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L'intemporalité de la pierre plate.

L'intemporalité de la pierre plate.

Pubblicato 16 nov 2021 Aggiornato 16 nov 2021 Viaggi
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L'intemporalité de la pierre plate.

ou la verticalité du temps...

Marie, en tenue d’équitation sombre, sort du box Junior, son cheval blanc, et l’attache à coté du manège extérieur. Elle le caresse doucement, finissant de le sangler et le préparer pour la promenade prévue. Elle passe sa veste noire, et enfile ses guêtres sur son pantalon. Dans un soupir, elle sort de sa poche un chouchou rose. Elle peine à rassembler ses cheveux pour les attacher, ils sont encore un peu courts. Elle pense à sa jeune élève de la veille qui lui avait offert, la voyant pleurer. « Tiens ! Mets-le ! Avec lui, tu ne pleureras plus jamais ! »

Pourtant, en ce début d’après-midi, des larmes coulent encore sur ses joues, tandis qu’elle observe son compagnon.  François a embauché un copain pour l’aider à charger un camion de location, de ses meubles et affaires personnelles. Il la quitte après sept ans… Sept années à vivre et travailler ensemble, dans ce centre équestre des Alpes. Seulement, François veut des enfants et Marie est stérile. Le verdict était tombé, 5 ans plus tôt, après de nombreux examens médicaux : suite à un médicament que sa mère avait pris, enceinte, la jeune femme ne pourrait jamais avoir d’enfant. François était resté longtemps silencieux.
Pour lui, une vie sans progéniture n’était pas concevable. Il avait tenté de se faire une raison, d’accepter les faits par amour pour Marie. Progressivement, l’insatisfaction pour lui, et la culpabilité de ne pouvoir être mère, pour elle, avait rongé leur amour. Tout devenait sujet à dispute, ils étaient à cran, et finalement, ils acceptèrent la réalité : ils ne s’aimaient plus.

Tout cela est à vif en Marie. Elle n’a que 32 ans et se sent terriblement vieille… Son attention est attirée par la voiture de Sophie, qui entre dans la cour. Son amie se gare et vient vers elle, marchant d’un pas vif. D’un large geste, elle désigne le camion :

–          Et voilà, il s’en va… bon débarras, il est vraiment devenu infect avec toi ces derniers temps.

–          Que veux-tu, pour lui, avoir des enfants est primordial, et puis, il m’a avoué hier soir que sa maitresse est enceinte. Alors… Marie hausse les épaules et ajoute :  Curieuse impression qu’il me quitte pour un ventre plein… mais bon, au moins, il sera heureux…

–          Mais toi ? Comment te sens-tu ?

–          Bien, relativement bien…

–          Ne me ment pas, je vois bien les traces de tes larmes.

François les interpelle de loin :

–          J’ai terminé, on y va, bye !

Les deux femmes sourient amèrement et le regardent monter dans son véhicule. Il leur fait signe de la main et démarre.

Marie monte sur son cheval, elle sent monter en elle une douleur intense et tente de faire bonne figure.

–          Allez, la vie continue. Une balade va me faire du bien. Merci d’être venue tenir la boutique. A tout à l’heure !

–          N’oublie pas qu’une personne doit se présenter à 18h pour le poste de François.

–          Pas de soucis, c’est dans deux heures, je serai rentrée. Je pars du côté de la « pierre plate ».

–          Pas d’imprudence, hein !

–          T’inquiète, regarde, j’ai pris Junior, il est plus tranquille que Mistral. !

Au pas, à peine guidé par une cavalière perdue dans ses pensées, Junior prend le chemin qui longe la route. Il trotte un peu, Marie se sent curieusement et progressivement comme libérée d’un homme qui après quelques années de bonheur, lui a rendu la vie infernale… Elle sourit pour endiguer les larmes montant à ses yeux.. et lance son cheval au galop avant d’arriver dans le bois, au sommet de la petite montagne. Là, elle s’arrête, descend et attache Junior à un arbre, à l’ombre.

Elle s’approche du bord, elle surplombe toute la vallée. Elle cherche la route, le camion blanc amorce seulement sa descente dans la vallée. Elle est satisfaite, Junior a été plus rapide qu’elle ne le pensait…

Marie détourne son regard et s’avance vers la « Pierre plate ». La légende dit que parfois, la nuit, des fées dansent sur elle, ce qui, au fil des siècles, la rendue lisse et satinée sous la main. Il paraît même qu’elle rend fertile. Alors, elle venait pour s’asseoir et rêver de ce bébé qui cimenterait son Amour. Seulement, cela n’a pas fonctionné avec elle…
Et pire, depuis quelque mois, elle a perdu ses espérances, évanouies dans une relation houleuse. Elle regarde le camion un moment, puis s’étend sur la pierre. Sentant son cœur se serrer douloureusement, elle ferme les yeux…


Quand Marie les ouvre de nouveau, elle a l’impression d’avoir dormi pendant des heures. Elle se redresse doucement et se lève. Elle remet en place sa longue robe claire. Elle repousse dans son dos ses longs cheveux détachés. Elle caresse tendrement son ventre. Elle ressent une sensation étrange, regarde la pierre plate et passe doucement la main dessus. Elle a l’impression d’avoir vécu quelque chose d’irréel, mais sans réellement savoir quoi.

–          Quel curieux rêve…

Elle s’approche du percheron noir qui l’attend sous un arbre. Elle le prend par la bride et s’éloigne sur le chemin. A l’entrée du village, une charrette tirée par deux chevaux la double. Le fermier qui les dirige, lève son chapeau et lance en riant :

–          Je te salue, Marie ! Tu vas bien ?

Marie lui sourit.

–          Très bien Baptiste, et toi ? Yvonne n’a pas encore eu son petit ?

–          Non, mais cela ne va pas tarder. Je vais justement chercher la sage-femme. Adieu ma belle.

–          Que Dieu te protège !

Marie tourne en direction d’une maisonnette en pierres. Un homme aux cheveux mi-longs, noirs et attachés dans le dos, ouvre la porte et vient à sa rencontre.

–          Mais Marie, enfin !  Dans ton état, tu ne dois pas monter à cheval !

–          Joseph, je ne suis enceinte que de trois mois !

Marie ajoute, taquine :

–          Et regarde, je ne suis pas sur le cheval, mais à coté !

Joseph sourit, la prend dans ses bras et l’embrasse tendrement avant de lui souffler à l’oreille :

–          Je m’occupe du cheval, rentre vite, l’automne arrive, les soirées sont fraîches.

Ce soir-là, Marie raconte à son mari, l’étrange rêve qu’elle a fait dans l’après midi, sur la pierre plate.

–          J’ai vu une sorte de caisse métallique blanche, avec des écritures. Elle n’était pas tirée par des chevaux, mais roulait sur quatre grosses roues noires. Elle avançait sur un ruban gris qui descendait de la montagne, de notre montagne.

–          Quel drôle de rêve !

–          C’est à cause de la « pierre plate », tu sais, elle est magique !

–          Oui, la légende dit que l’on peut y voir l’avenir… mais… ce ne sont que des fables.

–          Oui. Peut-être.

Marie aime sa vie simple dans sa maison, à l’entrée du village. Son mari s’installe tôt, le matin à la forge, jouxtant la maison. Pendant ce temps, Marie prépare le déjeuner qu’elle met dans son panier et va partager avec son homme, assis tous deux près de la forge. Souvent, l’après midi, elle reste là, car il fait plus chaud que dans leur maison. L’été passé, elle a jardiné, préparé des conserves et avec le bois de la forge, nourriture et chaleur de l’hiver sont assurées.
Le travail de son mari ne l’oblige pas, comme certaines des femmes du village, à travailler dur et elle savoure sa grossesse, jour après jour, tricotant et brodant pour leur futur premier bébé.

Avec sa sœur et deux amies du village, elles se retrouvent parfois, une fois leurs taches ménagères terminées, Raymonde vient avec son nouveau-né, les deux autres, comme Marie, sont enceintes. Elles parlent tricot, couture, soins des enfants, accouchement, parfois.

Elles aiment que Marie leur raconte son rêve sur la « pierre plate ». Elles essaient d’imaginer ce que sera leur pays, plus tard. Elles sont allées tenter de dormir au même endroit, voir ce ruban gris, cet étrange véhicule…en vain.

–          Marie a des pouvoirs surnaturels depuis sa naissance, alors en voilà un de plus, ont-elles conclu simplement.

Un matin, Marie se penche sur son mari pour le réveiller d’un tendre baiser.

–          Regarde par la fenêtre ! Il neige !

–          J’aime ces premiers flocons, nous irons nous promener si tu te sens bien.

Marie pose ses mains sur son ventre devenu bien rond.

–          C’est vrai, c’est dimanche… et rassures-toi, je me sens très bien. Déjà six mois…

En début d’après-midi, Joseph et Marie partent tranquillement dans les bois, ils arrivent sur les crêtes. Ils y viennent souvent, ils aiment la vue sur la vallée, sur les montagnes alentours. Joseph enlève la fine couche de neige et étale une couverture sur la « pierre plate ». Marie s’allonge sur le dos. Elle se prélasse sous les rayons du soleil en souriant. Elle s’endort sous le regard attendri de son mari.


Marie ouvre les yeux, se redresse et observe une dernière fois le camion de déménagement qui dans la vallée, s’éloigne au loin.  Elle fait la moue et marmonne…

–          Quel curieux rêve ! 

Sans quitter le camion des yeux, elle saute de la Pierre et ressent une étrange sensation. Elle se retourne et constate que le chouchou rose est resté sur place. Rassemblant ses cheveux afin de le replacer, elle est stupéfaite, ils lui arrivent à la taille maintenant. Elle baisse les yeux pour les regarder et pousse un cri de surprise. Elle se soutient à la pierre plate, prise d’un léger malaise.

Au centre équestre, Sophie est au téléphone, elle regarde sa montre en marmonnant.

–          Oui, bien sûr ! Mais il est déjà 18h30, Marie m’avait dit qu’elle serait là ! …

–          …

–          Et l’homme pour la place de moniteur n’est pas là non plus. Décidemment !

–          …

–          Non !  … oui, oui, bien sûr, je passerais dès que…

 

Le bruit de sabot d’un cheval au pas, se fait entendre, Sophie se retourne. Saisie de stupeur, elle laisse tomber son portable. Elle fixe son amie, qui rentre son cheval dans un box.

–          Marie, mais qu’est ce que … ? Tes cheveux !

–          Surprenant, oui, je sais ! Je n’y comprends rien !

–          Tu pars avec les cheveux courts et là… oh, tu me fais une blague, tu as trouvé une perruque ! C’est malin !

Sophie ramasse son portable et continue sa conversation :

–          Voilà, elle est rentrée, je vais pouvoir arriver.

D’une petite voix, Marie appelle son amie

–          Sophie, s’il te plait ! J’ai besoin que tu restes un peu.

Surprise par le ton inhabituel de la voix de la jeune femme, Sophie se tourne vers elle et reste bouche bée, les bras ballants… Son téléphone se retrouve au sol une seconde fois... 

Marie est face à elle, elle a ouvert sa veste. Son pantalon d’équitation est ouvert et roulé sous son ventre très arrondi. Elle est perplexe et explique d’une voix mal assurée :

–          Je me suis endormie sur la pierre plate, tu sais, la pierre que l’on dit magique… C’est complètement fou… Je…Regarde maintenant mes cheveux !  et surtout mon ventre…

–          Oui, je vois, c’est dingue ! tu es partie … quoi… deux heures…

–          Deux heures et demi environ, oui, j’ai mis un peu de temps pour le retour, préférant marcher. Je suis épuisée.

Sophie remet à son oreille son portable d’où sortent des « allo allo » inquiets. Elle articule difficilement :

–          Euh … Là, on a un souci ! Je te rappelle !

Elle referme l’objet et le glisse dans sa poche de veste.

Elle s’approche de Junior qui s’impatiente un peu et saisissant doucement les rênes,  elle annonce :

–          Je crois que je vais m’occuper de lui, déjà.

–          Merci, suis vraiment épuisée… dans mon état, tu imagines …

–          Tu dois nous faire une sorte de grossesse psychologique suite au départ de François… par réaction.  Un truc de ouf…

Avec une grimace amusée, Marie pose une main sur son ventre…

–          Elle gigote plutôt beaucoup… cette réaction…

Sophie pousse le cheval dans le box, totalement perplexe.

–          Au moins, tu n’as pas perdu ton sens de l’humour…

–          Un « truc de ouf » comme tu as dit, oui…

–          Mais… je suis curieuse… j’y comprends rien… que dalle !… Qu’as-tu fait réellement ?

–          Je me suis étendue sur la pierre plate,

–          Oui, cela, ok.

–          Et j’ai fait un rêve magnifique !

–          Oui, mais raconte ! … Un rêve, un rêve… c’est impossible que…

Marie est songeuse, partie dans ses souvenirs :

–          Je vivais à une époque lointaine, fin du moyen âge, je pense. J’étais habillée de robes longues en grosse toile. Je n’étais pas riche, mais sans manquer de rien. Je me souviens, je cuisinais dans la cheminée.

–          Comme si tu avais changé d’époque ?

–          Oui, totalement ! Je vivais dans la maison en ruine, tu sais, en face de la MJC.

–          En ruine ?

–          Mais non, pas à l’époque, la maison avec la forge, elle était simple, il faisait chaud !

–          C’était l’hiver aussi ?

–          Au début de mon rêve, c’était l’automne, mais c’était comme si j’avais toujours vécu là… D’ailleurs, je tricotais.!

–          Toi ? Tu tricotais ?

–          Bin oui…

Marie sourit, il est vrai qu’elle n’a jamais été douée en travaux manuels… alors tricoter !

–          Surprenant, oui, je tricotais. J’étais heureuse. J’étais avec mes amies d’enfance, ma sœur. Les jeunes femmes du village. J’ai l’impression d’être restée plusieurs mois, pas seulement deux heures… plusieurs saisons, même… mais surtout… Il y avait un homme, mon mari…

–          Oui, à voir ton ventre, on devine aisément qu’il y a eu un homme… Comment était-il ?

–          Merveilleux, très beau, les cheveux noirs tombant sur les épaules… Il les attachait, le jour, pour travailler.  Il est… euh, était… enfin, c’était un forgeron, avec des yeux sombres. Il réalisait des armes magnifiques. Des chevaliers venaient de loin pour le voir. Mais ce qui était vraiment surprenant, c’était l’amour entre nous, je n’ai jamais connu cela ! Un sentiment puissant me prenant tout le corps.

–          Pour cela, on a la preuve vu ton état… rétorque Sophie en riant, presque nerveusement.

Le bruit d’une voiture se fait entendre, puis des pas dans le gravier. Les jeunes femmes continuent de discuter sans y prêter attention, Marie restant totalement immergée dans ses souvenirs :

–          Un bonheur parfait… des yeux sombres où je pouvais lire tant de tendresse… je n’imaginais pas qu’un tel amour puisse exister, une communion totale. Des épaules larges, sécurisantes, des mains… humm ses mains…

Sophie se retourne pour regarder son amie dont la voix enjouée la surprend alors qu’elle devrait plutôt s’inquiéter de son état :

–          Ecoute, tu dois disjoncter en plein ! François vient de partir, et le même jour, tu tombes amoureuse d’un forgeron du moyen-âge…

–      François ? C’est qui ? Plaisante Marie. Puis toujours aussi rayonnante, elle poursuit, cet homme, Joseph, il avait aussi une voix… une voix chaude… une voix que je n’oublierai jamais.

Un inconnu, la quarantaine, pantalon et veste en Jean, s’avance et demande :

–          Excusez-moi, je cherche la responsable du centre, j’ai téléphoné ce matin.

Marie se retourne brusquement en mettant sa main sur la bouche. Elle a reconnu La voix… SA voix!… L’homme a les cheveux mi-longs, noirs, les yeux sombres. Il la regarde intensément, tout aussi surpris qu’elle.

Sous le regard interloqué de Sophie, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassent longuement, comme s’ils venaient de se retrouver après une séparation de quelques jours.

Tendrement, il pose la main sur le ventre de Marie :

–          Vous étiez ainsi, ma mie, bien enceinte, quand vous avez disparue de la « pierre plate ». J’ai été condamné pour votre meurtre, même si jamais personne n’a pu retrouver votre corps. Que s’est-il passé ? …

–          Je n’en sais absolument rien, je me suis endormie sur la pierre, là, aujourd’hui… j’ai rêvé de vous, d’une autre vie, dans le passé… j’ai dormi deux minutes, pas plus. Et je me retrouve enceinte de 6 mois au moins, alors que je suis partie, totalement stérile. Je ne comprends rien, mais je me souviens très bien de cette vie avec vous. C’était si bon, si paisible. Que du bonheur !

–          Oui, je m’en souviens bien, nous nous aimions tellement… Au-delà du temps. D’ailleurs, cela fait 300 ans, et quatre vies que je vous cherche inlassablement.

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