune pertinence. L’idée serait ensuite de baisser le nombre de cycle d’amplification de ces tests, dans un deuxième temps, après les premières injections du vaccin, pour pouvoir démontrer, au vu de la réduction du nombre de cas positifs qui en découlerait, que le vaccin marche et convaincre les récalcitrants que ça vaut la peine de le prendre. Selon une dernière théorie, il paraîtrait que si l’on n’est pas trop famille, comme Manu, une bonne inoculade serait même assez jouissive.

Les Merdias à la rescousse

Pour contrer l’imagination débordante et dérangeante de tous ces complotistes, certains Merdias n’ont pas hésité à prodiguer à l’intention de leurs auditeurs des conseils pour qu’ils ne se laissent pas perturber par ces théories farfelues. Ainsi la BBC a émis un guide à l’usage des citoyens bien-pensants qui auraient parmi leurs proches des complotistes, pour les aider à mieux dealer avec ces trouble-fêtes lors des réunions de famille encore autorisées. Indispensable, car la BBC, en forte chute d’audience comme tous les Merdias dominants, semble avoir réalisé que ses auditeurs pourraient délaisser le Gospel de la Vérité par la Pensée Unique diffusé sur ses ondes, s'ils se laissaient contaminer par des opinions potentiellement aussi contagieuses que le Covid-19, à défaut d'avoir été "vaccinés" en amont par des mesures de prévention efficaces contre la propagation de pareilles théories du complot.

Cette initiative de la BBC est remarquable. J'ai été pétrifié de réaliser la semaine dernière qu'un de mes meilleurs amis était un complotiste. Il m'a texté qu'il allait faire vacciner toute sa famille car il n'y avait "pas d'autres solutions pour sortir de la crise". Pourtant l'OMS vient d'affirmer qu'il n'y avait aucune preuve que les vaccins empêcheront la transmission du Covid-19 et qu'il faudra continuer le port du masque et la distanciation sociale. Il y a quelques semaines l'OMS confirmait qu'il n'y aurait pas de retour à la normale avant au moins deux ans. Que faire donc quand un proche vous balance une théorie que le vaccin va tout régler, alors même que les autorités de santé annoncent le contraire? J'ai essayé l'humour en lui envoyant une vidéo amusante qui glorifie tous ces citoyens désoeuvrés qui, comme de courageux soldats inconnus, sauvent des vies en restant chez eux, avec le sentiment confortant qu'en continuant à ne rien faire, ils étaient des héros. Il ne m'a même pas envoyé de voeux pour Noël.....

Mais tout n'est pas perdu. Une de mes amies, également complotiste (bien que probablement à l'insu de son plein gré), vient de se réjouir de l'approbation par le Conseil d'Etat italien de l'utilisation de l'hydroxychloroquine comme traitement lors de l'apparition des premiers symptômes du Covid-19. Pourtant il y a encore peu, elle affirmait de façon éminemment complotiste que seules des études en double-aveugle concluantes pourraient justifier que des médecins prescrivent cette thérapie suspecte que Trump prétendait prendre et qui ne l'aurait pas empêché de tomber malade. Comme quoi, il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis!

Renversement du fardeau de la preuve

J’aimerais, pour terminer, avancer une théorie du complot qui dévoie complètement les principes juridiques de la charge de la preuve, de la présomption d’innocence et de la proportionnalité.

Car seul un complotiste à l’esprit bien tordu pourrait plaider que les vaccins ou passeports santé, dont l’on parle beaucoup en ce moment pour avoir le droit de retourner à la normale, provoqueraient un renversement du fardeau de la preuve du droit inaliénable à disposer de son corps et de sa liberté de mouvement. En effet, à qui revient-il de démontrer que l’on n’aurait plus le droit de se déplacer librement sur notre planète, qui aux dernières nouvelles fait encore partie du patrimoine commun que se partagent naturellement tous les règnes du vivant qui l’habitent ? Est-ce aux dirigeants que nous avons élus et qui décideraient tout d’un coup que nous devrions être présumés dangereux ou est-ce à ceux qui ont toujours joui de cette liberté, comme l’écureuil qui monte sur un arbre ou le randonneur qui parcoure les campagnes, de prouver qu’il est digne de pouvoir continuer à le faire?

Je tiens à rassurer tous les bien-pensants, il convient d’interner dans l’asile psychiatrique le plus proche tous ceux qui voudraient mettre sur le dos de nos autorités le fardeau indu de devoir démontrer qu’un être vivant n’a plus le droit de jouir de sa liberté comme avant. Il faudrait en effet être bien dérangé pour considérer que c'est aux responsables politiques - dont la mission est de contraindre la population et non de la représenter - de démontrer qu’un citoyen serait un danger pour la santé publique s'ils ont l'intention de le restreindre dans ses libertés fondamentales. Qu'en effet, aucun juriste, même incompétent, ne saurait prétendre qu'en la matière tout citoyen bénéficie d'une présomption de bonne santé, de capacité de discernement et de non dangerosité pour les tiers, jusqu'à preuve du contraire.

Il est dès lors parfaitement absurde d’imaginer qu’il n’incombe pas à tout citoyen d’apporter la preuve de son aptitude en termes de santé à utiliser des services publics ou privés qui sont à sa disposition et qu’il paierait avec ses impôts ou sa carte de crédit. Qu’en aucun cas il ne serait raisonnable d’exiger des représentants en charge de ces services publics ou privés de prouver son éventuelle dangerosité pour autrui et de lui démontrer "préjudiciellement" que les moyens qu'ils voudraient mettre en oeuvre pour pouvoir l’accuser de la sorte - et par conséquent l'empêcher de fonctionner normalement en tant qu'être humain - respectent le principe de la proportionnalité et ont fait leurs preuves de façon irréfutable. Non, le citoyen doit être présumé dangereux, pour lui-même, pour autrui et pour la société en général, et c’est à lui de démontrer qu’il ne le serait pas, avec des moyens décidés par l’Etat. Quiconque prétendrait le contraire n’est qu’un abominable complotiste.

Car lorsque l’on a peur de la liberté au point de ne plus connaître ses droits, comment s’attendre à ce que de ridicules velléités de défendre une saugrenue vision de cette liberté, laquelle ne relèverait même plus de la science-fiction, soient prises pour autre chose qu’une gigantesque théorie du complot.

Bon, sur ce, je vous laisse et retourne à la dégustation de ma complote aux pommes....

Philippe Szokoloczy-Syllaba, le 28 décembre 2020

PS: la rédaction, la validation, la recherche des reférences et des images libres de droit, la mise en page et la publication d'un article me prennent généralement deux jours pleins environ. Je n'entends pas être rémunéré pour ce travail, car le plaisir que je retire de l'écriture est une forme de rémunération en soi. En outre je peux me permettre, encore pour le moment, cette activité sur mon temps libre. De plus les sujets que je prétends aborder me semblent suffisamment importants pour assumer bénévolement la contribution que je tâche d'apporter à une reflexion utile, espérons-le, pour ne pas dire nécessaire, en cette époque charnière.

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