12. Bathyan : Erin
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12. Bathyan : Erin
Erin s’attendait à de la résistance en émergeant de l’escalier, mais il n’y avait personne. Du moins, personne de physiquement présent lorsque, prudente, elle ouvrit la porte du tunnel et déboucha dans une sorte de remise. Des outils, des objets d’un autre temps parsemaient la pièce dont le bois lui-même trahissait le nombre des années passées dans une atmosphère humide. Tout en s’assurant de la présence de son couteau, elle s’empara machinalement d’un marteau, toujours utile pour tenir quelques crânes à distance, puis se dirigea vers une large porte. Elle pouvait déjà sentir le mordant de la brume. Elle était bel et bien là et léchait chaque parcelle de l’île aux marins de son étreinte vaporeuse. Fusionnant les choses et les couleurs dans une même gangue maladive, à la fois transparente et opaque. Erin observa les alentours, du mieux qu’elle put, en jetant un œil par les interstices que les vieilles lames de bois ne parvenaient plus à combler. Il ne semblait y avoir personne pour l’attendre sournoisement. C’est alors qu’elle entendit le vacarme épouvantable qui remonta des profondeurs du tunnel. Une trappe se ferma brutalement, tout comme la porte qu’elle venait de franchir. Le bruit ne faisait que gonfler à en faire trembler les murs. Elle comprit immédiatement que le boyau se remplissait d’eau, comme si l’on venait de tirer une gigantesque chasse d’eau. Ce qu’elle ne savait pas, par contre, c’était si cette inondation était le fait de Marc ou de Patrick. Dans le doute, ce fut la peur qui prit le relais sur la prudence, et lui intima l’ordre de quitter les lieux au plus vite. Elle ouvrit la porte et la brume se jeta dans la pièce avec la même avidité que l’eau dans le passage sous-terrain. Erin cria. Ce n’est qu’après quelques secondes, qui parurent des minutes, qu’elle réalisa que la brume ne la rongea pas comme elle l’avait fait avec Patrick. Ce fut également à ce moment qu’elle réalisa qu’elle n’avait plus la corne pour écarter les choses qui se cachaient parfois dedans.
Avec prudence, Erin avançait tandis des vagues brumeuses venaient clapoter contre ses chevilles. Elle était aux aguets. Les oreilles à écouter le bruissement de la faune, le murmure du vent, le moindre son incongru dans ce désert translucide. Le nez à sentir et analyser le moindre effluve afin de percer toute accentuation d’odeur au sein de cette humidité collante. Elle regardait aussi chaque mouvement de brume, la régularité de cette mouvance vaporeuse, ses entrelacs autour des choses, sa variation de couleur, de densité. Elle était aussi à laisser sa peau ressentir les frissons, comme l’aurait fait un insecte à guetter la moindre vibration de l’air ambiant. Du bout du pied, elle sondait le sol, en appréciait la consistance, la mollesse, la dureté, l’inclinaison. C’était une avancée timide, courageuse, mais pas téméraire. C’est alors qu’elle perçut inconsciemment le changement autour d’elle. D’un coup, elle sauta en avant, tenta d’imiter le bruit de la corne avec sa bouche, sans succès bien entendu, mais elle avait vu juste, la brume venait de lancer vers sa cheville une main griffue, qui se désagrégea aussitôt en rencontrant le vide laissé par son saut. Erin se retourna à temps pour voir une deuxième attaque, sournoise, qui visait l’endroit où elle venait d’atterrir. Une nouvelle dose d’adrénaline fusa dans son organisme, elle bondit de nouveau, telle une flèche dans le brouillard. Le vent sifflait à ses oreilles, essayant de la rattraper. Les gémissements plaintifs accompagnèrent sa course effrénée vers le deuxième groupe de canons. Une chose au moins que Marc n’avait pas déformée à son avantage. À moins que ce groupe de canons ne soit que les restes inertes et décomposés de l’histoire. Armée de son marteau de la main droite et du couteau de la main gauche, elle fendait l’air sans plus se soucier de la discrétion. Au-dessus de la petite colline qui avait été choisie pour ériger un fort qui ne vit jamais le jour, Erin commençait à voir les ténèbres s’assombrir plus que la réalité ne pouvait le concevoir. C’était un noir dense, à la fois immatériel et organique. Un trou, d’une densité si obscure, que le spectre conventionnel ne pouvait admettre que ce noir existât sans sombrer dans l’irrationnel. Et dans cet œil infernal, qui absorbait toute la matière de deux mondes pour forger sa propre existence, elle vit le regard démoniaque, divin, cosmique de Bathyan. Elle sentit peu à peu le reflux de la brume vers cette bouche visuelle infernale. Bathyan était un tout réuni au même endroit. La béance qui s’ouvrait faisait office d’œil, de bouche et d’estomac. Son aspect titanesque, ce mélange de formes aux membres indénombrables n’était qu’une apparence qui ne pouvait exister, tant ce mélange de poulpe, de pieuvre, de calamar, ou de tout ce qui pouvait être tentaculaire ne pouvait définir l’entité immonde qui se matérialisait de nouveau devant elle, tandis qu’elle fonçait dans sa direction. Tout son être voulait rebrousser chemin, mais son âme la suppliait de tenter le sang sur les canons. Il serait temps, en cas d’échec, de lancer de dépit le marteau dans le vortex innommable avant de se trancher la gorge. Tout comme le sang d’un mort pour les vampires, l’âme d’une damnée serait peut-être le poison qui fera mal à cette ignominie à défaut de le tuer vraiment. Erin sentait son corps se vider de tout fluide. Elle cria sur les derniers mètres avant de se jeter sur l’amorce rouillée du premier canon. Elle lança son marteau dans le néant, ce qui n’eut aucun effet, puis son couteau entailla sa main droite libérée. La coupure, non maîtrisée, profonde, inonda le canon qui ne se fit pas prier pour cracher sa boule d’énergie vers Bathyan. Le cri effroyablement inhumain qui retentit fissura irréversiblement un des tympans d’Erin, qui hurla à son tour, une centaine de décibels en dessous du hurlement de Bathyan. Elle se jeta sur le deuxième, le troisième, le quatrième canon, puis les remonta un à un, en aspergeant les amorces comme on sème un champ. Elle devenait folle. Son hurlement, si misérable soit-il, était un fil d’Ariane qu’elle projetait en avant et suivait comme une ligne de vie imaginaire. Elle courait sous les bourrasques du souffle que Bathyan émettait bien malgré lui en criant sa douleur. Le cap à Gordon ne fut qu’une formalité à avaler tant son corps n’était plus qu’un flot d’adrénaline irriguant un instinct de survie. Elle pleurait, riait, criait, priait tout à la fois pour ne pas entendre, voir, ressentir ce moment où elle allait mourir, où ses os seraient broyés, où son âme serait dévorée. Elle courait encore, lorsque parvenue au bout de la terre ferme, elle se jeta dans l’eau froide de l’océan atlantique nord et perdit connaissance.
Bathyan : l'écumeur des brumes, épilogue
Couverture : © Jean-Christophe Mojard, 2024. Les canons du fort jamais construit.