Chapitre 27
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Chapitre 27
Lundi 22 avril 2022
— Mon bébé chouchou à sa maman, c’est moi !
Je referme la porte d’un coup d’épaule, pose mes sacs et retire mes chaussures. A cloche pieds en train d’ôter ma deuxième ballerine, je sautille jusqu’au salon.
— Ca va mon p’tit chat ? Maman ne t’a pas trop manqué ?
A deux doigts de me prendre le pied dans le tapis, je me rattrape à la table basse. Un peu plus et je m’étalais comme une crêpe au milieu du salon.
— Tout va bien, j’informe mon poisson en me redressant. Alors bébé chou, qu’est-ce tu me racontes ?
Je reviens dans l’entrée, défais le foulard autour de mon cou et accroche ma veste.
— C’est moi qui ai donné à manger aux poissons de tonton Rick ce matin. Des petites choses toutes vivantes qui gigotaient dans tous les sens. Apparemment ça leur permet de garder leur instinct de chasseur. Un peu répugnant ces trucs de deux millimètres, je ne suis pas prête de t’en donner. Mais Rick se fera un plaisir de t’en amener un jour. Même si je lui ai interdis. Il m’a déjà fait tout un speech sur le fait que c’est important, que ça t’aidera aussi à garder la forme etc. Donc il va débarquer un jour avec ces trucs vivants, j’en mets ma main à couper.
J’ouvre mon sac et en sors le carnet que Rick m’a offert. Il me sert de journal depuis presque une semaine. Je lui confie tout ce qui a changé dans ma vie depuis le début du mois et il y en a beaucoup.
Lundi dernier, j’ai commencé par noter que le 1er avril j’ai acheté un poisson rouge en promotion avec le bocal offert. Le 3 avril j’ai commandé l’aquarium et le 4 avril il a été livré et Lili m’a aidé à l’installer. Mais surtout, ce 4 avril, je suis allée sur un forum d’aquariophilie pour avoir des conseils et j’ai reçu un message de Rick. Onze jours plus tard, alors que nous allions nous promener au zoo de Vincennes après que Rick ait passé la nuit chez moi, il m’a offert ce carnet. Sur la couverture il y a un magnifique poisson rouge avec des nageoires en voiles. Je n’ai même pas eu à réfléchir quoi noter dedans, j’ai tout de suite su qu’il recueillerait toutes mes confidences. En une semaine j’ai déjà écrit sur plusieurs pages. C’est pourtant un carnet grand format et j’ai une écriture relativement petite. Pour que ce soit plus joli, j’ajoute des couleurs et gribouille même quelques petits dessins qui ne ressemblent jamais à ce que j’essaye de représenter. Mais écrire me fait du bien. Noter tous mes petits bonheurs, mes joies et mes pensées positives. Quel plaisir, jour après jour de respecter mon nouveau rituel. Je suis même impatiente chaque fois de prendre le moment de me poser pour écrire la suite.
Je ne me retiens pas plus longtemps et me met à table avec une trousse de feutres et un pot avec plusieurs stylos. J’ouvre le carnet et débouche mon stylo plume.
22/04/2022
Cher journal,
Ca y est je suis chez moi. Il est dix-heures et trente-quatre minutes. Surimi nage, il a l’air de bien supporter mon absence même si je m’inquiète chaque fois. Qui aurait cru que je développerais une telle fusion avec mon poisson ? Il y a vingt-deux jours, j’étais contre l’idée d’avoir un animal. J’étais encore au fond du trou. A me noyer dans ma peine. Enfoncée jusqu’au cou dans les sables mouvants de la dépression. Je n’avais plus le goût de vivre. Mes cheveux étaient de deux couleurs. Chaque jour j’étais en pyjama. Le même pyjama… Je prenais une douche par semaine. Je ne mangeais que des kiris. Beaucoup de kiris. J’ai dû faire exploser les ventes. Ils ont probablement risqué la rupture de stock juste à cause de moi. Je me gavais des petits fromages carrés en pensant à Mickaël sans arrêt. J’avalais des cachets tous les jours. Plusieurs fois par jour. Ils me ramollissaient le corps et surtout le cerveau. Toutes les journées je les passaient dans mon lit. Sortir de ma chambre pour aller jusqu’au canapé constituait un trajet trop long vu mon manque d’entrain.
Vingt-deux jours plus tard, ma vie a pris un tournant que je n’aurais jamais pu imaginer. Et tout ça, grâce à un poisson en promotion à l’occasion du 1er avril ! Franchement, qui l’aurait cru ? Même Lili a dû mal à réaliser qu’elle a changé ma vie en me parlant de sa voisine qui s’est suicidée plusieurs fois jusqu’à adopter son chien. Yuki va bien d’ailleurs. Je suis allée chez ma meilleure amie ce week-end, elle était tellement heureuse que je fasse le trajet pour passer un moment avec elle. Et en repartant, j’ai croisé la voisine et son rat de chihuahua ! Ah mais comment de tels animaux peuvent exister ? On dirait une grosse saucisse courte sur pattes. Et puis ça braille. Un vrai chanteur ce bestiau. Aurélie le trouve adorable. Selon elle il a une bouille trop craquante avec ses grands yeux. Mouais… Nous n’avons pas la même vision du mot « craquante. » Enfin…
Chez Rick, hier soir nous avons regardé le peuple migrateur de Jacques Perrin. Je l’avais visionné il y a longtemps. Le revoir m’a donné l’occasion de ressentir encore plein d’émotion face à la beauté de la nature. Rick est toujours en extase lorsqu’il regarde ce genre de film. Je comprends mieux qu’il travaille dans l’édition de documentaires, dédié à la nature et aux animaux. Il est fait pour ça.
Une notification m’interrompt dans ma rédaction. Sans grande surprise, je vois que c’est un message de Rick. Il me demande si ce soir nous pouvons faire des spaghettis avec des tomates et des olives vertes. Comme je ne peux rien lui refuser, je réponds qu’il n’y a aucun problème. Je dois justement aller en courses aujourd’hui.
Je termine d’écrire mes pensées de l’instant et referme le carnet. Comme presque tous les jours, je vais devant le buffet où le deuxième aquarium que Rick m’a prêté est installé. Déjà quatre jours qu’il m’a aidé à le mettre en route. Depuis, une fois par jour je teste l’eau avec les kits pour surveiller le fameux pic de nitrites. Si tout se passe bien, dans quinze jours je pourrais aller chercher la future amoureuse de Surimi. J’espère qu’elle ne sera pas trop mal dans ce bac qui n’a aucun décor et semble bien vide. Mais Rick sait ce qu’il fait. S’il dit qu’il vaut mieux éviter d’ajouter des éléments c’est sûrement vrai. Et puis Tarama ne sera dans cet aquarium provisoire qu’une dizaine de jours. Alors je m’arme de patience. La semaine dernière, nous avons également refait un saut chez Fishland. J’ai repris des plantes et Surimi en a déjà dévoré plus de la moitié. Quel goinfre.
Une nouvelle notification. Aurélie me demande si son arête favorite va bien.
Lou : Surimi pète la forme.
(Et c’est moi la maman poule ?)
Lili : Je suis sa marraine ! C’est normal que je prenne mon rôle très à cœur.
Puis tu le laisses une nuit sur deux depuis une semaine.
C’est de l’abandon pur ! J’hésite même à te dénoncer à Brigitte Bardot.
Elle me fait rire. Malgré tout ce qu’elle peut dire, je vois bien qu’elle s’est attachée à sa petite arête. Surimi 1er du nom est un vrai séducteur. Il met tout le monde dans sa poche. Entre tata Lili et tonton Rick, je vois bien qu’il commence à prendre la grosse tête. Et je crois que ça me rend de plus en plus jalouse, ce qui les fait beaucoup rire. De penser à eux, me donne l’occasion de reprendre mon stylo en main.
Aurélie et Rick ne se sont pas encore rencontrés, pourtant chacun connait presque toute la vie de l’autre. Rick m’a dit plusieurs fois qu’il avait l’impression que ma meilleure amie habitait avec nous. Parce que oui, nous vivons ensemble. Enfin non, nous ne vivons pas ensemble. En réalité, depuis lundi dernier nous passons toutes nos journées ensemble. Et les nuits aussi. Lundi, après notre visite au zoo nous sommes allés chez lui. Je suis restée dormir. Et mardi soir, il est revenu chez moi. Et mercredi… et ça fait une semaine déjà que ça dure.
Aujourd’hui Rick a repris son travail, nous n’allons pas passer la journée ensemble. J’ai encore plus hâte que la soirée arrive, pour le voir arriver chez moi. Lundi dernier, comme il n’était pas prévu que je termine chez lui pour la nuit, je n’avais pas emmené d’affaires. Rick a eu la gentillesse de me prêter un t-shirt et un pantalon de sport pour dormir. Mais dès le lendemain, j’ai remis ma combinaison Winnie l’ourson. Il m’a avoué trouver très drôle que je porte ce genre de chose. Mais que ça me va très bien. Apparemment ça me rend encore plus mignonne à ses yeux. Alors j’ai décidé de laisser ma combinaison chez lui pour quand je reste dormir et j’ai acheté une deuxième paire de chausson avec des têtes de panda cette fois. Lui aussi a commencé à laisser des choses chez moi.
Mercredi, quand il m’a proposé de laisser quelques affaires, plutôt que les amener, les reprendre, puis revenir encore avec…Ca m’a fait des fourmis dans le cœur. L’image n’est pas très romantique, pas autant que celle des papillons dans le ventre en tout cas. C’est pourtant ce que j’ai ressenti. Jamais Mickaël ne m’a autorisé à laisser quoi que ce soit chez lui. Il ne voulait pas que je « l’encombre » qu’il disait. Je ne pouvais même pas laisser une brosse à dents et me trainait mon sac avec ma trousse de toilette et des vêtements chaque fois que je restais chez lui.
Rick est tellement différent de Mickaël. Je n’ai pas à cœur de les comparer, mais l’écart entre les deux est si grand que je ne peux que le constater.
En début d’après-midi, je prends un panier et passe dans les rayons du SuperU. Des spaghettis, des tomates et des olives vertes. Un filet de babybel rouge pour Rick, la traditionnelle boite de kiris pour moi. Nous faisons nos courses presque au jour le jour, à tour de rôle. Alors que je me mets dans la file d’attente de la caisse, mon portable sonne.
— Coucou Bichette, c’est maman.
— Coucou. J’attends à la caisse, je peux te rappeler d’ici dix minutes ?
— C’était juste pour te dire que j’ai enfin retrouvé le film que tu m’as demandé. Mais tu peux me rappeler.
Ahhh, elle l’a ! crie une voix dans ma tête.
— Merci Maman. Tu me diras quand je peux venir le chercher. Ou tu viens et profites pour faire un coucou à Surimi 1er ?
— Hmm. Allez c’est d’accord je viens voir Surimi la star. Je pars du bureau vers dix-sept heures. Je viens directement ?
— Oui. Je te laisse je dois poser mes articles.
Tout juste raccroché, je souris en me disant que nous avons notre programme pour ce soir. Blue le film documentaire Disney sur les océans. Rick ne le connait pas et je ne suis pas peu fière de lui faire découvrir. Ma mère qui a toute la collection des dvd Disney devait juste remettre la main dessus. Je ne l’ai jamais regardé, pas suffisamment intéressée par le monde marin jusqu’ici. Mais mon intérêt pour les poissons et mammifères marins croit de jour en jour.
Quand je rentre avec mon sac de course, je me rappelle que je dois reprendre rendez-vous avec mon médecin. Rick a raison, reprendre mon travail ne pourra que m’aider. En plus, je me sens prête. J’ai moins besoin de dormir. Mon cerveau a cessé de se ramollir comme un loukoum. Je retrouve même de l’énergie. Puis surtout, être entourée de livres me manque, même si j’en ai chez moi et qu’il y en a aussi chez Rick. Depuis une semaine je lis juste une ombre, l’un des livres qu’il m’a défié de lire. Pour le moment je n’ai pas encore fait de cauchemars, mais heureusement qu’il est à côté de moi lorsque je ferme le livre et éteint la lumière. Sa présence me rassure.
Je me fais chauffer de l’eau et me prépare un thé à la fleur d’oranger. A la table, j’allume mon ordinateur portable et ouvre le traitement de texte. Nez à nez avec la page blanche, je pince les lèvres et tourne la tête vers l’aquarium.
— Par quoi je démarre ? Plutôt quelque chose comme : il était une fois ? Ou : notre histoire commence ? Ou ni l’un ni l’autre ?
Comme à son habitude, Surimi nage et s’amuse avec sa balle de ping pong, sans me répondre.
— Je vois, je vais devoir me débrouiller toute seule… Bon, je fais en posant mes doigts sur le clavier.
Je m’appelle Liloo et je suis en dépression depuis que mon ex m’a quitté le jour de mes vingt-deux ans.
Je relis trois fois la première phrase, en doutant qu’elle soit accrocheuse. Je l’efface et recommence à taper.
Je m’appelle Liloo et sous les conseils de ma meilleure amie j’ai acheté un poisson. C’était une affaire puisqu’ils offraient le bocal.
Encore une fois je grimace en me relisant. J’efface de nouveau et croise les bras en réfléchissant. Je vérifie l’heure à ma montre. Tout juste quinze heures. J’ai largement le temps de réfléchir à mes premières phrases.
Après dix minutes à chercher, je me relève et déplace la chaise devant l’aquarium. Je me rassois et pose l’ordinateur sur mes genoux.
— Mon p’tit chat, j’ai besoin de toi. Qu’est-ce que je dois raconter à ton avis ? Qu’avant toi, mes connaissances se limitaient au croustibat’ de Findus ? Ca peut intéresser les gens ? En même temps dire que j’ai adopté un poisson rouge, est-ce que ça va les passionner ? Je n’en suis pas très sûre…
Je lève les yeux vers le plafond en cherchant des idées.
— Ou alors je parle de ma dépression. D’à quel point j’ai été mal. Et comment tu es arrivé comme un petit soleil pour illuminer ma vie, je dis en souriant. C’est pas mal ça.
La tête dirigée vers mon écran et les mains sur les touches je recommence à taper.
Je pensais fêter mes vingt-deux ans avec l’homme de ma vie. Mais il m’a quitté et j’ai commencé une descente aux enfers. La dépression m’a capturée et séquestrée dans sa prison. Mais un beau jour, sous les conseils d’une amie, j’ai décidé d’acheter un animal. Pas un chat, ni un chien. Pas un oiseau ni un rongeur. Une grande affiche avec inscrit en gros « offre exceptionnelle » m’a conduite à acheter un poisson rouge de quelques centimètres. Et ainsi commença le premier acte de ma nouvelle vie.