Origines - 1
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Origines - 1
POV Evan
Afrique, Mali, zone des trois frontières.
Je scanne l’horizon du regard en réajustant la bandoulière de mon arme. La terre rouge est tellement sèche ici qu’elle en devient du sable. Le soleil est impitoyable et les ressources trop rares. Les petits arbres trapus et le peu de végétation qui pousse quand même dans la région forcent le respect. Ce n’est pas ma première OPEX au Mali, mais je n’en reste pas moins étonné à chaque fois.
— Le pire, c’est que des gens vivent dans ce coin aride, dit Nathan dans l’oreillette de communication qui relie les chefs d’équipe.
— Non, ils survivent, lui précisé-je.
Entre le climat impitoyable, le manque d’eau, de moyens, et la guerre qui continue à faire rage à deux pas, dans le désert, c’est difficile de comprendre pourquoi ces villageois sont encore là. Les journalistes qu’on escorte parfois jusqu’ici sont horrifiés. Les petits jeunes dont c’est la première opération Darkhane aussi. Il faut trois ou quatre tours et avoir vu pire pour accepter ça comme une réalité.
J’en suis là. Je sais pourquoi ces gens restent ici.
Ce qui ressemble à un enfer pour nous autres, soldats français équipés de la tête aux pieds, avec trente kilos de matos sur le dos et armés jusqu’aux dents, n’est que le quotidien pour ces Maliens.
À mesure que je rejoins les hommes de mon groupe aux abords du village que nous avons mission de surveiller, mon regard s’affine. J’étudie le troupeau de chèvres maigres qui traîne toujours au même endroit. Il en manque une, celle avec le bout des oreilles blanches. Je le note mentalement parce qu’on ne sait jamais ce qui se cache derrière un détail comme ça ici.
On doit se méfier de tout et de tous. Un combattant ennemi peut être caché parmi les villageois. Un groupe armé peut essayer de se faire passer pour eux, leurs armes planquées dans une maison, prêt à tirer si on fouille de trop près. C’est pour ça qu’on est là, qu’on patrouille et qu’on surveille. On maintient la pression.
Les villageois ne nous voient pas d’un bon œil. Ça peut se comprendre, mais dans le fond, on les protège. Même un peu d’eux-mêmes. La tentation serait grande de se faire payer par les djihadistes pour rejoindre leur combat, porter une bombe à activer dès qu’on s’approche ou à dissimuler des véhicules et des munitions.
Ces connards ne reculent devant rien. Ils braillent qu’ils font la guerre au nom de leurs valeurs et de leur Dieu, mais ils n’hésitent pas à menacer, violer, torturer ou tuer des gens de leur propre religion pour arriver à leurs fins.
Je connais ce village par cœur au bout de trois semaines de mission. Ses habitants, humains ou chèvres. Personne ne me la jouera à l’envers ici.
— Équipe 2, au rapport ? demandé-je à voix basse en arrivant aux abords des maisons rustiques.
— R.A.S, me répond Stan. Douze personnels sur la partie est. Six féminins et des enfants.
— Reçu.
Où sont les hommes aujourd’hui, bordel ?
Ce n’est pas jour de marché ni de pèlerinage…
— Dix sur la partie ouest, ajoute Nathan, le chef de l’équipe 1. Un masculin. Le griot.
Donc, ils ont laissé les femmes, les mômes et le vieux barde du village seulement.
Et les chèvres. Moins une.
Putain…
— Cherchez des traces de sang, genre en grande quantité, ordonné-je. Dans le sable, un saladier, ou un gros récipient.
— Reçu, me répondent les gars déjà en train de dispatcher mes ordres à leurs grenadiers-voltigeurs.
Je presse le pas pour les rejoindre de l’autre côté du village. Seul, je redouble de vigilance. Si j’ai raison, si les gars trouvent une mare de sang, c’est que cette chèvre aux oreilles blanches a été sacrifiée. Vu la saison et la maigreur de la bête, ce ne serait pas pour la bouffer.
Il n’y a rien de mon côté du bled. Je passe les maisons rudimentaires et les huttes, inspecte le sol à la recherche d’une trace suspecte. La seule chose que je trouve en traversant, c’est un gamin qui me dévisage.
Je m’arrête, un sourire s’allume timidement sur son visage. On se reconnaît l’un l’autre pour se croiser tous les jours depuis trois semaines, mais on ne s’est jamais adressé la parole. Je ne sais même pas s’il parle français. Mes bases de bambara sont mauvaises…
— Hello, lui dis-je simplement.
— Bonjour, répond sans hésiter le môme qui doit à peine avoir dix ans.
Son sourire se fait plus franc, je baisse mon arme sur le côté pour ne pas paraître menaçant.
— Tu n’es pas à l’école ?
Les classes sont dans un autre village, à plusieurs kilomètres. Les gamins s’y rendent ensemble le matin, d’habitude.
Le garçon dit non de la tête, toujours aussi amusé par notre échange. C’est communicatif, j’ai envie de lui sourire à mon tour, mais je me retiens.
— Tu sais, si tu ne vas pas à l’école, tu vas finir avec les méchants contre qui on se bat, dis-je en fronçant les sourcils.
Son sourire s’efface. Son regard perce le mien sans défaillir quand il me répond :
— Ils ont tué mon père. Jamais je ne deviendrai comme eux.
Cet enfant a quinze centimètres de moins que la moyenne et la peau sur les os, mais plus de détermination dans les yeux que n’importe quelle jeune recrue de dix-huit piges que j’ai vue s’enrôler dans l’armée.
Je m’autorise enfin à lui sourire et hoche la tête avec respect.
— OK, lui dis-je en lui tendant la main ouverte pour faire un check.
Il claque sa petite main dans la mienne, solennel, comme si l’on venait de signer un contrat moral tous les deux, avant de me sourire de nouveau.
En un sens, c’est un peu ça : on vient de faire un deal.
Je ne sais pas quand son père est mort, mais ça ne date pas d’hier. Ce gamin veille sur son village, même s’il ne peut rien faire d’autre pour le défendre. Et je comprends bien que c’est pour ça que je le croise souvent depuis le début de cette mission. C’est pour ça qu’il n’est pas tous les jours à l’école…
Je me redresse et ressaisis tranquillement mon fusil, prêt à reprendre la patrouille. J’adresse un dernier regard de biais au gamin, me demandant ce qu’il deviendra vraiment d’ici quelques années. L’armée malienne ? Une milice ? S’il survit jusque-là. Si le village ne finit pas décimé à la minute où notre groupe se sera retiré de la région. Les associations humanitaires ne viennent pas jusqu’ici. Le danger est trop grand, et les besoins encore plus.
— Tu sais où sont partis les hommes ? osé-je enfin lui demander, de la façon la plus détachée possible.
— Combattre.
— C’est bien ce que je pensais.
Autant dire qu’ils sont morts à l’heure qu’il est, en train de se décomposer dans un trou au soleil. Armés de pauvres lames émoussées, face à des tarés avec des kalachs, ils n’avaient aucune chance.
Je m’éloigne du môme avec un dernier hochement de tête avant d’appuyer sur l’émetteur de ma radio :
— Ne cherchez plus de traces de sang, les gars. Le sacrifice de cette chèvre n’aura servi à rien.
— Qu’est-ce que vous voulez dire, Sergent ? réagit Nathan.
— Qu’il n’y a plus de personnel masculin adulte vivant dans le village, à part le vieux griot.
— Reçu, répond Stan, laconique.