Lorsque midi les trouve enlacés l’un contre l’autre, l’Univers accélère le tempo de cette histoire débutante, mais déjà profondément tatouée en eux, telle une évidence qui force le regard et annihile les certitudes passées. Comme si, leurs corps en s’unissant enfin, après des mois de découverte émotionnelle avaient libéré un champ magnétique presque surnaturel, les forçant à se toucher, se voir, se respirer en permanence. Ils travaillent ensemble, adaptent leurs plannings pour avoir les mêmes jours de repos, et sont toujours l’un chez l’autre ou inversement. Tout naturellement, presque sans réaliser, Juliette emménage définitivement chez lui, avec Muffin. 

Et la vie de l’un se rythme au souffle de l’autre. Juliette intronise sa moitié auprès de ses proches, sa famille, ses amis. Ils sont juste Will et Juliette, presque indissociables, des âmes-sœurs aux prénoms prédestinés. Il la comble d’attentions, d’amour et de tendresse. Elle et lui trouvent en l’Autre, reflet, système solaire, ami, amante et espoir en demain. Pourtant, parfois, elle perçoit une ombre qui plane au-dessus de lui, comme un spectre qui rôde et l’ensevelit un instant. Alors, il devient sombre, mutique, obscur et s’enferme subitement dans une geôle intérieure dont elle n’a pas la clé. 

Son spleen silencieux peut durer plusieurs jours sans qu’elle ne sache comment réagir. 

Et l’orage finit par passer, il redevient son Will, comme si de rien n’était, sans rien expliquer, juste en surjouant un peu, comme on mime le bonheur pour qu’il revienne, comme avant. Dans ces phases-là, comme pour se faire pardonner son absence en présence, il couvre Juliette de cadeaux et de surprises en tout genre. Ainsi, un après-midi après un passage à vide intense, il s’accroupit près d’elle et lui glisse : 

“Fais ta valise, ma belle, on part en vacances demain, tout est arrangé pour Muffin, on décolle à l’aube !” 

Elle aura beau le supplier sur tous les tons de lui donner des indices pour savoir quoi emmener, il lui dira simplement de prendre ses maillots de bain. Semblable à une petite fille au matin de Noël, Juliette virevolte et trépigne, toute la soirée, toute la nuit, jusqu’au matin, pour se retrouver sur le tarmac dès potron-minet et décoller en direction de la Guadeloupe. Et vivre comme dans un rêve, une semaine magique, avec en apothéose, une demande en mariage dans un cadre romantique à souhait, sauf qu’il s’agissait d’un lagon naturiste…Et que Will et Juliette n’étaient pas franchement à l’aise parmi tous ces « culs-nus ». 

Puis, retour en métropole, annonces aux familles ; la vie est belle et douce, tout semble leur réussir. Will ne parle presque jamais de sa vie d’avant ou de son passé, il n’a pas beaucoup de proches autour de lui, sa mère est décédée et il semble entouré de secrets. Juliette respecte son silence, se disant qu’il se confiera un jour, quand il sera prêt. 

Elle se sent heureuse pour de vrai et pour la première fois de sa vie ressens le besoin de construire avec lui, de fonder une famille même si… Une menace plane toujours au-dessus d’elle, celle de ne plus jamais pouvoir porter la vie. Comme une sentence énoncée il y a plusieurs années par des blouses blanches, qui la hante depuis. Juliette en a parlé à Will dans les prémices de leur histoire, parce qu’elle ne voulait pas qu’il s’engage avec elle sans savoir qu’elle ne pourrait peut-être jamais lui offrir une famille de sang. Mais lorsque l’envie se fait plus forte, plus impérieuse, ils décident d’essayer sans pression et « on verra bien », parce que la vie ne peut pas toujours prendre, elle peut donner aussi. 

À peine quelques mois plus tard, un matin semblable à beaucoup d’autres, elle va leur fait cadeau, d’un double-trait rose sur un bâtonnet bleu. Juliette n’ose y croire, tant elle s’était persuadée que la maternité lui était refusée par les astres et enchaine les prises de sang, pour confirmer les résultats, attendant la déception comme un énième coup du sort. Mais les doutes s’effacent à chaque retour du labo puis à chaque mois qui s’écoulent et Juliette s’immerge dans un monde de layette, rose bonbon et bleu pastel. Terrorisée que la toute plante qui germe bien au chaud ne renonce à s’accrocher, elle enchaine les crises d’angoisse et les visites à la clinique de la Sagesse. Pourtant, il semble bien que le bébé confirme son choix de rester et le ventre de Juliette s’arrondit fièrement au fil des semaines. Will qui lui aussi prend sa revanche sur la vie et la parentalité, est aux petits soins. 

Il l’accompagne partout, s’inscrit en haptonomie, le bonheur est palpable et prend racine. A 7 mois ½, alors que Juliette est devant son ordinateur, elle ressent un liquide chaud couler le long de ses jambes.La panique la submerge… 

« C’est bien trop tôt ! » 

C’est