Les jours suivants, Elle L’appelle encore plus que d’habitude, pour prendre la température de cette voix de moins en moins inconnue. 
Étonnamment, Lui ne semble pas très prolixe au sujet de sa nouvelle conquête, se contentant de répondre aux questions dont Elle l’assaille.
Elle guette le moment approprié où Elle pourra soumettre l’idée d’une rencontre, d’un ton léger, avec humour pour pouvoir facilement se cacher derrière, en cas de malaise de l’autre côté de la ligne.

Et vient cette seconde, où Elle se permet de glisser, comme si de rien n’était :
– Tu sais… Tous les chemins mènent à Rennes ! (bon, normalement c’est Rome, on sait, mais Elle dit ce qu’elle veut) ce serait bien si un jour, on se voyait, non ?

– Euh oui, bien sûr… C’est une invitation officielle ?
– Oui ! C’en est une, en tout bien tout honneur, évidemment !
– Oui, évidemment, ça va sans dire ! Ben ce week-end si tu veux ?
– Euh O.K., samedi donc ?
La conversation, se termine, Elle raccroche le sourire aux lèvres puis, réalise… que nous sommes déjà mercredi, que le week-end est dans trois jours, qu’Elle ne pensait pas qu’Il dirait oui. Elle espérait presque qu’Il répondrait non, parce qu’alors ce serait Lui qui rendrait cette histoire impossible, mettant un point final à un fantasme qui se devait de n’être qu’unilatéral.

« Ce qui est officiel, c’est que tu es complétement tordue, ma pauvre ! Tu vas lui dire quoi ? Tu vas l’expliquer comment ta vie ? C’est ton banquier, il vit à Paris, toi à Rennes…Au mieux, vous allez passer la nuit ensemble et après ? Espèce de crétine !
Tu n’aurais jamais du faire ça ! Mais tu ne te rends pas compte que vous n’avez absolument rien en commun ? Tu vas finir en joli trophée sur son bureau, tu prétends connaitre les hommes et tu te comportes comme une gamine stupide ! Et puis 
c’est quoi l’intérêt de l’inviter dans le but qu’il te dise non ? Tu ne tournes vraiment pas rond… »

Toute la nuit, l’insupportable petite voix lui hurle dans les oreilles l’empêchant de trouver le sommeil.
Le lendemain, au travail, toujours la même rengaine. Hier, Elle cherchait une manière de provoquer la rencontre dans le réel, aujourd’hui, Elle cherche désespérément le moyen de l’esquiver… Le soir, à bout de souffle, Elle l’appelle et ment, comme un arracheur de dent, prétendant que sa meilleure amie a prévu de venir passer le week-end :
– Ça tombe vraiment mal… Pour tout dire j’avais complétement oublié, je suis désolée, mais bon, je vais devoir reporter, j’espère que tu ne m’en veux pas

– Non mais c’est pas grave s’il y a ta copine, on peut quand même se voir non ?

Merde, ben lui dis-donc il ne lâche pas l’affaire... 

– Ben...tu sais, elle ne vient pas souvent, je pense que ça ne lui ferait pas plaisir que j’invite quelqu’un en même temps qu’elle…
« Pardon Estelle, je te fais passer pour une peste »
– Bon ben, O.K. on reporte…
– Super, merci de ta compréhension, vraiment….
Elle débite encore deux ou trois phrases et raccroche précipitamment. Pas très fière mais soulagée d’avoir gagné un peu de temps.

« Tu sais qu’il ne t’a pas cru là, ça se sentait dans sa voix ! Et surtout, maintenant, il sait que tu es une menteuse doublée d’une lâche ! »

« Oh c’est bon, c’est toi qui devrais me lâcher ! »

Le vendredi se passe au ralenti, tout l’agresse, un rien l’égratigne, Lui n’envoie aucun message. Silence radio. Rien sur les réseaux, aucun texto. Elle guette son téléphone cruellement silencieux, sa page Facebook bloquée dans le passé. Elle  n’appelle pas, pour lui laisser le temps de digérer l’affront et puis aussi pour donner de la consistance à son mensonge ; après tout Elle est censée être avec son amie…