4ème cérémonie
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4ème cérémonie
Comme je l'ai dit, le lendemain de la 3eme cérémonie fut difficile à gérer. J'étais vide d'energie, vide de motivation, rempli d'une tristesse et d'une lassitude, mal physiquement avec de vagues nausées résiduelles, me demandant ce que je foutais là et ne voulant plus avoir à me reconfronter à tout ça, à l'amertume de la potion, à l'horrible saveur des vomissements. José sourit, me dit que c'est normal car la dose était très forte, qu'on va surseoir à la séance du soir et qu'on verra demain comment je me sens. Je passe ainsi la journée à aller de mon lit au hamac et inversement, dans un état fébrile.
Le lendemain, je suis en pleine forme ! J'ai enfin pu passer une vraie nuit depuis 1 semaine que je suis là, couché tot avec certes un reveil vers 2h du matin, mais un certain nombre d'heures de sommeil bien recupératrices. Quand nous faisons le bilan de la précédente cérémonie avec José avant d'entamer la nouvelle, il m'explique que la séance précédente était très forte pour lui aussi et qu'il n'a pas pu chanter de ce fait, la voix lui manquant. Et que pour moi, c'est mon corps qui est mort, quelques heures. Mourir pour renaître. Une formule souvent utilisée par les chamans dans le travail avec l'Ayahuasca, tel un rite initiatique.
Ce soir, me dit il, nous allons prendre une quantité moindre. Je lui soumets mes questionnements de la veille, faut il s'efforcer de vomir quand on sent l'appel ou faut il essayer de résister contre le mal qui nous appelle à lui, ne pas réagir et ne pas prêter trop d'attention au malaise qui monte en moi. Il me répond que le travail c'est de nettoyer, mais que c'est bien aussi de résister et lutter contre les sensations ou les visions négatives si elles ne sont pas trop fortes.
Il me verse alors à nouveau un jus dans les yeux pour mieux voir les visions, me refait inhaler le jus de tabac, me sert une petite coupe d'ayahuasca dans laquelle il souffle trois bouffées de tabac, et pour faire passer le goût écoeurant de la potion, j'ai cette fois réussi à négocier un quartier de citron à croquer juste après. Ouf ! Ca m'évite de vomir ce que je viens péniblement d'avaler. Je m'installe ensuite en tailleur en position méditative, prêt à affronter le travail, pose mon intention du soir et attend.
Les visions arrivent très vite, sont multiples et habitées, d'abord des oiseaux puis un loup m'apparait, tandis que je sens l'énergie puissante me prendre, les vibrations s'amplifier, l'état second me gagner. Je sens la chaleur me gagner dans le ventre, les visions se troubler, l'appel à vomir se manifester, mais je ne réagis pas, je reste imperturbable dans ma position, sans bouger, en m'accrochant à l'idée que ces visions maléfiques ne sont qu'illusions. Et alors je les vois progressivement s'éloigner et se dissiper, je sens une détente me regagner, des visions très enfantines me gagner, et je suis fier d'avoir su résister passivement.
Evoluant par vagues, l'effet devient de plus en plus puissant, ma respiration s'accélère, mon cœur bat la chamade, une indiscible fatigue me prend, je suis pris de chaud puis de froid, les nausées viennent me travailler de plus en plus énergétiquement tandis que mes visions s'altèrent et se dégradent ; mais je reste centré sur ma position, accroché à ma force intérieure à ma respiration et à une certaine forme de sérenité, ne prêtant que peu d'attention à ce qui vient perturber mon équilibre, en bien comme en mal, en me disant que tout n'est qu'illusion et que seul compte de rester connecté à mon énergie propre, à mon innocence, à ma bonté et à ma force d'amour, sans les laisser se faire corrompre par la tentation du mal.
J'essaie de composer avec ce malaise qui est en moi, de le faire descendre et de le digérer. J'arrive à passer successivement les étapes. Une fois, sans prêter garde, un vomissement jaillit de ma poitrine et j'évacue ce trop plein qui ne demandait qu'à s'évacuer. Reprenant mes esprits, je me redresse et retrouve ma position, assise et droite, pieds désormais ancrés au sol, esssayant de ne pas plier malgré une position de plus en plus difficile à garder. Je vois une tour du haut de laquelle surgit une lumière dans laquelle je suis invité à monter, je passe sur un pont au dessus de douves sombres et nauséabondes qui m'appellent et me tirent vers le bas, je les ignore, je m'en extirpe et je continue de monter.
José pendant tout ce temps chante la même chanson lancinante. Il éructe régulièrement, j'entends Claudio et sa fille (qui est de la partie ce soir) avoir également des élans de nausées. José m'appelle alors à lui, pour me nettoyer me dit-il. Merde. Tu es sûr ? OK. Titubant, je m'installe sur le rondin de bois. Il me souffle alors la fumée de tabac sur le haut du crâne et je me mets immédiatement à dégueuler. Puis il aspire bruyamment le sommet de ma tête qu'il recrache à nouveau sous forme d'éructation. N'ayant que peu vomi, il me prend en face et me souffle la fumée de tabac dans la bouche pour bien nettoyer. J'évacue immédiatement ce qu'il y a à évacuer. Puis il m'invite à regagner ma place, et je m'allonge désormais, éreinté et frileux, blotti dans ma couverture.
Lisbeth passe aussi devant lui et elle passe un mauvais moment. Confortablement allongé, je reste imperturbable à tout ça, essaye de ne pas me laisser emporter par les visions ou les sensations qui me tirent vers le bas, évite de sombrer dans le sommeil et tente de me maintenir en éveil. L'effet vertiginieux s'atténuant, plusieurs personnes de ma famille ou de mon entourage se manifestent à moi, et je prends le temps d'échanger avec elles, de leur communiquer l'affection que je leur porte et la compassion que j'ai pour elles face à leur propres difficultés.
Je profite un certain temps encore de me reposer, allongé, puis je vais regagner mon lit. Comme à chaque fois, le sommeil peine à venir, la plante continue de me parler et de m'enseigner, cela revient souvent sur les thématiques de l'enfant intérieur, de la parentalité, des illusions de notre monde, de l'enseignement de la vie. Mes propres pensées et questionnements personnels se mêlent ensuite à ce flot sans que je ne sache toujours bien distinguer ce que je reçois et ce qui est de ma propre production. Beaucoup de souvenirs refont surface subitement, certaines blessures, certains épisodes marquants, et je ne sais pas toujours pourquoi ils continuent de se manifester, quel message ils cherchent à me faire passer, si je suis encore en train de les nettoyer de leur charge affective à la lumière de la conscience, ou s'ils ne sont plus que des émanations de mes tourments persistants. On a beau partir à l'autre bout du monde, certaines choses demeurent intangibles et certains liens, certaines connexions continuent d'exister et de se manifester. Je laisse les choses se faire, j'essaie de ne pas réagir ni de m'y accrocher, je me retourne de nombreuses fois sur ma couche, et finis à l'aube par m'assoupir.