#BoDNouvelle #micronouvelle

J’étouffe, j’essaie de respirer !

Quelque chose bloque l'air dans mes poumons. J'essaie de bouger, mais je suis comme une chrysalide, enveloppé dans un cocon. Que s’est-il passé ? J’ai oublié !

Tout ce dont je me souviens c’est de marcher dans cette ruelle sombre d’un port. Je deviens fou. J’ai une perte de mémoire, un trou béant. Il me revient que quelques bribes de souvenirs décousus. Je suis policier. Je me rappelle cette enquête criminelle enfin, elle est un peu floue pour le moment. Je fais des efforts pour raccrocher les morceaux.

Il y avait cette magnifique femme, blonde comme le blé, élancée. Une danseuse de cabaret, disparue depuis... Je ne sais pas combien de temps. J’étais sur une piste, j'en suis sûr. Je suivais le fétichiste de cheveux d’or dans la zone portuaire de Toulon.

J’ai 50 ans et je ressemble à un de ces inspecteurs, écorché par la vie, détruit par les horreurs du métier, vivant seul dans un appartement miteux fréquenté juste pour dormir quelques misérables heures, boire un café ou plutôt un jus de chaussette avec un verre d’alcool qui semble réchauffer mon âme.

La bouteille est mon amie et mon ennemie aussi. J’ai une autre maison, c’est mon bureau. Celui qui est tellement enfumé par les cigarettes se consumant dans un cendrier trop petit pour son contenu, qu’il pourrait me refiler un cancer du poumon.

Pourquoi, je ne me souviens pas si j’ai un collègue ? C’est curieux.

Je suis allé dans cette ruelle et je me suis senti mal. Mon cœur a palpité, la sueur a envahi mon corps. Quelque chose m’a heurté. Une lame de couteau. Je me souviens avoir vu trop tard son reflet sous le lampadaire. Je saignais et mes mains tremblaient. Je me suis écroulé et j'ai vu le corps de la femme dans sa robe de soie noire. Puis, le trou noir ! Et si j'étais mort ? Pourquoi, je ne perçois que des bribes de ma vie ?

Il faut que je sorte de cette chose qui m'empêche de respirer. Je pousse fort avec mes avant-bras. Je casse le cocon et je respire comme si j’avais retenu mon souffle depuis de nombreuses minutes. Mon esprit devient flou. J'ai mal au crâne. Je commence à voir les objets autour de moi. Je suis dans un appartement propre qui semble ne pas avoir été utilisé souvent, un peu comme ces maisons témoins.

Je regarde mes mains qui ne sont pas ridées. Je connais cet appartement, car je me dirige vers la salle de bains sans me poser de questions. C'est le mien ! Le miroir me renvoie l’image d'un visage rajeuni comme si je venais de renaître dans le corps d'un homme nouveau d'une trentaine d’années. trente-deux ans très exactement. Comment le sais-je ? Aucune idée. Je pensais avoir cinquante ans.

J’ai trouvé sur le lit ma plaque et mon arme de service. Je n’ai donc pas rêvé, je suis bel et bien policier.

Je ferme l’appartement et je sors de ma poche les clés d’une vieille guimbarde qui se trouve au coin de la rue. J’ai de nouveau un trou. Je reste immobile. J’ai dû me tromper, les clés ouvrent une voiture flambant neuve. J’ai tout à coup l’impression que ma vie est un brouillon qu'on ne cesse de gommer et de réécrire.

J'arrive à mon bureau et un autre policier s'approche de moi. Sûrement mon collègue.

"- On a du nouveau. J'ai suivi la danseuse du cabaret qui est venue se plaindre d'un homme qui la suivait de près"

"- On a un nom ?"

"- Oui, un nom et un visage, c'est un docker qui a eu déjà quelques soucis avec la justice. Il ressemble au portrait-robot du fétichiste de cheveux d'or."

"- OK, je vais suivre et protéger la jeune femme, ce soir. Je vais relever l'équipe et toi tu cherches une adresse. Il doit bien y avoir une trace de lui quelque part. On ne peut pas se permettre d'avoir une autre victime."

"- Très bien, mais tu es prudent ce soir !"

"- Bien entendu !"

La façade du cabaret était illuminée. Je montrai ma plaque pour entrer. Mes deux collègues m'attendaient dans le couloir menant aux loges.

Je les saluais avant de prendre leur place.

La jeune femme entra dans sa loge après son numéro de danse pour se changer et échangea un sourire discret avec moi. Je l'informai de l'écart que je laisserai entre elle et moi sur le chemin du retour.

Je la regardai de loin se déhancher dans une belle robe longue de soie noire qui laissait ressortir ses formes somptueuses. En observant les lampadaires, je pensai à un couteau. Pourquoi ? Je n'en savais fichtre rien, mais la pensée de ce couteau me fit froid dans le dos. Je devins paranoïaque. Je scrutai le moindre recoin de la ruelle. Je sortis mon arme. Un homme attrapa la jeune femme et je courus vers eux.

Il la maintenait, avec son bras, serrée contre son buste, et menaçait sa gorge avec un couteau.

La jeune danseuse lui écrasa le pied avec son talon aiguille, le faisant hurler de douleur. Je profitai de cet instant d'inattention de sa part pour tirer. Il s'écroula, regardant le sang jaillir de sa blessure.

C'est curieux ! Il me semblait me souvenir que j'étais mort à sa place.

Je me pose des questions. Suis-je réel ? Et si je n'étais qu'un personnage de roman policier ? Peut-être que l'auteur voulait faire de moi un autre homme, me faire renaître sous les traits d'un jeune policier et me donner la chance de survivre à cette soirée. Ce serait plausible, non ? Peut-être a-t-il mal effacé son brouillon, ce qui a provoqué chez moi les souvenirs de mon ancienne vie ?