Marco Polo, Philippe de Dieuleveult, Mike Horn et les autres (8) : changer le cours de l'Histoire
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Marco Polo, Philippe de Dieuleveult, Mike Horn et les autres (8) : changer le cours de l'Histoire
Au sujet de l'aventure, la majorité des gens ordinaires se poseront quand même encore une dernière question : même à supposer que l'aventurier ne sacrifie pas vraiment sa vie ni sa famille à ses explorations, à ses entreprises, à ses recherches et à ses défis, et même à supposer qu'il soit tout à fait autre chose qu'un voyageur de hasard grand format et totalement irresponsable mais qu'au contraire il sache ce qu'il fait, beaucoup mieux qu'on l'imagine même s'il apprend de fait son métier sur le tas, qu'apporte-t-il au juste aux autres ? À la société ? À l'humanité ? Quel besoin satisfait-il, en dehors du fait d'apporter au reste du monde un peu de rêve - ce qu'il y a moyen de faire à bien moins de frais, en écrivant de la fiction par exemple ?
Un entrepreneur qui part des besoins déjà présents et déjà exprimés sur le marché remplit une fonction sociale évidente : il apporte un produit ou un service dont les gens ont besoin. Un chercheur (les mauvaises langues diront : surtout un trouveur - mais est-il seulement possible de trouver sans chercher ?) augmente avec ses découvertes le champ de la connaissance humaine, en repousse les limites et permet à l'humanité de mieux maîtriser son environnement, d'en tirer un meilleur parti et d'avoir une vie plus facile et plus confortable. Un inventeur améliore et facilite la vie des gens grâce à son ingéniosité, et parfois il rend même possible ce qui était impossible avant lui. Un créatif artistique ou littéraire offre au strict minimum à son public quelques instants de divertissement, et après tout le public a aussi besoin de loisirs et même s'il s'agit d'un besoin moins vital que beaucoup d'autres, il est tout aussi respectable qu'un autre. Et parfois le créatif va bien au-delà du simple divertissement en offrant aux gens non seulement de la beauté qui rend leur vie plus agréable, mais même une pensée originale qui peut littéralement transformer leur vision de la vie et toute la façon dont ils l'abordent et la vivent, qui peut changer toute leur vie en un mot. Quelque chose qui fait partie de ce que l'on appelle la culture, voire la civilisation.
Tous ces gens, entrepreneurs, chercheurs, inventeurs, créatifs en tous genres, s'écartent certes des sentiers battus, mais au moins en le faisant ils apportent quelque chose à la société dans laquelle ils vivent et à l'humanité en général, même si la plupart des gens ordinaires trouvent plus souvent qu'à leur tour cet apport discutable (mais en profitent quand même).
Mais l'aventurier, lui, qu'apporte-t-il à autrui en faisant sa vie en dehors des sentiers battus ? Il apporte aux gens un peu de rêve, certes - qu'il est possible d'apporter aussi à moindres frais, après tout le divertissement sert aussi à ça et on peut arguer du fait que rêve, divertissement et loisirs font partie des besoins de l'être humain - mais en dehors de cela, qu'apporte-t-il de concret à qui que ce soit ? Qu'apporte-t-il de plus concret et de plus durable pour tous ses efforts et les risques qu'il prend qu'une simple part de rêve ?
Les explorateurs de ce qu'on appelle encore aujourd'hui en Europe les Grandes Découvertes répondront qu'ils ont au moins découvert pour les souverains qui les ont missionnés de nouvelles routes commerciales et de nouveaux territoires, et que cela a permis à des peuples qui ignoraient jusqu'alors l'existence même les uns des autres de faire mutuellement connaissance et de découvrir chacun pour leur compte d'autres civilisations, d'autres croyances et d'autres modes de vie - et avec cela de s'enrichir mutuellement sur tous les plans. Certes, on peut arguer du fait que ces découvertes ont bien plus enrichi les princes colonisateurs qu'ils n'ont amélioré le bien-être de leurs populations, et ne parlons même pas des souverains et peuples colonisés qui affirmeront y avoir perdu plus que ce qu'ils y ont gagné. Il n'en reste pas moins que, pour le meilleur et pour le pire, pour le pire comme pour le meilleur, ces aventuriers-là ont fait rien moins que changer la face du monde, et aussi son destin. Leurs aventures n'ont donc certainement pas été gratuites.
Moins déterminantes certes pour la suite de l'histoire du monde, mais tout aussi peu gratuites étaient au Xème siècle les explorations des Vikings, dont le but - qu'ils ont atteint - était de trouver de nouvelles ressources, rn l'occurrence des zones de pêche plus poissonneuses, au large de Terre-Neuve notamment, et leurs explorations se sont révélées si concluantes qu'ils sont descendus suffisamment au sud de l'Amérique du Nord (oui, je sais, au sud du Nord, il faut suivre) qu'ils y ont découvert des endroits où poussait de la vigne (actuellement les Carolines, la Virginie et la Géorgie) et qu'ils ont baptisés pour leur compte "Vinland".
D'ailleurs au cours des âges, et depuis la plus haute antiquité, la motivation numéro un des migrations et de l'exploration était la recherche de nouveaux habitats et de nouvelles ressources. Les chercheurs ont récemment fait le lien entre l'explosion du super-volcan Toba il y a 75.000 ans, qui a causé un refroidissement brutal du climat planétaire qui a duré au moins dix ans, et la sortie de notre espèce de son berceau africain où les végétaux qui lui servaient de nourriture comme aux animaux qu'elle chassait avaient du mal à survivre à une telle baisse des températures. S'en sont-ils trouvés mieux ou ont-ils plus probablement été déçus de ce qu'ils ont trouvé ailleurs, l'histoire - non encore consignée à l'époque, c'est bien pour cela d'ailleurs que l'on parle de préhistoire - ne le dit pas, mais d'après les estimations d'un paléontologue japonais, l'humanité se serait trouvée réduite à l'époque à quelques dizaines de milliers d'individus. Autant dire que si ses estimations sont exactes, l'espèce humaine "a eu chaud" malgré le froid ambiant en ne passant pas très loin de l'extinction (et que bien d'autres espèces ont probablement eu moins de chance). Toujours est-il que suite à ce cataclysme et grâce à son esprit d'aventure qui l'a poussée à bouger pour se chercher ailleurs de meilleures conditions de vie, elle a essaimé un peu partout sur la planète et a appris à s'adapter à une large gamme d'habitats différents (qu'elle a par la suite adaptés à son tour à ses propres besoins). Et comme nous le savons aujourd'hui, elle n'en était encore qu'au tout début de ses tribulations. Voilà une autre situation où l'esprit d'aventure, inhérent à la nature humaine ou implanté par une catastrophe d'une ampleur inouïe, a changé l'Histoire et la face du monde.
Par la suite, les différentes explorations menées par des peuples tels que les Phéniciens (grands navigateurs devant l'Éternel) et les Assyriens avaient aussi pour objet de découvrir de nouvelles ressources telles que des gisements de métaux par exemple, qui pouvaient servir à la fabrication d'outils et d'armes et qui avaient de ce fait un grand intérêt stratégique. Les peuples de la Méditerranée, des Grecs aux Romains en passant par les Carthaginois, connaissaient "leur" mer comme leur poche, et les peuples du Pacifique ne craignaient pas d'affronter l'Océan. Il en a résulté guerres autant qu'échanges commerciaux. Les Arabes ne prenaient certes pas de risques inutiles, mais ils savaient naviguer en s'éloignant des côtes - on dit même que l'un des leurs est arrivé jusque sur le continent américain dès le Vème siècle - et s'ils n'avaient pas transmis leurs connaissances aux Portugais, jamais Cristobal Colombo n'aurait eu l'idée de tenter de rejoindre les Indes par l'ouest ni découvert l'Amérique pour le compte des Européens dans le processus. D'ailleurs, si en Europe à son époque la plupart des gens pensaient que la Terre était plate, il ne faut pas oublier que la rontondité de la Terre était connue des Arabes, probablement via les Grecs anciens (dont ils avaient traduit les textes) qui avaient calculé sa courbure avec une remarquable précision...
L'esprit d'aventure, c'est le désir de savoir ce qui se trouve au-delà de l'horizon. Composante intrinsèque de la nature humaine ou résultat du traumatisme consécutif à une catastrophe naturelle planétaire, il a changé la face du monde et forgé le destin de l'humanité. Même si dans toutes les cultures et à toutes les époques, il s'est trouvé des gens parfois remarquables - comme le poète Horace chez les Romains - pour estimer que les barrières naturelles telles que la mer étaient des limites sacrées posées à l'aventurisme humain, ou pour penser - comme Jean-Sébastien Bach - que tous les malheurs de l'humanité ne découlent que de l'incapacité de l'être humain à rester tranquille dans sa chambre et à se contenter de faire sa vie là où il se trouve et là où il est né...
Crédit image : © Getty images - pixdeluxe