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10- L'attrait de l'Italie ( 1537-1543)                        Venise 

10- L'attrait de l'Italie ( 1537-1543)                        Venise 

Pubblicato 28 ago 2023 Aggiornato 30 ago 2023 Salute
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10- L'attrait de l'Italie ( 1537-1543)                        Venise 

— Léonard de Vinci* s’y intéressa… et avant lui Donatello, Verrochio, Botticelli… plus tard ce sera Raphaël et Michel-Ange pour ne citer que les plus grands qui se pencheront sur l’anatomie humaine afin d’apprendre à respecter les proportions du corps. Cependant, Vinci alla beaucoup plus loin que ses prédécesseurs.  Au début du siècle, il pratiqua des dissections à l’hôpital Santa Maria Nuova de Florence sous le contrôle du professeur de Pavie Marc Antonio della Torre. Peintre et homme de science, son génie lui permit de réaliser des dessins exceptionnels et de mettre au point des injections conservatrices à base de cire liquide. Les avez-vous vues ?

 —  J’ai eu la chance de voir quelques dessins dans ses cahiers ramenés en France avec sa   Mona Lisa qu’il retravailla au Clos-Lucé. Ils sont extraordinaires et l’œil qui esquisse, dessine les tendons, les articulations est celui d’un anatomiste et non plus celui d’un peintre. Seuls les portraits d’enfants manquent de rapports exacts. C’est ce que je veux réaliser pour le corps humain dans son intégralité avec une vision topographique et descriptive…

 — Venez avec moi.

 

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* L’œuvre anatomique de Léonard de Vinci reste méconnue jusqu'à sa publication en 1898. Et pourtant dans ces deux cent vingt-huit planches, dont la grande majorité est conservée à la bibliothèque de Windsor, il est le premier à décrire avec exactitude les ventricules cérébraux, les structures cardiaques et surtout l'aspect fonctionnel, mécanique de la musculature des membres inférieurs, ou des fonctions sphinctériennes au niveau du larynx, du rectum et des vésicules séminales. (Jacqueline Vons, université François Rabelais de Tours/ Centre d’Études supérieures de la Renaissance/ CNRS-UMR 6576)

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Le Titien me passe le bras autour du cou, comme deux vieux amis qui se retrouvent après une longue absence et ses pas nous mènent devant l’homme – élève ou pas – dont je parlais précédemment.

 — La notoriété a ses obligations. Je croule sous les commandes pour l’église ou de riches clients et mes élèves suffisent à peine pour initier le travail commandé. Je suis devenu aussi le peintre officiel du Saint Empire…  Nous ne sommes que deux, Jan et moi, à les encadrer. C’est bien dommage, car j’eus aimé m’employer à votre commande, mais je n’en ai malheureusement pas le temps.

Il réfléchit quelques secondes, hochant la tête d’un air contrarié.

 — Une approche artistique qui m’aurait plu… marmonne-t-il avec regret. Ses yeux sondent le peintre qui lui fait face, à qui il sourit avec tendresse.

 — Je vous présente Jan Van Calcar, élève d’une rare compétence et presque maître maintenant. Il réalise des tableaux que je revendiquerais sans la moindre hésitation. Parlez-lui de vos désirs, de vos souhaits. Lui a encore le temps …mais pour combien de temps ?

C’est ainsi que je fais la connaissance du peintre avec qui je travaillerai pour mes planches anatomiques. J’apprends au cours des conversations que Jan Stéphan est né dans le duché de Clèves, mais il se sent plus vénitien que le plus vénitien des peintres italiens, ayant vécu presque toute sa vie ici. C’est un homme chaleureux et souriant et je loue tous les jours le hasard qui me mit sur son chemin et sur celui du Titien qui me le présenta. Je profite aussi de mon passage à Venise pour diversifier mon activité. C’est ainsi que j’expérimente les racines de Chine, plantes grimpantes indigènes, largement utilisées dans les pays d’Asie, essentiellement la Chine et le Japon. Cette plante qui fait son apparition dans nos pays à l’ouest de la mer Égée parvient à Anvers en passant par le Portugal. Très vite, on lui prête toutes les vertus médicinales soignant tout ou presque ! À Venise, j’en teste ses effets chez des patients atteints de pleurésie sans y trouver de résultat probant. Plus tard, médecin de Charles-Quint, ce remède vient à ses oreilles et il voudra le tester, le préférant au gaïac, estimant le traitement moins pénible. Je dois préciser cependant que je n’ai jamais été très enthousiaste sur les résultats générés par cette racine, considérant qu’il y a là essentiellement un effet de mode, que l’administration se fasse en applications ou décoctions.

J’ai également l’honneur de conduire une dissection anatomique à la demande des médecins vénitiens à laquelle assistent l’essentiel de la noblesse et les religieux. Le plaisir de solliciter du matériel anatomique et d’obtenir presque aussitôt deux ou trois corps en état présentable est une découverte qui me permet d’avancer énormément sur les temps de dissection difficiles. Les phrases de Léonard de Vinci me reviennent à l’esprit quand il précise qu’une seule tentative de dissection n’est jamais suffisante pour qui veut dominer son sujet : un seul corps ne dure pas le temps nécessaire ; il faut procéder de main en main, sur plusieurs corps, pour arriver à l’entière connaissance, et souvent recommencer deux fois pour trouver les différences. Et si tu as l’amour de la chose, tu en seras peut-être empêché par ton estomac (…) et si tu surmontes encore cela, il te manquera le bon dessin (…). Si tu as le dessin, auras-tu la perspective ?

Ma pratique de la chirurgie cependant, je le reconnais volontiers, reste bien éloignée de celle exercée par des compagnons-chirurgiens comme Ambroise, que je n’égalerai jamais dans ce domaine et dont j’ai pu admirer l’adresse manuelle et la grande pratique acquise, irremplaçable, qu’aucun livre ne peut combler. Je me contente donc de pratiquer des actes élémentaires qui consistent à poser des sangsues ou inciser des veines, particulièrement la poplité, que les chirurgiens de robe courte ne touchent pas, sans oublier les traditionnelles incisions d’abcès. Mes ennemis me reprochent avec vigueur ce manque d’expérience, car ma passion reste en effet l’anatomie. Outre ses palais, la splendeur des lieux et sa prospérité, la sérénissime me charme je l’ai dit, par la beauté des Vénitiennes qui déambulent, vaquent à leurs occupations, fréquentent les marchés sans la moindre crainte dans cette cité de dimensions modestes où la garde reste très présente et les larrons plus discrets. Je suis tous les jours fasciné par l’effervescence de cette ville, où le commerce maritime a atteint son apogée, par ses étroites ruelles où la noblesse richement vêtue déambule au milieu du petit peuple d’ouvriers qui tous occupent un travail et paraissent insouciants. Quant aux courtisanes, elles sont célébrées pour leur beauté, on loue leur conversation et leur charme qui font passer à qui le désirerait des moments fort plaisants. Elles sont quelques centaines dans la ville et la liste de ces dames est facilement consultable ainsi que leur tarif. La beauté d’une ville a pourtant toujours son revers et je découvre que sa tolérance y est très relative. Un matin où je vagabonde dans le quartier animé du Cannaregio, alors que la brume printanière nimbe encore quais et canaux, glissant sous les ponts qui l’enjambent, parant la ville de ce mystère qui lui est si coutumier, je vois tout à coup émerger de la bruine une splendide Vénitienne qui se déplace en gondole. Saisi par sa beauté, sensible à l’esquisse de sourire qui se dessine sur son visage en m’apercevant, je reste transi devant tant de sensualité et son allure de princesse. Cédant à une pulsion, je suis cette embarcation superbement peinte qui glisse paresseusement sur l’eau tranquille à peine troublée par la rame du gondolier posée sur sa forcola. Quelques minutes se passent avant que l’équipage ne parvienne à son embarcadère. Là, cette silhouette auréolée d’une chevelure ambre - que l’on nomme déjà blond vénitien - disparaît de ma vue après s’être retournée pour me gratifier d’un sourire éclatant. Je ne la revis jamais, ayant disparu dans l’une des nombreuses demeures entourant une place centrale, cernées de toutes parts par le canal. Mes premiers émois amoureux passés, je m’enquiers de ce lieu qui paraît être exclu de la cité à deux pas pourtant du quartier nord, l’un des plus animés de Venise.

J’apprends ainsi qu’il y eut en ce lieu une ancienne fonderie où l’on avait parqué 20 ans plus tôt tous les juifs qu’ils soient Ashkénazes, Sépharades, Marranes ou Levantins. Ce périmètre dénommé « getto » car désignant une fonderie en vénitien gardera ce nom ghetto et, par extension, désignera quelques années plus tard les quartiers juifs. Venise me paraît immédiatement moins belle et moins attrayante. Est-ce cette façon de faire qui me choque ou le fait que cette jeune dame, juive et de condition aisée, reste infréquentable pour quelqu’un comme moi. Je ne peux rien affirmer malgré ce premier coup de canif sur un cœur vierge des toutes premières amours.

L’année de pratique au lit du patient qui s’est limitée à trois mois du fait de ma réputation acquise dans les dissections me permet maintenant de passer officiellement mes examens de   doctorat en médecine et de quitter Venise. La connaissance de ce ghetto, cette roue jaune que les juifs parqués au Cannaregio sont tenus d’agrafer à leurs habits pour qu’on les reconnaisse, ce bonnet enfin de même couleur qui va peu à peu remplacer cette roue m’indisposent. Faut-il qu’en ces temps de grands bouleversements, il n’existe aucun endroit, aucune ville qui soit irréprochable ?  Padoue, toute voisine et siège de l’université m’attend.    

 

Photo personnelle

Jean-Jacques Hubinois / Vésale, le trublion de la Renaissance / Amazon  

 

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