Journal d'un confinement choisi
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Journal d'un confinement choisi
Où il est question d'un confinement, d'une traversée entre Halifax et l'Islande, de rencontres du 3° type avec les dauphins, de la Calypso du Cdt Cousteau, des bancs de Terre Neuve, de cuisine à bord, de lectures, et de mirages en pleine mer.
Construction de Biribi, dans un terrain vague près de l'ENSAM de Talence, en 1974
Retour sur un confinement choisi : Il y a 40 ans je faisais sur un voilier en acier, que j'avais construit moi-même, une traversée peu courante : Halifax Reykjavík. Qui plus est en solo : sur un voilier de 8 mètres. 27 jours sans un contact avec qui que ce soit dans un bateau dont la surface du plancher devait faire 5 m². Mais pourvu d'une belle terrasse avec vue imprenable sur l'océan....
J'avais 26 ans à peine.
J'ai profité ces jours derniers de la relâche dûe au COVID, et ai transcrit mon journal de bord pour cette partie du voyage, sans rien changer (en laissant même certaines incohérences). Ce journal, je l'ai tenu durant tout le voyage. J'ai noirci au total 1,5 cahier épais, petit format à grands carreaux. J'avais le projet d'en faire un livre mais ça n'a jamais abouti.
Il faut se remettre dans le contexte de l'époque : pas de radio, pas de VHF, pas de mail à bord et comme aide à la navigation, seulement la radiogoniométrie et le radio consol, au fonctionnement erratique. Des bulletins météo en ondes courtes ou sinon en morse. Pas de GPS donc utilisation du sextant obligatoire. Seuls gadgets électroniques à bord : un sondeur, un loch, un détecteur de radar, pas pour les excès de vitesse (aucun risque) mais qui me permettait d’être averti qu'un bateau avec un radar en action était à portée.
L'interieur de Biribi avec le sondeur et le loch, un poste de pilotage sous une bulle en plexi. Seul luxe, la table à cartes était en marqueterie faite maison. Photo (c) New York Herald
Pas de foc à enrouleur, donc obligé d'aller changer de foc à l'avant quand le temps forcissait. Une traversée avec une sale réputation, et j’avais lu avant de partir quelques récits qui n'étaient pas propices à un sommeil serein...
Vous pouvez zapper le § "choisir sa route" si vous n'êtes pas marin, c'est technique. Mais si vous aimez la géographie, alors peut-être que....
Biribi au mouillage à l'ile de Serk avant son départ. Il avait été repeint en orange pour le voyage. Photo JPV
30/6 : Brouillard. Biribi est super prêt. Tout le rangement a été modifié pour le Nord, en prévision du pire. Les protège-hublots (plaques en tôle au cas où une vague casserait un hublot en plexi) sont maintenant à portée de main, le sextant et le matériel photo sont arrimés, la nouvelle radio, installée cette semaine, est arrimée ainsi que le générateur. Tout est à poste. Le capot avant est condamné et mastiqué. Les lampes à pétrole en cuivre sont rangées. En gros, j'ai essayé de prévoir tous les cas de figure en cas de chavirage. Le magnétophone à K7 est prêt à enregistrer les bulletins météo en morse. Les coffres ont été percés de trous de vis pour permettre de les verrouiller par très mauvais temps. Les pompes de cales sont prêtes et les bouteilles sont calées. Bien sûr, il y a des points faibles : la grand voile et le génois lourd sont fatigués, le loch a été réparé mais reste à vérifier. Les coffres à voiles dont les charnières en zinc ont été bouffées par la corrosion sont fixées avec des sandows et il me manque quelques cartes de Terre Neuve en cas de mauvais temps. Les gardes cotes sont prévenus de mon voyage. Je n'ai pas été traité de fou, ils m'ont même donné accès à toutes les infos météo et aux infos sur les icebergs. Les cartes météo sont un peu moins favorables qu'il y a 4 jours. Mais si le brouillard dure, je ferai un tour demain sur la Calypso pour demander ce qu'ils ont reçu. Hier j'ai été la visiter, accueilli par le cinéaste de la bande. Du beau matériel bien utilisé et bien bricolé. J'aimerai bien faire un tour d'une année à bord, et, si ce n'était les plongeurs marseillais très exubérants, l'équipage a l'air sympa. Dommage que le commandant ne soit pas là, mais peut-être le verrais-je demain ?
Quant au Bluenose, l'accueil est toujours aussi fantastique. Ce matin je suis venu à bord prendre le petit déjeuner, hier c'était la douche et avant hier la lessive dans une vraie machine à laver.
Je serais bien parti demain mais ça ne me dit rien avec ce brouillard et cette calmasse. Et puis aussi j'ai un peu les jetons, le trac de l'Islande.
C'est finalement Mercredi que je suis parti, sur le coup de 12h, non sans avoir dit au revoir à l'équipage du Bluenose.
Depuis que je suis parti, c'est dans la purée de pois la plus totale que je navigue. J'ai tout juste pu faire une droite de hauteur au sextant hier et encore peu précise à cause de l'horizon pas net. Ce n'est pas encore inquiétant mais avec l'approche du cap Race, il va falloir faire attention si ça ne s'améliore pas.
Visée avec le sextant en plastique pour le mauvais temps. Le "vrai" n’était sorti que dans des conditions météo correctes
Il fait froid et humide et je mets le chauffage à chaque fois que la température descend en dessous de 10°C. Heureusement, la direction du vent est correcte mais l'intensité est faible et j'oscille entre le travers et le largue à force 2 maxi. Toutefois, le baromètre baisse et il pourrait bien y avoir du nouveau... Beaucoup d'oiseaux surtout des Labbes Parasites (je crois) et beaucoup de marsouins qui s'approchent très près. Ce matin, un banc a escorté Biribi. Je les entendais très bien à travers la coque. Le cri est plus modulé et moins strident que celui du dauphin, mais ils sont moins attirants, probablement parce que je ne vois pas leurs yeux quand ils sondent. Ils font cela assez différemment des dauphins, cassant leur dos pour descendre ce qui fait qu'on ne voit pas leur queue. Par contre leur évent est très visible ainsi que la dorsale. Tout est noir et je ne peux m’empêcher de penser au sous marin que j'avais vu à Halifax.
Après avoir vu les marsouins je me suis recouché et ai rêvé de ... marsouins. Il y en avait tout un banc qui me suivait et je ne savais pas s'ils étaient pacifiques ou pas. Finalement, je pus voir leurs têtes, qui, dans le rêve étaient assez effrayantes, avec des excroissances de chair, mais toutefois les mêmes yeux que ceux d'un dauphin. Il y avait un gros qui était presque à toucher le tableau arrière et j'arrivais à lui caresser le "museau". Je vis alors son œil scintiller de plaisir. Drôle de rêve. Une chose est sûre, c'est que les dauphins et marsouins sont vraiment une présence, et je suis toujours un peu triste quand ils s'en vont.
Mon duvet du Vieux Campeur devient mon endroit favori. J'ai toujours chaud à l'intérieur et il est vraiment confortable.
Je ne me sens plus anxieux comme je l’étais avant le départ. Peut être est-ce dû au calme de cette traversée ? Mais je sais que quelques pages de l'Artic Pilot (le recueil de tous les conseils de navigation, hérité des siècles d’expériences accumulées depuis les vikings, ouvrage en 3 gros tomes, édité par l'amirauté britannique) suffiraient à me remettre dans des dispositions trouillométriques parfaites.
7/7 : Aujourd'hui, le soleil s'est remontré et le moral est au beau fixe. Le gale warning n'avait rien de bien méchant (à moins qu'il ne réserve un coup de Jarnac...). Ce matin, j'ai capté Radio St Pierre et Miquelon. Ça fait plaisir d'entendre parler français. C'est incroyable comme le moral explose dès qu'il y a du soleil. Je plaisante, je me fais des blagues, je joue avec le sextant, je fais la vaisselle (l'eau est à 6°C et pas de chauffe eau à bord), bref le pied. Sans compter que je vais recoudre tout à l'heure mon génois lourd. Le pauvre chéri n'en peut plus : hier quand je l'ai affalé, il y a un bout de chute qui s'est déchiré. Bref il va bientôt prendre sa retraite comme étui de grand voile.
Ces jours de brouillard ont été vraiment pénibles. Non. Pas pénibles, mais sans intérêt. Le bateau était fermé, je me mettais dehors le moins souvent possible. L'humidité était partout, sauf dans mon duvet où je passais le plus clair de mon temps à lire ou dormir. Bref tout va bien "Pourvou qué ça doure" comme disait Lætitia, la mère de Napoléon. Brrr ! Ras le bol de ces températures entre 15 et 6°C, de ce calme plat depuis bientôt 2 jours. Je passe le plus clair de mon temps entre mon duvet et la cuisine. J'hiberne. Heureusement, ce matin le vent s'est un peu levé. Hier soir, le coucher de soleil fut grandiose. Non pas haut en couleur, mais avec un soleil très jaune filtrant derrière un tapis de nuages d'un blanc très pur, posés sur l'eau. Il y avait une chasse de dauphins, quoique les ailerons me semblaient bien pointus. Une fin de journée qui aurait été parfaite avec du vent. Je passe mon temps à m’habiller et à me déshabiller, à mettre le chauffage et à l'éteindre. Et j'ai attrapé un rhume à jouer à cela. Ce matin je vais finir "Qu'elle était verte ma vallée". Quelle catastrophe qu'un livre mal traduit... Je me sens un peu vaseux, probablement parce que je dors trop. Cette nuit j'ai dormi presque d'une seule traite, me levant vers 1h pour voir dehors les voiles et les éventuels voisins. Pas de bateaux autour, bonne visi et conditions idéales.
Avec la famille américaine, à Great Neck, Long Island
Le tour de taille et la capillarité ont évolué, chacun dans un sens différent...
Je pensais ce matin qu'un bateau est vraiment un engin fantastique. Le monde vous appartient. Vous voulez aller à San Francisco, eh bien achetez les cartes et allez à Frisco ! C'est tout simple, juste une question de temps. Ce sentiment, aucun autre moyen de transport ne le procure avec aussi peu de sujétions et de problème d'argent... le sentiment de liberté qui en découle est grisant. Je pense aussi que cette indépendance n'est pas liée uniquement au bateau, mais aussi à l'individu. Il faut arriver à une certaine dose de maîtrise, de lucidité et de sérénité pour décider de voyager comme le font les routards. Je pense à un ami qui, lorsque quelqu'un lui proposait de l'emmener en voyage (il disait souvent oui), s'absentait quelques minutes et revenait avec un sac de couchage, une sangle, un tube de dentifrice et une brosse à dents. Puis il disait d'un air tranquille : "Je suis prêt, c'est quand tu veux..." Quelle maîtrise de soi. pas de préoccupation de Traveller’s chèques, de carte routière, d'itinéraire. Non il avait seulement l'envie de voyager et il l’assouvissait. Qu’on ne me dise pas que c'est de l'inconscience, de l'imprévoyance. Je dirais plutôt de la super-conscience. Je commence à me sentir capable de tels comportements. Quelle différence entre mes départs de Lisbonne, celui des Canaries, celui d'Halifax. Plus de trac (plus le même), l'expérience porte ses fruits. Plus de fébrilité d'avant départ, simplement la joie, la sérénité du voyage qui débute. On part parce qu'on l'a décidé, rien de plus. Les problèmes d'intendance, d'organisation deviennent secondaires. Bien sûr, pour l'Islande j'ai pris toutes mes précautions et le trac que j'éprouve provient des conditions météo que je risque de rencontrer et non pas de la difficulté à assumer ma mouvance, comme c'était le cas aux Canaries où je ne me sentais pas prêt à naviguer seul. J’évolue vers la simplicité et cela est très agréable.
Coté navigation, ce n'est pas l'angoisse envisagée. Aujourd'hui le banc de Terre Neuve est sous un soleil pas éclatant, mais présent. Jusqu'à présent le temps est correct et j'aurais plutôt à me plaindre du manque de vent.
Choisir sa route.
Dès que je serai à la latitude du cap Bonavista, je mets cap à l'Est pour traverser les bancs et le boulevard à icebergs au plus vite, à angle droit. Puis ensuite, orthodromie jusqu'au cap Horn. le choix de cette route est une suite de contraintes et de compromis. Il faut éviter les glaces, les zones perturbées au niveau météo, et passer à au moins 300 milles du Cap Farewell, pointe sud du Groenland, de sinistre réputation pour ses tempêtes.
-Les vents : les dépressions vont des grands lacs US à Terre Neuve puis vers l'Islande. En été, elles ont plutôt tendance à passer par le détroit de Belle Île puis à remonter au Nord-Est et à rejoindre la trajectoire des autres dépressions venant du Labrador et allant au Sud Est de l'Islande. Là deux possibilités : Soit elles contournent l'Islande par le Sud, soit elles vont se perdre dans le détroit de Danemark. Quoique l'on fasse, on est en "terrain découvert" entre le Labrador et et le sud-est de l'Islande et la description des tempêtes dans l'Artic Pilot est proprement paniquante.
-Les glaces : les glaciers de la cote Est du Groenland déversent des icebergs qui sont charriés par le courant Est du Groenland vers le sud. Dans la mer du labrador, ils rejoignent ceux charriés par le courant du Labrador et tout ce petit monde arrive à Terre Neuve où il a tendance à s'étaler sur les grands bancs.
Conclusion : il vaut mieux traverser le courant du Labrador avant cet étalement, là où le flot d'icebergs est le plus resserré, et donc là où la traversée périlleuse dure le moins longtemps.
.......
12/7 Toujours peu de soleil, partant pas de sextant. La journée d'aujourd'hui a été marquée par un grand frais au bon plein que j'ai passé sans problème si ce n'est que l'eau rentre par le coffre à voile. J'ai réussi à capter France Inter (RFI en ondes courtes) et quelle n'a pas été ma surprise d'entendre ce matin des nouvelles des bouchons sur les routes. Savoir que la Nationale 10 est bloquée après Barbezieux, lorsqu'on rentre dans la mer du Labrador, est d'un réconfort certain. Il ne se passe rien. J'abandonne la veille de nuit (tout en laissant les feux de route, quand même...) et je dors comme un loir, un peu désorienté par les nuits très courtes entre 1h GMT et 8h. J'ai fait l'inventaire des livres restant à lire et je dois dire que le stock diminue. Il reste quelques gros pavés que j'avais l'intention d'approfondir parce que de lecture assez ardue : "Introduction à la psychanalyse" "Histoire des religions" "Aperçus sur l'initiation" etc... et quelques romans. J’espère que je trouverai à échanger en Islande.
Ma reprise de contact avec la France, est un peu terne avec Debré, Mourousi, et le Tour de France... Tout cela est peu glamour et laisse facilement la place à d'autres réflexions. Une question par exemple me titille : En quittant Halifax, je risquais ma peau. Bien qu'étant conscient de cela, je suis quand même parti. Pourquoi ? Qu'est-ce qui me pousse ? Le risque n'est quand même pas négligeable...
A l'instant je viens de me faire une petite frayeur : un truc blanc flottant à la surface de l'eau !!! En fait, il ne s'agissait pas d'un growler (et un grand growler n'arrive jamais seul) mais d'une caisse en polystyrène du style de celles qu'utilisent les pêcheurs. Ouf !
15/7 J'écoute assidûment France Inter le matin et l'après midi je glandouille. En fait j'essaye de réfléchir au livre qu'on m'a proposé d’écrire sur mon voyage quand j’étais à New York. Et puis je me demande quel cadeau de mariage je vais faire à ma sœur (je voudrais quelque chose d'original, pas forcément utile, mais beau). Et aussi je tente de construire le diaporama sur le voyage, de lui trouver un style de narration. J'ai déjà en tête les musiques mais j'ai plus de mal avec le commentaire.
A part ça, jusqu'en milieu d'après midi, Biribi se traînait, mais maintenant le Noroît s'est levé et ça pulse enfin un peu. Heureusement car 200 milles en 3 jours, c'est vraiment ridicule. En ce moment, je me fais une Moussaka sur une musique de Washboard Wiggles (Jazz New Orléans). Si ça pouvait durer comme ça jusqu’à l'Islande....
25/7 Pour une traversée pénible, ça aura été une traversée pénible. Je suis encore à 200 milles de l'arrivée. depuis que je suis parti, il y a eu 6 dépressions. Heureusement jamais des grosses, mais elles ont toujours donné des vents forts de secteur Nord à Est, et quand le vent devenait portant, il faiblissait. A part hier où j'étais dans le courant d'Irminger avec une forte houle et un bon force 6, la houle n'a jamais été dangereuse. Mais les moyennes sont déplorables. Il n'y a eu qu'une seule journée correcte à 130 milles et tout le reste est en dessous de 100...
Hier j'ai quand même eu une consolation en voyant une troupe de globicéphales accompagnée de dauphins un peu blancs (avec lesquels il semblerait qu'ils fassent bon ménage) que je n'avais jamais vu, me faire escorte pendant 3 heures. Ils sont apparus à la méridienne, juste quand j'avais le sextant en main.
Le journal manuscrit
Un et puis... quarante. Très près, parfois à moins d'un mètre. Parfois des gros, parfois des petits. Une mère et son petit nageant très près l'un de l'autre. Les dauphins étaient un peu en retrait au début, puis avec les autres à la fin. C'était beau. A un moment, je suis allé à l’intérieur et comme d'habitude, j'en ai entendu se parler. Il y en avait un qui modulait trois notes. Je suis remonté sur le pont et j'ai sifflé ces trois notes. J'ai eu l'impression qu'ils se sont tous approchés : c’était très impressionnant. Ils me voyaient, c'est certain puisque moi je voyais leurs yeux et que j'étais habillé en rouge. Et je sifflais, je sifflais comme un malade. Et l'excitation grandissait. Un moment je suis retourné dans la cabine changer de film et quand je suis retourné, ils étaient un peu plus loin, les plus proches à 5 à 6 mètres. Sauf les dauphins, eux à 3 mètres, sur le coté du bateau ou à l'étrave. J'ai recommencé à siffler. Alors ils se sont rapprochés. Grosse émotion, larmes même. J'aurais donné n'importe quoi pour parler globicéphale ou dauphin. Ils avaient l'air contents, ils avaient l'air de s'amuser, ils avaient l'air confiants. La preuve c'est qu'une mère et son petit de l'année (il faisait quand même un mètre, le chérubin) se sont approchés très près, la mère laissant nager son petit entre elle et le bateau. Photos. Je suis retourné une fois à l'intérieur et ils ont reculé de suite.
Puis enfin, comme j'avais froid, je suis allé à l'intérieur faire réchauffer ma choucroute, et quand je suis remonté, ils avaient disparu. Ah ! cette impression de communiquer, que c’était fantastique....
Voilà, ça se termine, cette traversée. Mis à part les dépressions où je n'ai pas mangé grand chose, ça a été gastronomique : Timbale pescatore, Omelette pommes de terre jambon, Croque monsieur, Ratatouille, Boeuf au curry, Moussaka, Choucroute, Gâteau de riz, Bananes flambées, Gâteau aux marrons, Omelette aux bananes. Que du léger....
Ce matin il m'est arrivé un truc crétin. L'ancre, que j'avais remis à poste hier en prévision de l'atterrissage, est partie à l'eau ! avec toute la chaîne et 20 mètres de câblot. Impossible à remonter à la main. J'ai été obligé d'attacher un boute au mouillage (et de trouver le nœud qui va bien, donc facile à faire et facile à larguer) puis de mouliner au winch . Et hardi petit ! deux heures de winch... et je suis allé dormir. C'est le seul incident majeur de la traversée pour l'instant. Avec la cheminée qui a été prise par une écoute, un gousset de latte qui s'est déchiré, et évidemment un problème de spi. Mais une traversée monotone et emmerdante, car que faire quand les mouvements sont trop brutaux pour lire, qu'il fait trop froid pour rester dehors, qu'il n'y a pas de soleil pour jouer du sextant, et qu'on vient de dormir 4 heures ? Rien ! Ou manger.
Ce matin, je me lève peinard, grand soleil, air transparent, je jette un œil dehors et que vois-je ? NOM DE DIEU, la terre !!! une grosse montagne avec de la neige en haut, grosse comme un camion. Je me jette sur la carte, le sextant, les tables, la gonio. Pas de doute, c'est le Snaefelljokull, glacier de la pointe ouest de l’Islande (celui où se déroule le voyage au centre de la Terre de Jules Verne) Ouah le pied ! il était grand, haut, et on pouvait voir tous les détails des pentes enneigées. Mais je suis à 60 milles. C'est impossible de voir tant de détails quand on est si loin ! Et puis dans la matinée, la montagne s'est estompée. Pas de doute : ma position étant vérifiée, il s'agissait d'un mirage dont parlent les navigateurs et les instructions nautiques du grand Nord. Dans l'après midi, je ne le voyais presque plus et ce soir il redevient visible.... étrange vision !
Ce matin, je suis à 40 milles de la cote et 60 de Reykjavík. Grand nettoyage du bonhomme et du bateau. L'air est sec et frais, et vraiment agréable. Mais ça ne va pas durer. La prochaine dépression approche, les cirrus sont là. Je viens de retrouver le corps d'un petit oiseau que j'avais recueilli en arrivant à New York. Triste !
27/7 Reykjavík est à 5 milles maintenant. Un bateau de pêcheurs est venu me dire bonjour. Question faune, ça ne chôme pas. En dehors de l'escorte habituelle des fulmars, quelques macareux, des guillemots, des puffins et des pingouins. Et à l'instant un phoque : la fête islandaise commence !
Épilogue : l’entraînement au chavirage avait commencé malgré moi cinq ans avant, en 1975, par une nuit de Novembre. Article du Télégramme.... mais c'est une autre histoire qui fut narrée dans Voiles et Voiliers