Chapitre 10
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Chapitre 10
Lundi 8 avril 2022
Contrairement aux jours précédents, je suis réveillée avant que mon réveil sonne. Il est huit heures vingt-trois et je tourne dans mon lit en mettant la tête sur mon oreiller puis en la cachant en-dessous. Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Quelle idée j’ai eu ? Franchement, parfois je pourrais me donner des claques…
Hier, j’ai eu la bonne idée de demander à Rick s’il y avait moyen de se garer près de la boutique Fishland. Comptant y aller en voiture, le détail avait son importance. Rick m’a répondu qu’il y avait peu de place dans la rue mais souvent des espaces libres dans les rues adjacentes. Et il me précise également que la boutique est bien cachée et de bien regarder quand je serais dans la rue pour ne pas la louper. En rigolant, je lui ai répondu que si je ne la trouvais pas je lui enverrais un message pour qu’il me guide. Et voilà qu’il m’écrit : tu peux aussi m’appeler si tu es perdue 06*3*1*9**. Et moi étant bête comme mes pieds, qu’est-ce que j’ai fait ? Avec mon portable dans les mains, j’ai écrit un sms pour l’envoyer à son numéro :
Rick ? Ici Lou.
Moins de deux minutes plus tard, une réponse arrive :
Lou ? Ici Rick.
Et voilà comment je me suis retrouvée empêtrée dans une situation improbable et qui m’a presque provoquée une insomnie. Délaissant les messages sur le forum, j’ai continué la discussion par sms. C’était nettement plus pratique. Je lui ai aussi envoyé la photo de l’aquarium de Surimi et la petite vidéo où il nage. Et en retour il m’a fait des portraits de Coco et Bubulle. J’ai également eu le droit à des photos de son autre aquarium. Et il est encore plus beaux que le premier. Je bave devant mon écran, jalouse de ne pas avoir des poissons aussi beaux. Même si mon Surimi est le plus beau à mes yeux… Certains ont quand même cette petite touche en plus qui leurs donne tout leur charme. Il me présente tout d’abord ses trois scalaires. Mao est bleu, Emi est zébrée et Yori est entièrement noir. Et il y a Anémone et Corail, un couple de discus turquoise. L’aquarium de ces poissons fait 600 litres. J’ai dû mal à m’imaginer la taille que ça représente. Mais je suppose qu’il doit être immense.
Nous continuions d’échanger des messages. Et après avoir longuement parlé poisson, nous voilà arrivé à notre deuxième sujet de prédilection. Les livres. Je lui dis que j’ai recommencé à lire et que j’ai terminé le dernier roman d’Amélie Nothomb. Il me répond qu’il n’a jamais lu de livres d’elle. Je crie immédiatement au sacrilège et lui dit qu’il est dans l’obligation d’en lire au moins un. Il me prend très au sérieux et me demande de le conseiller pour choisir lequel.
Lou : Mon favori c’est Mercure. Il y a aussi Acide Sulfurique.
Hmm… allez tu n’as qu’à lire Antéchrista.
Il m’envoie des smileys qui pleurent de rire en voyant que je n’arrive pas à me décider.
Rick : Est-ce que c’est ton top trois ?
Rah, il a des questions difficiles. Amélie Nothomb a écrit tellement de livres que j’affectionne… En dernier recours, je lui propose Hygiène de l’assassin. Son premier roman. Il me répond encore avec des smileys qui rigolent et me demande si je vais citer tous ses romans les uns après les autres.
Lou : Je les ai tous. Je pourrais même te les prêter.
Et encore un message que j’ai écrit sans réfléchir. Mais Rick me répond presque instantanément.
Rick : Vraiment ? Tu pourrais me les donner en mains propre devant FishLand par exemple ?
Pleine d’assurance, j’affirme que oui. Je peux. Et en même temps que j’envoie le message je me mords les lèvres en me demandant ce qui me prend.
Rick : Attention je vais te prendre au mot.
Alors que j’aurais pu trouver des excuses pour faire machine arrière ou prétendre que c’était une plaisanterie, non. Bête et andouille première catégorie, je lui assure que :
Lou : Je suis très sérieuse.
La réponse met plus de temps à arriver. Je me demande s’il est en train de chercher comment refuser ma proposition. A moins qu’il ne veuille pas du tout lire Amélie Nothomb et qu’il n’ose pas me le dire ?
Rick : Ca marche. On se rejoint quand chez FishLand ?
Quand tu veux.
Lou : J’ai tous les livres sous la main, prêts à venir dans les tiennes.
Là, je commençais à sentir des bouffées de chaleur. Et je mordillais de plus en plus nerveusement mes lèvres et l’intérieur de mes joues. Je relis mon dernier message. Prêts à venir dans les tiennes… Mais comment je peux écrire n’importe quoi aussi facilement ? En plus je lui ai confié aimer écrire. Et il doit se moquer de moi en lisant ma petite phrase que j’ai trouvé intelligente et raffinée au moment de l’écrire.
Rick : Je suis en vacances à partir de mercredi.
Mercredi. Ca fait trois jours. C’est peu. Très peu.
Rick : Oh mais sinon j’ai un creux demain en fin d’après-midi. Aux alentours de 17h.
Ca te conviendrait ?
Mes yeux se sont ouverts si grands qu’ils ont failli me tomber de la tête. Demain ? Demain !
Toujours sous la couette avec la tête cachée sous mon oreiller, je me répète que je suis une idiote. Mais ça n’empêche pas que je dois le voir aujourd’hui, à dix-sept heures. Pour lui prêter mes livres et aller à Fishland.
— Mais quelle cruche… je beugle en m’étouffant dans mon oreiller.
A midi j’ai enfin quitté mon lit et nourri Surimi qui nage de plus en plus vite dans l’aquarium. Mon p’tit chat a retrouvé son énergie. Et moi à côté, je suis une loque qui se fait des nœuds au cerveau pour son rendez-vous. Afin d’avoir des conseils et d’exprimer mon inquiétude, j’écris à Aurélie que j’ai besoin de lui parler. Elle me répond qu’elle mange avec une collègue mais me demande ce qui se passe. Exprès, je lui envoie un court message qui va à coup sûr bouleverser tous ses plans.
Lou : C’est à propos de Rick…
Je fais les cent pas dans mon salon en comptant les secondes. Une, neuf, quinze, vingt-deux… Mon téléphone sonne.
— Ma Loulou, qu’est-ce qui se passe avec Rick ?
— Je dois le voir au parc Montsouris cet après-midi. J’ai peur.
— HEIN ? Attends, j’ai loupé des étapes. J’en étais encore à « il a juste des beaux poissons » et là tu me dis que tu vas le voir ?
— Oui bon j’ai peut-être légèrement grillé les étapes hier, en discutant presque toute la journée avec lui…
— Toute la journée ? Et vous avez commencé à parler d’autre chose que de poisson ?
— On a parlé d’Amélie Nothomb. Il ne l’a jamais lu. J’ai proposé de lui prêter mes livres.
Je me rassois sur le canapé et replie mes jambes vers moi pour poser ma tête sur mes genoux.
— Comment je vais faire maintenant ?
— Quelle question. Tu y vas avec tes livres ! En plus, si tu lui prêtes il sera obligé de te revoir pour te les rendre. A moins qu’il ne soit pas honnête et se les garde pour lui.
Cette possibilité menace de faire se dresser mes cheveux sur ma tête. Il pourrait garder mes livres ? Oh non, ça ce n’est pas possible.
— Je vais écrire mon nom dedans. Il a intérêt à me les rendre. Je suis capable de le harceler sinon !
— Ouais bon, dans l’absolu, on s’en fou de tes livres. L’important c’est que vous vous voyez ! Je suis tellement contente. Et pourquoi au parc Montsouris ?
— Il va m’emmener à Fishland, la boutique spécialisée en poisson.
— Ah oui, toujours les poissons… Et après vous faites un resto ?
— Non ! J’ai suffisamment brûlé d’étapes comme ça. Et déjà il va falloir que je survive à ce rendez-vous, ensuite on verra.
— Tu as raison, une chose à la fois.
— Comment je vais m’habiller ? je la questionne en me rongeant le pouce.
— Habille toi cool. Tu ne vas pas à un entretien d’embauche.
— Un jean avec un sweat ? Le rose ? C’est mon préféré.
— Alors, évite peut-être le sweat. Tu n’as pas un beau chemisier ?
— Un chemisier, faut que je regarde. Je ne suis pas sûre qu’ils soient repassés.
— Alors remue toi et sors le fer à repasser.
— Et je mets mes baskets ?
— Tu as déjà mis tes bottines au placard ?
— D’accord je vais mettre les bottines, je capitule.
— Et prévois un bonnet. Un chapeau. Une casquette. Ce que tu veux, du moment que ça cache tes cheveux.
— Qu’est-ce qu’ils ont mes cheveux ? je m’étonne.
— Sérieusement ? Tu as vu la tête que tu as depuis que tu les as laissés à l’abandon ? Entre tes centimètres de racines blondes et le reste qui est roux vache sale, vraiment tu es à faire peur.
J’adore ma Lili et son franc-parler. Mais même si elle me contrarie, je sais qu’elle a raison et que l’état de mes cheveux reste à désirer.
— Bon, je vais essayer de trouver un bandana et de les attacher.
— Ca va être un massacre…
— Mais non, je vais camoufler les dégâts, tu vas voir. Puis après tout il n’est pas question qu’il me trouve belle. Nous nous voyons juste comme ça. En tout bien tout honneur et sans arrière-pensée.
Aurélie pouffe dans le téléphone et je me racle la gorge en tâchant d’ignorer sa réaction.
— Puisque tu n’as aucune arrière-pensée, qu’est-ce qui te fait peur ?
— Qu’il me trouve trop petite…
— Ah non ! s’énerve Lili. Tu ne vas pas croire l’autre abruti et faire une fixette sur ta taille !
— J’ai failli lui demander s’il n’avait rien contre les petites femmes. Puis j’ai pensé que poser ce genre de question pouvait provoquer un malaise.
— Loulou, pour la énième fois, tu n’es pas petite, au contraire ! Tu fais un mètre soixante-dix !
— Mickaël m’a pourtant quitté à cause de ma petite taille.
— Arrête, sinon je viens te tirer les oreilles et de couper la langue avant de t’arracher les yeux !
Je n’insiste pas, même si je n’en pense pas moins.
— C’était un prétexte. Une excuse complètement naze. Le problème ne vient pas de toi, tu n’étais pas trop petite. C’est lui qui était beaucoup trop grand.
— Oui mais finalement je lui paraissais petite…
J’entends ma meilleure amie souffler dans le téléphone.
— Rick sera plus intelligent que l’autre imbécile. Lui ne te fera aucune remarque sur ta taille, tu verras.
— J’espère.
Lorsque j’ai raccroché je vais prendre une bonne douche, puis vais dans ma chambre pour ouvrir mon dressing.
— Plus qu’à choisir, je déclare en scrutant les vêtements accrochés sur les cintres.
J’essaye plusieurs chemisiers et me décide sur celui qui est dans les tons saumon. Une couleur parfaitement adaptée pour une rencontre entre passionné de poisson. En plus quelques petites décorations sur le devant et les épaules le rendent plutôt habillé. En pantalon, j’opte pour un jean noir un peu large. Après un rapide coup de repassage, j’enfile ma tenue.
— Ah nous deux maintenant, je dis à mes cheveux en me tenant devant le miroir.
Ma tignasse est vraiment dans un état déplorable. Moi qui prenais tellement soin de mes cheveux… Je branche mon fer à lisser et prépare des pinces pour séparer ma chevelure en plusieurs sections.
Moins d’une heure plus tard, je fais glisser un bandeau large sur mon front et le remonte juste assez pour qu’il cache mes racines blondes. Je prends un élastique et noue mes cheveux lisses en queue de cheval. En me mettant un peu de fard sur les paupières, je réalise que ça fait très longtemps que je n’ai pris du temps pour me faire jolie. Pourtant je reste persuadée que je ne cherche qu’à être présentable sans chercher à attirer l’attention de Rick. Du moins, j’essaye fortement de m’en persuader…
Une fois prête, je me poste devant l’aquarium et écarte les bras en parlant à Surimi.
— Alors mon p’tit chat, est-ce que Maman est belle ? Tu remarques mes efforts ? Tu sais que tout à l’heure je vais aller dans le magasin où se trouve ta future copine ? Je ne vais pas te la ramener aujourd’hui, inutile d’aller te cacher derrière ton moulin bulleur. Mais je vais regarder quelle espèce me plait le plus, pour savoir à quoi elle ressemblera. Et puis je dois acheter un petit aquarium avant, pour la mettre en quarantaine. On ne sait jamais, si elle était malade. Je ne veux pas risquer que tu sois contaminé. Tu comprends ?
Surimi ne reste plus sagement posé à m’écouter. Maintenant il nage sans arrêt et j’ai l’impression qu’il m’ignore totalement. Alors pour me rassurer, je remets mon doigt sur la vitre. Dès qu’il me voit il nage dans ma direction et se met à suivre mon index en remuant.
— Tu as de la chance. Sinon je t’aurais transformé en sushi. Maman est très possessive, je lui explique. Si tu m’ignores je pourrais me croire abandonnée et hop… Un petit sushi dans l’assiette.
Il ne prête pas attention à ce que je dis et continue de suivre mon doigt pendant que je lui raconte des bêtises.
— Allez n’ai pas peur. Evidemment que Maman ne te mangera pas. Mais ce n’est pas parce que tu as un grand océan que tu dois m’ignorer. Sinon je te mets à la diète. Et oui, c’est comme ça.
Mon téléphone sonne et je me dépêche d’ouvrir le message d’Aurélie.
Lili :Envoie-moi une photo de ta tenue, que je te dise si c’est convenable (pour un premier rendez-vous en tout bien tout honneur sans arrière-pensée…)
Aurélie ne changera jamais. Je retourne dans la chambre où je me mets face au miroir pour faire un selfie et lui envoie.
Lili :Pas mal. Et tu as ressortie ce chemisier que j’adore ! Le seul hic ce sont tes chaussons avec les têtes de pingouins. Pas super sexy.
(Mais ce n’est pas grave, puisque c’est un rendez-vous en tout bien ton honneur sans arrière-pensée…)
Et ta coiffure est topissime. On voit presque pas tes cheveux de sorcière. Et tu t’es maquillée non ? Tu as bien caché tes cernes en tout cas. Tu as même bonne mine. Tu as choisi un beau sac à main ? N’y va pas avec ton vieux tote bag tout pourri.
Lou : T’as pas bientôt fini ??!!
Et oui je me suis maquillée.
Entre les cheveux de sorcière et le teint de vampire c’était préférable, non ?
Et qu’est-ce que tu as après mes chaussons ? Laisse mes pingouins tranquilles !
Et mon tote bag n’est PAS pourri !
Bon sinon… dis-moi… je suis jolie ?
Lili : Mais oui. Craquante comme une biscotte ma Loulou !
Aurélie me rassure et je souris en lisant son dernier message. Il est presque quinze heures et je sens que je vais tourner en rond jusqu’à ce qu’arrive l’heure de partir. Pour m’occuper, je sors tous mes livres d’Amélie Nothomb et les classe par ordre de préférence avant de les remettre dans ma bibliothèque. Je garde les trois que je dois emmener avec moi et les mets dans mon tote bag. Puis la remarque d’Aurélie me revient. Les livres sont assez petits et je force pour les faire rentrer dans mon sac à main. Je ne peux pas fermer la fermeture éclair au risque de la faire craquer. Mais ce sera très bien comme ça.
— Maman est prête, j’annonce à Surimi en me réinstallant sur une chaise face à lui. Tu crois qu’il est comment Rick ?
C’est vrai que je n’ai absolument aucune information sur lui. Certes c’est un éditeur doublé d’un aquariophile. Mais ça ne m’apporte pas de vrai renseignement sur sa personnalité et son apparence.
— En même temps même s’il n’est pas mon style d’homme, du moment qu’il est gentil… C’est important la gentillesse et la bienveillance. Mais s’il aime les animaux et en particulier les poissons, ça doit être quelqu’un de bien. Tu en penses quoi toi ?
Surimi nage dans l’aquarium et revient vers la vitre quand j’y pose mon doigt.
— Ouais. Moi aussi, je trouve que l’apparence n’est pas si importante. Regarde, par exemple, Mickaël. Il était trop beau. Ca n’empêche que… disons qu’il n’avait pas toutes les qualités du monde. Par-contre j’aurais aucun mal à lister tous ses défauts. Et encore j’en oublierais certainement.
Dire du mal de Mickaël me fait du bien. Ce n’est pourtant pas dans mon habitude. Mais là, tout de suite. Penser que c’était un con me réconforte.
— Évidemment, je dis ça, mais qu’il soit jeune, beau, moche ou vieux ne sera qu’un détail. L’important ce sont ses poissons. Ses conseils. Et qu’il découvre Amélie Nothomb.
J’ignore si Surimi croit ce que je lui dis ou si comme Aurélie il a déjà compris ce que je refuse encore d’admettre.
— Allez Maman y va. Tu me souhaites bonne chance mon p’tit chat ?
J’interprète la manière dont il remue comme un « je suis avec toi ! » Je prends ma veste en jean, mon sac à main et enfile mes bottines, puis je sors de l’appartement.