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(I,4) : L'éternel recommencement

(I,4) : L'éternel recommencement

Pubblicato 20 mar 2021 Aggiornato 20 mar 2021 Imprenditorialità
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(I,4) : L'éternel recommencement

Scène 4

Le Philosophe

 

LE PHILOSOPHE

C’est curieux, tout de même, que le jour du pot de départ de Charles arrive un jeune premier. L’éternel retour du même, l’impitoyable cycle de la vie. Il débarque au bon moment : les banderoles sont déjà prêtes pour le bal des débutants. De mon temps, on trouvait encore des petits pains au buffet. Et du café tiédasse. Mais il ne faut pas, ça donne des palpitations à Charles. Comme nous, le stagiaire devra se contenter de camomille et de tilleul. Ça lui donnera un arrière-goût de ce qui fait le sel de cette boîte : l’ennui, l’immobilisme et la médiocrité. Oh, j’ai l’impression de radoter. Cinq ans de travail. C’est si peu, cinq ans, le temps de faire des études, qui me paraissent si lointaines. Les mois filaient à toute vitesse. Puis j’ai franchi la lisière de la vie active qui impose un espace-temps inédit. Ses particularités ? Réduction de l’espace à trois mètres carrés d’agglo IKEA, dilatation extrême du temps de huit à dix-huit heures. Et, cerise sur le gâteau, restriction du champ de pensée. Condensation de l’horizon d’attente en une tête d’épingle. Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Annihilation progressive (donc pernicieuse) de tout espoir. (Il prend une petite voix moqueuse) Je reprendrai mes études. Je complèterai ma formation. Je m’engagerai dans des associations. J’irai au sport. Puis je rentrais le soir avec un vide assourdissant entre les deux oreilles. Je ne suis qu’un pauvre corps physique sous l’emprise de l’inertie, qui me pousse du lit au bureau, du bureau au lit, et, je ne me leurre plus, du bureau au burn out.

Il s'approche de la fenêtre et effleure la vitre

Si j'avais cette fichue clef, sauterai-je ? Qu'ai-je de plus, le soir, qui me retient ? Après mes heures, je retrouve ma femme et mes enfants. Les mêmes disputes, inlassables, les mêmes discussions qui ne nourrissent pas l'esprit. Il est fini pour moi, le temps des beuveries. Mais ne pourrais-je plus connaître une parcelle de vie soustraite au déterminisme ? Sans penser au prêt sur trente ans, à l'avocat, aux pensions alimentaires qui m’attendent si je dévie un seul instant du chemin tout tracé. Parfois, je me dis que je me suis fourvoyé et que j’ai loupé mon existence. La vie, peut-être que ce n’est pas qu’une kangoo garée devant une maison mitoyenne de banlieue…

Il s’y mire. Il se gratte le visage, se décolle la peau des paupières, celle des joues. Il se gratte furtivement.

Vieux. Je suis vieux. La vitre donne à mon visage un air faussement brillant. Dans ma salle de bain, je me vois sans fards. Vitreux. Blanc, olive, beige, gris, grimé de cernes, moucheté, constellé d’eczéma. Au gré des saisons, je parcours tout le nuancier des possibles.

Le travail s’évertue à gommer les aspérités de ma personnalité. Le soir, j’oublie de plus en plus d’enlever mon masque. Bientôt, ce sera devenu ma seconde nature. Totalement, je serai un cadre.

Puis, d’un rapide coup d’œil à la machine

C’est une époque de prodiges, où les hommes apprennent à devenir accessoires. Hosannah !

Il regarde ailleurs avec un demi-sourire

Et la grande question, l’instant sociologique : combien de temps va-t-il falloir au nouveau avant de comprendre la supercherie ? Combien de temps mettront ses orbites pour se ternir ? En clair : combien de temps avant de finir comme moi ? Cela me consolerait, presque, si je n’avais pas la peur, en le voyant dépérir, qu’il ne reflète mon propre échec. Il ne me reste que la cruauté, et l’amertume.

 

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