Congratulazioni! Il tuo sostegno è stato inviato con successo all'autore
1.

1.

Pubblicato 20 lug 2024 Aggiornato 20 lug 2024 Romance
time 25 min
0
Adoro
0
Solidarietà
0
Wow
thumb commento
lecture lettura
0
reazione

Su Panodyssey puoi leggere fino a 10 pubblicazioni al mese senza effettuare il login. Divertiti 9 articles da scoprire questo mese.

Per avere accesso illimitato ai contenuti, accedi o crea un account cliccando qui sotto: è gratis! Accedi

1.

Le vieil homme est seul. Il est assis dans son salon, la cheminé est éteinte, le canapé est vide, il est à côté dans son fauteuil.

Elle va bientôt partir.

Parfois elle le regarde en coin, elle se demande ce qu’il s’était imaginé, plus jeune, pour sa vieille vie. Pas cela, certainement. Et quoi, une soirée plus douce, la présence de son épouse. Un coup de fil à un ami, une légère promenade dans un soir tombant avec gaîté. Il en manque de cela. Le soir, l’homme, le fauteuil, assombris, usés, d’un temps qu’on ne fait plus. Elle n’a pas de pitié pour lui, c’était un homme mauvais, cependant c’est triste, et ça la prend fort quand elle voit sa présence, comme une vilaine certitude. Elle ne voudrait pas de ça. Souvent elle voudrait ne plus voir jamais tout ça, pourtant elle détesterait fuir, c’est ça la vie, à quoi peut-on se soustraire. Il pensait lui aussi c’est sûr, que ça serait heureux. Pourquoi penserait-on autre chose.

Elle claque la porte. Le vieil homme est seul. La cheminé froide, le canapé dans la pénombre, le salon immobile. Son fauteuil, l’image de la solitude. Elle aussi, seule, elle rentre chez elle et se demande ce qu’elle pensera quand viendra le crépuscule, si le feu sera agréable, s’il y aura quelqu’un sur le canapé avec elle. Elle se couche vite, espérant s’endormir vite également, elle redoute que ça ne sera pas le cas, elle le sait.

Quelqu’un tape fort à la porte. Et tape encore, et ne s’arrête pas. C’est sa mère, c’est sûr, c’est sa façon de faire, et malgré ce qu’on peut en penser, elle obtient toujours ce qu’elle veut, cela a toujours amené sa fille à la conclusion que ce n’était pas les plus méritants qui parvenaient à leur fin, seulement ceux qui tapent fort, que ça soit d’une façon métaphorique ou concrète. C’est déjà le matin. Elle s’extirpe du lit, chope un vieux pull neutre qui lui évitera des commentaires sur son pyjama, mignon, donc mièvre aux yeux de sa mère, et descend ouvrir, seul moyen de faire cesser ce boucan.

« - Encore au lit, en pyjama.

- Tu pourrais sonner au lieu de défoncer ma porte.

- J’ai sonné, elle ne fonctionne pas ta sonnette, fais-là réparer.

- Elle marche, regarde. »

 De son doigt elle fait retentir la sonnerie, qui égaye d’un son harmonieux et discret le hall défraichi et mal entretenu, elles tendent toutes deux l’oreille pour l’écouter.

Ah oui, la sonnerie, maintenant il lui semble qu’elle l’a perçue dans son rêve, elle y était bien, c’est vrai qu’elle n’est pas forte, avec une tonalité douce, comme un carillon sous un arbre, dans le lointain, pas très efficace pour avertir de son arrivée, mais agréable, agréable. C’est Quentin qui avait modifié la sonnerie du temps qu’il habitait là, ce gars était un génie, il savait tout faire et n’avait aucune qualification. Il savait tout faire, sauf au travail, en situation professionnelle il perdait toute compétence, c’était un phénomène dur à croire et néanmoins réel, combien de fois il s’était ridiculisé suite à un entretien d’embauche où il assurait savoir faire quelque chose – et c’était la vérité, elle le voyait chaque jour accomplir des miracles de création dans l’atelier qu’il s’était construit sous le vieil appentis – et il provoquait ensuite une catastrophe sur le terrain qui lui devait d’être renvoyé avec véhémence. Elle lui disait tout le temps d’aller supplier un médecin, un psychiatre, qu’importe, jusqu’à ce qu’il lui donne un papier certifiant qu’il avait un handicap pour travailler. Ce pauvre type, complètement pas adapté dans un monde qui ne laisse aucune place à ceux qui regardent au-delà des bords et que ces bords rendent malades. Avec tous ceux dont elle s’occupe c’était trop dur de rajouter sa charge. Et puis financièrement, quel stress, il est retourné chez ses parents, il doit y être encore, si ses parents sont toujours là, sinon, …, il lui arrive de se convaincre qu’elle aurait dû continuer à le faire vivre chez elle, ils n’auraient mangé presque rien, se doucheraient à l’eau froide, mettraient des vieux pulls l’hiver et n’auraient d’autres loisirs que de regarder par la fenêtre, la pluie tomber, les feuilles tomber, le soir tomber, les pétales tomber, la neige tomber, le jour se lever, le vent se lever. Et cette sonnette lui remet à chaque fois en tête cette vision un peu étrange à laquelle elle ne doit pas consacrer plus d’une minute sous peine de tristesse lancinante. Elle devrait peut-être se libérer et rechanger la sonnerie pour une plus classique, mais elle n’a aucune idée de comment faire et ne peut pas se permettre de faire venir un technicien pour ça.

Grâce à son échappée dans ses rêveries, elle a loupé une bonne partie des remontrances de sa mère, en continuant de ne pas l’écouter elle traine des pieds vers la cuisine.

« - Je ne travaille pas aujourd’hui, ne reste pas si tu viens pour m’embêter.

- Je ne viens jamais pour t’embêter.

- Ce n’est pas la sensation que j’en ai. J’ai mal dormi, je veux être tranquille et là, déjà, tu n’apportes pas de la tranquillité, puis elle marmonne tout bas couverte par le bruit de la machine à café, tu n’apportes jamais la tranquillité, je n’vois pas pourquoi ça changerait aujourd’hui.

- Justement, je vais à un cours de remise en forme, tu vas venir avec moi.

- Tu vois.

- Je vois quoi ?

- Tu crois que c’est agréable d’être réveillée à coups de marteaux tout ça pour se faire dire qu’on n’est pas en forme ?

- Je ne t’ai pas réveillée à coups de marteaux et oui, tu n’es pas en forme, mais ce n’est pas…

- La première fois que tu me le dis. Achève-t-elle pour la couper. Pourquoi je devrais être en forme, on s’en fout au final non ?

- Grotesque. La santé c’est notre capital le plus précieux. Tu ne vas jamais vivre vieux sinon.

- J’n’ai pas envie de vivre vieux. Mais vraiment pas envie. Pas envie, pas envie, pas envie, mais comme on ne peut pas avoir plus pas envie. Je sais de quoi je parle, je la vois, je veux garder ma mauvaise forme et ne jamais l’atteindre, la vieillesse, c’est horrible.

- C’est élégant, merci, tu la vois mais tu ne la vis pas, je ne me sens pas horrible moi.

- Non mais toi ça va maman.

- Parce que j’ai cultivé mon capital santé, et je ne te laisserai pas gâcher le tien.

- Je gâche ma vie si je veux.

- Non mais ta vie maintenant… Et pour ton travail, t’en as besoin non de la force pour t’occuper de tes clients ?

- On ne dit pas clients.

- Peu importe, ça demande de l’énergie ou bien de s’occuper de toutes ces « horribles » vieilles personnes ?

- Oui, ça en demande, ça en demande beaucoup.

- À te voir, dans très peu de temps, tu ne pourras plus en donner beaucoup de l’énergie.

- Sûrement.

-  Ça ne t’affole pas plus que ça.

- Tant de choses qui m’affolent.

- Je ne comprends pas comment tu peux être ma fille.

- J’en suis bien désolé, crois-moi. Sa mère tente un geste affectueux avec maladresse qu’elle abrège en s’asseyant, café prêt, à sa table de cuisine. Elles ne sont pas toutes horribles, reprit-elle.

- Les vieilles personnes ?

- Mouais.

- J’en suis ravie. Allez mange un fruit aussi. On doit partir dans vingt-cinq minutes, il faut qu’on soit un peu en avance pour se garer.

- Je n’ai pas accepté de venir.

- On ne discute pas. Fais-le pour les vieilles personnes.

Une légère moue sur les lèvres, elle se lève pour attraper un fruit et le laver.

« - Je crois que c’est pas grave si je n’ai plus la force pour mon travail.  

- Allons bon, et que feras-tu quand tu n’auras plus la force pour ton travail ?

Elles sortent de la salle de gym où sa mère est inscrite et où a lieu, pendant ces vacances de la Toussaint : la semaine de la remise en forme. Remise en forme à laquelle elle n’a participé qu’une heure et quart et qui l’a accablée, elle n’avait pas remarqué à quel point elle était loin de son corps. Ce n’est pas de sentir ses muscles douloureux bien que quasi inexistants, ou son souffle rauque dès dix minutes d’effort, non, ce qui lui a mis un coup dans la poitrine c’est le banal fait d’avoir un corps, de le ressentir, de le voir se refléter dans tous les miroirs muraux suréclairés de la salle ultramoderne au milieu de tous ces autres corps suintants et d’avoir conscience d’elle qui bouge, là, dans ces chairs inconnues, dont elle n’avait pas mémoire ; elle avait oublié qu’elle avait un corps, elle avait oublié que ce corps pouvait ressentir. Elle se voyait le manipuler comme elle traite chaque jour avec soin et prudence les corps des personnes dépendantes que par son métier elle a décidé d’accompagner, avec soin et prudence, et presque crainte, a-t-elle perçu. Comme un souffle froid sur tout son corps.

- Si je n’ai plus la force pour mon travail ? répète-t-elle doucement.

- Oui, si tu n’as plus la force pour ton travail ? Le regard inquiet de sa mère se pose sur elle, elle ne se souvient pas avoir déjà vu ce regard.

- Je ne travaillerai plus. »

Et sa mère tombe.

Elle a aidé sa mère à se relever, elles sont posées sur les poufs aux couleurs vives du hall de la salle de gym, assises les plus proches qu’elle a pu trouver, le temps que sa mère se reprenne.

« - J’ai jamais vu quelqu’un tomber comme ça.

- Je n’ai jamais pensé qu’on puisse ne pas travailler.

- Tu ne travailles pas.

- Je suis à la retraite. J’ai travaillé.

- Je sais. Mais ça veut dire qu’il y a des gens qui ne travaillent pas.

- Non ce n’est pas ce que ça veut dire. Si on peut travailler, on travaille, si on ne peut plus travailler, on s’arrête.

- Tu es plus en forme que moi. Pourquoi tu ne travailles plus ?

- Je suis vieille.

- Tu n’as pas l’air si vieille. Elle prend le temps de regarder sa mère. Et d’un coup quelque chose en elle cède, quelque chose qui devait céder, et qu’elle ignorait, avec plus ou moins de conscience, depuis assez longtemps. Je ne veux pas que tu deviennes comme eux. Tu devrais travailler à nouveau maman, tu es tellement en forme. Tu seras toujours en forme comme ça, promis ?

- J’aimerais bien. Sa mère le dit tout doucement, et c’est tout doucement aussi qu’elle regarde sa fille, étonnée des larmes qui menacent au fond de ses yeux.

La mère laisse passer un bon silence, quelques personnes entrent, elles sont en habits de sport, elles ont de belles allures, et ne s’attardent pas dans le hall, la mère et la fille restent là. Puis la mère décide de parler.

- J’ai la forme parce que je fais attention à l’avoir. Tu m’as toujours vu en forme parce que j’ai si peur de la perdre. Tu sais.

- Comme papy et mamie, je sais. C’est pour que tu n’aies plus à t’occuper d’eux que j’ai souhaité être aide-soignante. Le temps que j’ai l’âge de faire des études, ils étaient déjà partis.

Quand ils sont tombés malades, sa mère s’était fait un devoir de ne pas lâcher les parents de son mari, ses parents à elle, elle dit qu’elle les a perdus jeune, elle n’en parle pas, sa fille ne sait même pas leurs prénoms, elle a toujours supposé sans qu’aucun indice ne fuite de sa mère, que cette dernière était partie de chez eux sans prévenir et pour ne plus les revoir, pour des raisons qu’elle ne peut qu’extrapoler ; et sa mère avait pour ses beaux-parents un grand amour filial.

- Oui, tu sais, affirme-t-elle. Mais ce que tu ne sais pas, - c’est quand tu n’étais plus ici, tu étais partie, tu faisais tes formations, tes stages, tu étais occupée, loin, je ne t’ai rien dit -, c’est que j’ai été mise en retraite anticipée. Décision médicale.

- Médicale ? Tu n’es pas malade toi. Ça n’est jamais arrivé.

- Un jour, au lever, des douleurs, dans les bras, dans les mains, dans le dos, les épaules. Cela faisait, sans doute, des jours, des mois, qu’elles s’éveillaient et que je les ignorais. Docteurs, antidouleurs, kiné, massages, que des dépenses, et pas de changement. Finalement, ils ont conclu, tant que je recrée les mouvements, ça ne partira pas, inapte à mon travail.

- Mais tu bouges tout le temps ? Tout ce sport.

- Je ne soulève rien. Je bouge mes bras, je cours, je saute, je m’active, mais je ne porte rien. C’est précis, les maux.

- Ah. … C’est pour ça que c’est papa qui fait les courses maintenant.

- Il me couvre.

- Tu n’as pas du tout fait faillite en fait ?

- Non jamais. Je suis trop bonne commerçante. Je n’arrivais pas à dire que c’est parce que je ne pouvais plus.

- Tu ne voulais jamais qu’on t’aide même pour les livraisons.

- C’était mon commerce.

- Oui, puis je devais faire mes devoirs, j’étais lente à ça. Et papa ses recherches. Papa il travaillera toujours.

- Parce que ce qu’il a trouvé, c’est plus qu’un travail.

À nouveau elles observent un silence s’en aller.

- Je pensais que toi aussi c’est ce que tu avais trouvé. Mais tu pleures. »

Puis, elles prennent la voiture et s’en vont en centre-ville, elles se posent à une terrasse sur la Grand-Place et commandent des frites. Parce que parfois, les fruits et le sport, ça ne suffit pas.

Elle laisse passer trois jours. Elle a trois jours de repos. Le soir du troisième elle essaie de préparer sa journée du lendemain, elle éclate en sanglot. Il est tard, elle sait qu’elle ne dormira pas, elle s’imagine essayer de se lever au matin, sans sommeil, sans envie, elle prévoit déjà la boule au ventre. Elle appelle sa mère. Sa mère ne répond pas. Elle attend, assise droite sur le lit, elle n’essaie même pas de s’allonger ou d’éteindre la lumière, tout, autour d’elle, a une consistance bizarre, elle n’y croit plus vraiment, ça pourrait être irréel, elle pourrait se réveiller dans une tout autre vie, ça l’arrangerait un peu. Elle tente de rappeler, sa mère ne répond pas, il est trop tard, et pour être en forme, il faut se coucher tôt. Les heures passent ainsi entre rappels infructueux et perte de pied immobile.

Le matin se rapproche, la chambre est un peu moins sombre, finalement le téléphone sonne, elle est tombée dans une mauvaise somnolence, en travers du lit, elle gesticule vaguement pour ne pas rater le coup de fil.

« - Vingt-deux appels en absence, tu n’es pas morte ?

- Je dois m’arrêter. Je crois que je ne peux plus travailler, maman.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Je suis comme toi, je suis inapte maintenant.

- À ton âge ce n’est pas possible.

- Je suis inapte, répète-t-elle.

- Ce n’est pas possible, je te dis. On a eu un moment de mou jeudi dernier, il est passé, on se remet en selle et on continue la route ma fille !

- Non, je dois m’arrêter, tu l’as dit, si on ne peut plus, on s’arrête, je ne peux plus, je m’arrête.

- Attends, attends, attends. Je respire. Tu as passé la nuit à vouloir me joindre pour me dire que tu n’iras pas travailler ?

- Oui.

- Tu as mal quelque part ?

- Non. Mais j’ai froid, très froid, et partout.

- C’est la fatigue. Mets une bonne veste et va travailler. Martha ! Sa mère crie son prénom dans le téléphone. Elle en sursaute.

- S’il te plaît maman, je ne veux pas. Elle a supplié, elle entend sa mère soupirer.

- Mais je ne vais pas t’écrire un mot d’excuse. Pourquoi tu m’appelles ?

- Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que je dois faire ?

- Mais aller travailler.

- Non.

- Mais il y a une semaine tu travaillais très bien, je t’emmène à un cours de sport et tu ne peux plus ? Oh qu’est-ce que j’ai fait, je t’ai cassée. Qu’est-ce qu’il se passe ? Sa voix est proche du désespoir.

- Je ne sais pas ce qu’il se passe, maman. Mais je ne vais pas travailler.

- Au moins, tu as prévenu tes clients ?

- Ce ne sont pas des clients.

- Tu ne l’as pas fait ?

- Je vais le faire, murmure-t-elle, tremblante.

- Fais-le. »

Elle bénit l’option « envoyer un message vocal a un correspondant sans faire sonner son mobile », jamais elle n’aurait assumé de les avoir au bout du fil, elle n’a prévenu que ses patients du jour pour le moment et c’était déjà suffisamment pénible. Et l’agence qui l’emploie, elle a fait fort dans la lâcheté, elle a envoyé un mail, elle a utilisé le « motif familial impérieux », une boule de honte lui transperce le haut du ventre ; elle a agi par instinct de survie et elle sent tout à fait minable. Elle a très soif, elle va pour descendre, se rappelle qu’elle a froid, trébuche en enfilant deux pulls l’un sur l’autre, il y a toujours des pulls à portée de main dans sa chambre, et se précipite comme elle peut vers la cuisine, son angoisse et la nuit blanche pesant fort sur elle. Quatre verres d’eau d’un trait. Elle reprend sa respiration, plutôt mal, et s’endort, plutôt mal, assise, sur le fauteuil du salon.

À nouveau cette musique, elle la connaît, c’est agréable. Encore, elle recommence. Cela fait cinq ou six fois maintenant. Elle émerge d’un sommeil compliqué, elle a mal dans tout le dos et elle n’a aucune idée de l’heure, mais il y a ce son agréable, agréable. Puis elle se souvient, la sonnette, elle se lève vite, et avec douleur, se dirige vers la porte d’entrée, arrivée devant elle s’arrête, qui pourrait venir lui rendre visite, uniquement sa mère, et ça n’est pas sa mère, ça ne frappe pas. Cela insiste. Elle laisse passer deux autres coups de sonnette et finit par entrouvrir la porte avec réticence.

« - Bonjour, je crois qu’on ne s’est jamais rencontré. Je suis le fils de monsieur Bouvier.

- D’accord. Elle le regarde dans l’ouverture de la porte sans l’inviter à entrer, ça ne l’intéresse pas. Et il va bien ? Maudite politesse, c’est plus fort qu’elle, elle essaie de se convaincre que, vraiment, elle s’en fiche de savoir comment va ce monsieur.

- Non, je dois dire qu’il ne va pas bien et vous devez vous en douter. Vous l’avez laissé. Je dois vous dire que je suis outré, ce n’est aucunement professionnel, d’ailleurs c’est même assez honteux d’abandonner un patient en dépendance et je songe à en avertir le syndicat des aides-soignants, il me semble que ça peut constituer une faute professionnelle, je dois vous le dire, je ne laisserai pas cela passer sans rien en dire.

- Vous avez beaucoup de trucs à dire. Et il avait raison. C’est horrible de priver de soins quelqu’un en besoin. Elle soupire exhaustivement et ouvre la porte en grand pour qu’il comprenne qu’il peut entrer.

- Oh. Il s’arrête tout droit dans le couloir comme hébété. Votre couloir…

- Est moche, oui. Passez dans le salon, posez-vous sur un fauteuil et dites-moi vos trucs à dire qu’on en finisse.

- Pardon, non, ce n’est pas ce que j’aurais dit, c’est déplacé.

- Non mais il est moche, on s’en fiche, vous n’allez pas le refaire de toute façon, avancez qu’on ne reste pas là trop longtemps. »

Furtivement elle pense à Quentin qui avait promis, lui, de le retaper ce couloir, « avec de belles couleurs, et des peintures d’oiseaux aux murs ». Ils avaient dû se séparer avant qu’il n’ait pu le faire et elle déteste d’autant plus ce couloir depuis. Elle suit le fils Bouvier dans le salon, sa colère lui fera échapper à la mélancolie, bien plus terrifiante.

Il s’assoit, non pas dans le fauteuil, mais sur une chaise, soit, elle prend le fauteuil, se tourne vers lui et attend. Il ne prend pas la parole. Ils entendent tous les deux les secondes qui s’enfuient de l’horloge. Il ne prend toujours pas la parole.

« - Tout va bien ? lance-t-elle de façon beaucoup plus aiguisée qu’elle n’aurait voulu. Monsieur Bouvier. Ajoute-t-elle dans un effort de formalité. Vous pouvez parler, je vous écoute. Elle insiste, qu’il bave ses reproches, qu’elle se confonde en excuses et qu’il s’en aille, traverser ça le plus vite possible. Elle culpabilisera ensuite dans sa solitude, en toute tranquillité.

Elle se demande si c’est vraiment possible de faire une dénonciation pour faute professionnel au syndicat et lui ne parle toujours pas. Il pourrait tout simplement se plaindre à l’agence, pourquoi venir ici ? Elle finit par le dévisager, coupe un peu négligée, barbe fine avec des reflets roux et, elle, très entretenue, habits peu intéressants, la seule chose qui ressort chez ce type, hormis sa barbe, c’est ses yeux verts, plutôt grands, assez étonnants dans ce visage dessiné joliment mais banal. Elle se rend compte qu’elle n’a aucune idée de comment elle est habillée mais que, très certainement, c’est mal, très mal.

« - Vous n’en pouvez plus de lui c’est ça ?

Il la surprend.

- Pardon.

- Monsieur Bouvier, mon père, il vous a… Il semble chercher quelque chose.

- Il m’a ? Il m’a rien du tout, rien fait, qu’est-ce que vous, voulez dire ?

- Non, mais, voilà, il vous a saoulé quoi ? Il perd d’un coup toute sa contenance et sa manière policée de s’exprimer. Faut que vous me le disiez si c’est ça, parce que je m’excuse pour ça alors. Il nous fait tous craquer un à un, ma sœur ne veut plus venir, et avant vous, il y a eu une autre aide-soignante, qui est venue, quelque temps, régulièrement, et puis l’agence, un jour, nous a dit qu’elle ne venait pas. Puis, finalement, un peu plus tard, que quelqu’un d’autre viendrait, c’était vous. Et, vous ne venez plus alors ?

Elle le fixe, elle se souvient que, la première fois qu’elle avait été s’occuper de M. Bouvier, l’agence lui avait, d’une manière assez vague, mentionné que c’était un remplacement, elle n’avait pas relevé plus que ça, il y a tant de raisons, parfois simplement un déménagement, un changement de vie, parfois… c’est un métier humain, cela peut arriver de ne vraiment pas supporter quelqu’un, quand on veut en prendre soin, c’est difficile, c’est extrêmement rare puisque la plupart des patients sont difficiles, et elle, et toutes celles et ceux qu’elle connaît, s’en fiche, ils ont choisi d’aider, ils le font et s’accommodent, mais si vraiment c’est impossible. C’était arrivé, une fois, à un ami à elle. C’est tout. Ils ont choisi, elle a choisi, et ce choix va au-delà d’un mauvais caractère, d’une maladie, de troubles psychiques, du poids de toute une vie qui leur est passée dessus avec ses remords et tout leur cortège et qui explique sans qu’on le sache, sans qu’on le devine mais qu’on peut sentir, par un regard avec un reste de vivacité, un frémissement de lèvres à l’évocation d’un nom, d’un souvenir.

Le temps de ses réactions internes, le jeune M. Bouvier reste sans réponse et ça ne l’aide pas à s’apaiser.

- C’est tellement dur, j’ai promis à ma mère de veiller sur lui, elle ne m’a pas demandé, j’ai fait cette promesse secrètement juste après sa mort, je ne sais pas pourquoi, sans doute parce que c’est mon père, j’aimais tant ma mère, et lui, lui je ne sais même pas si je l’ai aimé. Sans ma sœur… Ma tante est là un peu, mais elle est âgée aussi, moi j’ai l’impression qu’elle y est attachée par tradition, parce que c’est un monstre, mais on doit s’occuper de lui, ça me rendrait malade qu’on le laisse juste dans son coin et qu’on s’en lave les mains, parce que, je ne sais pas, parce que ça ne se fait pas et ça, aussi, ça me rend malade, de me sentir prisonnier de tout ça.

- Non ce n’est pas un monstre, arrêtez. Il est un peu dur, mais, c’est la vieillesse. Elle se rappelle qu’il y a quelques jours à peine, elle le désignait comme quelqu’un de mauvais et partait de chez lui avec un bourdon immense qui a peu ou prou amené à aujourd’hui et son refus de travailler. Ce n’est pas un monstre, redit-elle en essayant d’avoir l’air affirmée.

- Pour sûr la vieillesse ne l’a pas amélioré ! Sa voix partant dans les aigus se brise et un temps s’écoule sans qu’il parle. Moi aussi je voudrais pouvoir l’abandonner.

- Ah non. Vous n’pouvez pas dire ça.

- Pourquoi ?

- Parce que vous êtes son fils, bafouille-t-elle.

- Et vous, vous êtes son aide-soignante, vous êtes même payée pour et vous pouvez, vous.

- Techniquement, je ne sais pas si je peux, vous m’avez fait bien peur avec vos histoires de syndicat là, mais je l’ai fait. Mais. Croyez-moi, croyez-moi pas, ça va sembler un peu culotté, je ne l’ai pas choisi.

- Vous vous foutez de moi en fait ?

- Monsieur Bouvier, non.

- M’appelez pas comme ça, je déteste ce nom.

- Ce n’est pas votre nom ?

- Si, mais je ne l’aime pas.

- Je ne vais pas vous appelez Durand pour vous faire plaisir.

- Non, bien, appelez-moi Bastien.

- C’est votre prénom ?

- Bien, oui.

- Bien, oui, évidemment. Elle se sent bête, un peu de gêne monte en elle. Bon, euh, Bastien, elle se racle la gorge, pour faire au plus simple, considérez-moi comme inapte au travail. Je ne vois pas ce que je peux faire pour vous, je suis désolé pour votre histoire de famille, mais vraiment je ne vois pas ce que vous attendez de moi en me racontant tout ça.

C’est à son tour d’être gêné, il se rend compte de ce qu’il vient de lui confier, et que c’est la première personne à qui il en parle ainsi. Il se racle la gorge aussi.

- Inapte ? Dit-il en faisant traîner le mot. C’est-à-dire ?

- Incapable de travailler.

- Vous êtes en arrêt de travail ?

- Je n’en ai pas, pas officiellement, non.

- Vous avez vu un médecin ?

- Non.

Un médecin. Oui, c’est une bonne idée qu’il a, ce gars, voir un médecin. Elle pourrait y penser seule, faisant partie du corps médical. Les cordonniers, toujours les plus mal chaussés.

- Que faites-vous ? Elle vient de sauter du fauteuil pour chercher son téléphone.

- Je vais prendre rendez-vous chez le médecin.

- À cette heure ?

- Quelle heure ?

- 21 h 27 précisément.

- Il est 21 h 27, vous avez sonné chez moi à 21 h 27. Qu’est-ce qui vous prend ?

- J’ai fini tard, et puis je n’ai pas sonné chez vous à 21 h 27 mais plutôt aux environs de 21 h 15.

- C’est vous qui vous vous foutez de moi là.

- Vous avez abandonné mon père.

- Je n’ai pas abandonné votre père, j’ai abandonné tous mes patients. Votre père, votre père, on s’en fiche, vous ne l’aimez même pas. Elle regrette instantanément cette prise de parole.

- Mais je ne l’abandonne pas. Il a une difficulté énorme à dire cette phrase, et elle a très peur qu’il se mette à sangloter.

- Bravo. Rien à dire ne lui vient, elle tourne dans sa tête le fait qu’elle vient de féliciter ce fils de ne pas avoir abandonné son père même si une part de lui le voudrait, était-ce vraiment le mot le plus pertinent ? Elle pense sincèrement que ce gars mérite une médaille de se battre ainsi, elle l’admire, elle n’ose pas se demander ce qu’elle ferait, elle, à sa place. Elle ne se voit pas non plus abandonner sa mère, ni son père, cela la soulage que ce soit cette pensée qui vainque. Vous voulez un, elle hésite, ce n’est plus l’heure, un café, ou quelque chose de chaud ? Non, pourquoi elle a demandé ça, s’il dit oui, il va rester plus longtemps.

- Oui, je veux bien. »

Il a dit oui, le con. Elle fixe le vide quelques secondes et se lève pour aller faire chauffer de l’eau : « Venez avec moi dans la cuisine. » Il ne discute pas et la suit immédiatement.

Après une tisane aux agrumes bue en silence, l’homme se lève, il va mieux, ce léger goût d’orange dans la bouche le rassure un peu, il sourit, il n’y a aucune amélioration dans sa situation, mais il a envie de sourire, la conduite des évènements l’étonne, lui qui a horreur de s’ennuyer, il ne peut s’empêcher de trouver ça amusant d’être assis dans cette cuisine, avec cette femme qu’il n’avait jamais vue et contre laquelle il était venu pester. Elle lui semble fatiguée et absente.

« - Je vais vous laisser. Merci. Je vais prendre quelques jours de congés et rester chez mon père le temps de trouver un ou une remplaçante, enfin que l’agence trouve. Quelqu’un. Vous devriez voir un médecin.

Et il se lève, il pose la tasse dans le lavabo et se dirige vers l’entrée, elle le suit et ne dit rien jusqu’à ce qu’ils soient sur le pas de la porte.

- Ça ne va pas vous poser de problèmes ?

- C’est mon père, je devrais m’en sortir.

- Non, de ne pas travailler ?

- De ne pas travailler ? Non. »

lecture 34 letture
thumb commento
0
reazione

Commento (0)

Ti piacciono gli articoli su Panodyssey?
Sostieni gli autori indipendenti!

Proseguire l'esplorazione dell'universo Romance
JE CONSTRUIS
JE CONSTRUIS

Je ne suis pas un grand bricoleur et certainement pas un constructeur.Mais depuis ma plus grande adolescen...

Cedric Simon
1 min

donate Puoi sostenere i tuoi scrittori preferiti

promo

Download the Panodyssey mobile app