Elle, de son côté, fait aussi quelques recherches sur le Net, sur les réseaux pour découvrir, sous un autre prisme, 
cet homme qui réussit l’exploit de la charmer autant de loin mais aussi pour se convaincre que ce trouble n’est que passager, issu d’un malheureux concours de circonstances. Elle ne trouve pas grand-chose, à croire qu’Il sait, Lui aussi, maitriser ses paramètres de confidentialité.

Le quotidien reprend ses droits, ils restent une sorte d’énigme l’un pour l’autre, chacun à l’abri derrière son combiné. 

Au fil du temps, ce qui semble s’apparenter à de la confiance s’installe, même si les dés sont légèrement pipés. 
Entre eux se tisse un lien, un peu plus que professionnel, pas encore amical, plutôt une sorte de connivence inexplicable mais palpable, un respect légèrement ambigu.

Elle devient son appel prioritaire, celui pour lequel les consignes sont données de passer la ligne immédiatement qu’importe le planning. 

Lui devient son fantasme personnel, un de ceux qui n’a pas vocation à être assouvi, mais qui réchauffent les nuits d’hiver ou pendant les matins frileux. Se sentant à l’abri derrière les kilomètres qui les séparent, Elle ose progressivement s’attacher à cette voix, toujours à l’écoute, qui l’emmène avec elle, au gré des changements de postes de fonctions, de lieux d’exercice. Doucement, ils s’apprivoisent à distance, deviennent amis sur les réseaux. Elle étudie ses posts Facebook, scrute ses photos, l’accompagne en voyage depuis son canapé.

À pas de velours, Elle et Lui se mettent à échanger par téléphone, hors des heures ouvrées, loin des heures considérées comme raisonnables. 

Et la vie poursuit son chemin, avec une toute petite mélodie intérieure en plus.
Petit sucre d’orge voit d’un très mauvais œil les échanges de sa dulcinée avec ce banquier parisien. Parfois, Elle pirouette, d’autres fois, Elle l’envoie balader sèchement. Elle ne supporte pas la jalousie, ne sachant que trop ce qu’elle peut engendrer. Aussi, pour avoir la paix, Elle l’appelle quand elle est seule, lui écrit parfois jusque tard dans la nuit.

De ses activités de « courtisane virtuelle », Elle ne sait pas précisément ce qu’il en devine, alors Elle fait comme si de rien n’était.« Faut avouer que c’est pas très vendeur comme passe-temps »  mais Il aura toujours la délicatesse de ne pas poser de questions frontales.
Et puis, un soir tard, tandis qu’ils sont au téléphone et qu’Elle enchaine les cigarettes sur la terrasse au clair de lune, comme dans un rendez-vous, chacun d’un côté de la Seine, Il lui parle d’une fille. D’une autre fille. Forcément...
BARBARA !

Elle manque de s’étouffer, son cœur manque un battement et se tord sous l’uppercut.
Se forçant à maquiller sa voix d’accents amicaux, Elle fait mine de s’intéresser à cette histoire débutante, s’ancrant dans la réalité. 
Cette fille habite à côté de chez Lui, cette fille est intime avec un couple d’amis qui les a présentés, cette fille est banquière, cette fille a plein de fric et une super bagnole, cette fille semble juste parfaite !

Peinant à déglutir, la gorge nouée par l’émotion qui la trouble alors, Elle l’écoute raconter les détails de leur rencontre arrangée, piquée au sang par cette révélation qui la perturbe bien plus qu’Elle ne l’aurait ne serait ce qu’imaginé.
« Tu es jalouse, ma grande ?? Oh bon sang, si, tu l’es ! C’est ridicule ! Comment tu peux être jalouse d’une Barbara ? Et puis d’abord c’est quoi le diminutif de Barbara, en vrai ? Barbie ??? Non, mais sérieux ! Reprends-toi, merde ! »

Luttant pour recouvrer son sang-froid, Elle s’entend Lui dire, la voix étranglée :

– Je suis vraiment contente pour toi !
« Espèce de sale menteuse ! »