16- Le temps des guerres
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16- Le temps des guerres
Henri II vient de relancer la guerre avec l’empereur. Le roi de France voue une haine encore plus forte que son père à Charles Quint. Son long séjour dans une geôle espagnole avec François Ier après la défaite de Pavie a dû aider d’autant qu’il n’était alors qu’un enfant. Le traité de Chambord, signé le 15 janvier 52 scelle l’alliance d’Henri II avec les princes réformés opposés à Charles Quint qui lui suggèrent d’occuper Metz, Toul, Verdun cités d’empire de langue française puis de prendre le titre de vicaire d’empire. C’est chose faite au printemps, les villes citées ayant ouvert leurs portes sans offrir de résistance.
Furieux, l’empereur ne veut pas en rester là bien que sa santé soit chancelante et ses caisses vides. Nous quittons Thionville, place forte tenue par Charles Quint et réputée inexpugnable durant l’automne et les troupes impériales, fortes de quatre-vingt mille hommes se massent devant Metz renforcée depuis l’été par le duc de Guise dit le Balafré depuis l’intervention de Paré. Et la guerre reprend sous le commandement du duc d’Albe. Ce dernier a totalement encerclé la place forte et, du matin au soir, l’armée pilonne les fortifications sans succès significatif bien que la place ait reçu près de 15000 boulets de canon à la fin du mois de novembre. Le temps est épouvantable et une pluie givrante tombe sans discontinuer, transformant le sol en plaques de glace, raidissant les corps qui peinent à se réchauffer au feu des bivouacs que l’on entretient toute la journée.
Une brèche d’une quarantaine de mètres finit par être ouverte près de la porte Serpenoise qui ne permet pas pour autant de pénétrer dans la place, car les remparts médiévaux ont été doublés sous la directive du duc de Guise.
Cette guerre est curieuse. Le duc de Guise organise des sorties à toute heure du jour ou de la nuit sans régularité et à tout endroit possible. Ses sorties impromptues sont redoutablement meurtrières et, dès que nous pouvons accéder aux corps, il est déjà trop tard. Nos gentilshommes gisent au sol, caparaçonnés d’une gangue de boue que ce froid de gueux a durcie et toute vie a définitivement quitté ces malheureux dont il est difficile d’affirmer qu’ils sont morts par les armes ou par le gel à pierre fendre.
De notre côté, nous nous efforçons de bombarder la ville sans interruption, mais il est incontestable que le Balafré est un redoutable homme de guerre. Partout, il a fait doubler les murailles par des remblais de terre, de poutres et de pierres après avoir rasé les constructions voisines susceptibles de le gêner, et les boulets du duc d’Albe finissent leur course en s’enterrant sans causer le moindre dégât. Pour nous offrir un répit, on met à la disposition des troupes impériales quelques ribaudes attirées par l’argent que l’on est allé quérir. Je trouve en ce qui me concerne une jolie brunette qui me rappelle mes émois sévillans et m’apporte des moments d’oublis. Mais cela ne dure pas, car les vivres viennent à manquer et il faut renvoyer tout ce beau monde.
Les semaines passent sans que le froid baisse la garde. La faim tenaille les corps, pourtant l’empereur s’entête à poursuivre le siège malgré les avis défavorables de ses généraux.
Tous les matins, avant la canonnade, j’inspecte les hommes, aidé de trois assistants que l’on a mis à ma disposition et qui font partie de la fine fleur de la noblesse espagnole qui, pour l’essentiel, me méprise n’étant ni noble ni Espagnol. Cependant, je noue des relations amicales avec le plus jeune d’entre eux, Francisco Hernandez, qui se fera connaître quelques années plus tard en partant étudier la botanique sur le Nouveau Monde, nommé par Philippe II. Son esprit d’observation associé à un sens critique, nécessaire en toutes choses, me touche. Ce matin-là, il m’attire vers un groupe de soldats regroupé près d’un feu qui vient d’être rallumé. Les flammes, dans le jour naissant, s’élèvent dans le ciel et dégagent une fumée épaisse et sombre qui vient s’ajouter aux feux des autres bivouacs. Le bois humide brûle mal et produit cette fumée âcre qui fait tousser les hommes et noie le camp dans un brouillard de cendres qui voile le pâle soleil présent.
— Maître, commence-t-il en me tirant vers un groupe d’artilleurs qui se réchauffe avant d’entamer une dure journée, que pensez-vous des lésions sur le visage de ces hommes ?
Surpris d’une telle question, je m’approche des hommes incriminés. L’essentiel du groupe me paraît prostré, fatigué et un grand nombre se plaint de maux de tête violents. Sur le visage de certains, je note en effet de multiples taches rouge violacé qui m’interpellent. Je me rapproche du premier soldat qui réagit à peine lorsque je l’examine. Le corps est bouillant, les yeux brillants et le pauvre bougre est porteur d’une fièvre carabinée.
— Sa place est sur un brancard et non sur le champ de bataille. Il faut le faire transporter dans une grange à couvert ! Il n’est pas en état de continuer à se battre.
Les taches dont son visage est recouvert ne disparaissent pas à la pression. Je lui enjoins de tirer la langue ce qu’il est incapable de faire.
— Fracastor, que j’ai rencontré il y a quelques années, semble avoir fait une description très précise de ces éruptions associées à une fièvre élevée et la nomme fièvre lenticulaire*.
Il a noté avec précision ses principaux symptômes et notamment cette difficulté à tirer la langue
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* qui prendra le nom de typhus au XVIIIe siècle, du grec typhos : stupeur, torpeur, infection provoquée par les bactéries de la famille des Rickettsies.
probablement par une contracture de certains muscles. Cette maladie est grave et apparaît sur les champs de bataille, spécifiquement dans les situations de famine que nos soldats commencent à vivre.
— Pourriez-vous m’en dire plus, Maître ?
Je regarde mon jeune élève avec reconnaissance. Pendant que les deux autres assistants se tiennent à distance respectueuse et contemplent ces hommes avec effroi, Francisco s’est joint à moi, se penchant sur les hommes, dont certains présentent déjà un aspect hébété.
— Ce que je vais vous compter est très étonnant. Fracastor, pour qui j’ai une très grande admiration, a beaucoup étudié notre maladie espagnole encore appelée vérole française ou gale napolitaine selon les pays où elle sévit. Il a d’ailleurs écrit un conte allégorique où un berger du nom de Syphile est porteur de cette maladie. Ce grand médecin nous propose une théorie sur la contagion, que ce soit pour la petite vérole ou pour cette maladie qui nous occupe. Je m’interromps quelques secondes. Francisco est pendu à mes lèvres et attend la suite. Je reprends le cours de mon discours avec un sourire non feint.
— Sachez donc cher ami, qu’il propose une théorie sur la contagion de nombre de maladies similaires qu’il dénomme la théorie du contagium vivum. Selon sa théorie, les maladies infectieuses se propagent par l’intermédiaire d’organismes vivants qu’il nomme seminaria contigionis, organismes invisibles à l’œil nu et capables de se reproduire dans l’organisme infecté. Cette propagation pouvant se faire de façon directe - par le contact des uns et des autres – et de façon indirecte - par l’air par exemple ou des objets en contact avec les individus ou même à distance - les seminaria contigionis étant attirés par les humeurs de certains individus.
— Et vous, Andréas, qu’en pensez-vous ?
Flatté que mon élève use de mon prénom, je ne peux le décevoir.
— Cette théorie a le mérite de pouvoir expliquer l’inexplicable… Même si Fracastor, bien qu’ayant utilisé un instrument optique qui permette un grossissement notable, n’a pu mettre en évidence ces fameuses seminaria, j’avoue qu’il est tentant de le croire.
Mais la gravité de la situation me fait interrompre cette discussion. Cette maladie est grave, mortelle dans la majorité des cas, et il m’importe de convaincre le duc d’Albe d’interrompre ce siège le plus vite possible avant que la maladie ne touche tous les hommes présents. En outre, dès que l’armée impériale apprend qu’une partie des hommes est malade, les désertions deviennent nombreuses, les soldats préférant fuir sans solde que de passer de vie à trépas.
Mais Charles Quint est têtu et tient bon un temps. Finalement, humilié, il lève le siège le 1er janvier 1553 pour regagner Thionville, après des pertes effroyables, abandonnant sur le champ de bataille des milliers de moribonds malades ou blessés.
J’apprends quelques jours plus tard que les troupes françaises les soignèrent du mieux qu’ils purent. Parmi leurs médecins, mon ami Paré était présent.
Comment l’empereur a-t-il pu se comporter de la sorte et abandonner ses hommes sans le moindre état d’âme ? Lui, qui à ce jour avait fait preuve d’une relative clémence.
Il ne s’arrêtera pas là.
Le siège de Metz l’a fortement ébranlé. Janvier 1553 marque chez lui une prise de conscience qui, quelques années plus tard, le fera abdiquer au profit de son fils. Ses proches, dit-on, l’entendront prononcer une phrase lourde de sens après cette défaite : la chance est femme et préfère un jeune roi à un vieil empereur.
Mais sa vengeance, elle, n’a rien de féminin. En avril 1553, les États d’Artois sollicitent Charles Quint pour reconquérir la cité de Therouanne, enclave française en Artois et siège épiscopal. L’Artois, on le sait, est une belle et riche province que se disputent les rois. La ville est commandée par François de Montmorency encore très inexpérimenté dans l’art de la guerre et fils du connétable, Anne de Montmorency, ami d’Henri II. La prise de la ville est facile et rapide. Sitôt vaincue, l’empereur la fait entièrement raser sans oublier la cathédrale, les églises, les couvents et les abbayes. Il arase ensuite la moindre surélévation avant de répandre du sel sur le sol afin que rien ne pût jamais repousser. Enfin les officiers sont faits prisonniers pour une demande de rançon et les soldats tous massacrés, passés par le fil de l’épée pour éviter tout geste trop dispendieux. La destruction de cette ville, dont le roi François avait coutume de dire qu’elle était l’un des deux oreillers sur lesquels il pouvait dormir en paix, est un événement retentissant qui marque profondément les esprits, tant du côté français que dans le Saint Empire.
J’accompagne une fois de plus l’empereur, faisant partie de ses médecins personnels et je reste horrifié par le comportement de plus en plus brutal de ce vieil homme malade et atrabilaire.
Et le massacre continue.
Après Therouanne, le siège est mis devant Heslin. La place forte de la Canche, sise à 40 kilomètres de Therouanne, est investie et finit par se rendre après un siège beaucoup plus long et plus sanglant. La mort du duc Horace de Farnèse, mortellement touché de deux arquebusades et qui laisse une toute jeune veuve, à peine épousée, la belle Diane de France, fille légitimée du roi de France, précipite les choses dans le camp d’Henri II. Monsieur de Bouillon, maréchal de la Marck, sollicite une reddition avec ses conditions. Mais une nouvelle fois l’empereur fait passer tous les soldats par le fil de l’épée, tandis qu’une rançon est réclamée pour les officiers et la noblesse. La ville, comme pour Therouanne, est ensuite totalement rasée.
Malgré le spectacle désolant qui emplit mes yeux et que je ne peux que récuser, je fais toutefois la plus heureuse des rencontres dans ce contexte si particulier et des plus horribles.
Je sais que mon ami Ambroise, premier chirurgien du roi, est une fois de plus dans le camp adverse. Son titre doit lui permettre d’échapper à la mort s’il est fait prisonnier. Mais c’est sans compter sur sa grandeur d’âme et sa noblesse d’esprit. Le jour de la reddition, je vois arriver les officiers prisonniers précédés des grands de ce monde. Le vicomte de Martigues, blessé au poumon par une arquebuse, agonisant, est transporté sur un brancard par les médecins ordinaires de l’armée et les barbiers de courte robe de sa Majesté très chrétienne. Je réfrène à grande peine un cri d’étonnement lorsque je reconnais mon cher Ambroise parmi ce groupe disparate qui transporte le brancard. Sa mise n’est pas celle de sa condition et il me racontera plus tard qu’il avait troqué ses beaux habits contre un meschant pourpoint tout deschiré et déchiqueté d’usure et un collet de dentelle défraîchi. Il se mêle ainsi aux autres médecins, ne voulant aucunement avoir la vie sauve si ces derniers ne l’ont pas également. Je comprends aussitôt qu’il faut que je les aide fort habilement. Le seigneur de Martigues, amené au duc de Savoie, je me tourne vers mon ami feignant ne pas le connaître.
— Êtes-vous l’un des médecins de Monsieur de Martigues ?
— Je suis un chirurgien d’armée de modeste rang qui soigne son maître au mieux de ses possibilités…
— Pouvez-vous me dire ce que vous avez constaté, car seule la survie de votre seigneur nous assurera une belle rançon ?
Mon ami joue habilement le jeu, ayant compris que j’essaie de le sortir d’un mauvais pas ainsi que les autres médecins présents.
— Monsieur de Martigues a reçu une flèche d’arquebuse qui a pénétré dans le poumon en fracturant les 4e et 5e côtes et les nombreuses esquilles costales aggravent la douleur. Je ponctionne du sang régulièrement pour décomprimer le poumon au niveau thoracique et lui donne une potion calmante dès que la douleur est trop forte.
Je sais le pronostic à très court terme de ce grand personnage et je félicite, comme il se doit, son médecin qui a su prolonger sa vie. Le duc de Savoie écoute religieusement mes explications et ne décide rien quant aux médecins ce qui me laisse un répit pour passer à l’étape suivante.
Le lendemain, en fin d’après-midi, le vicomte de Martigues décède comme le laissait prévoir son état. Je tiens maintenant la deuxième étape de mon plan. Le vicomte doit rapidement être embaumé pour que le corps se conserve et que l’on puisse obtenir une rançon significative en rendant le corps à ses proches. Je sais les connaissances anatomiques de mon cher ami et voilà un domaine où mon admiration peut faire réfléchir le duc. Je reprends la conversation avec Ambroise, feignant toujours d’ignorer son identité.
— Pourriez-vous embaumer le corps de votre maître pour faciliter la rançon que le duc de Savoie sollicite ?
— Bien évidemment. Je suis assez compétent en anatomie comme tous les médecins ici présents qui me secondent, choisis par notre bon roi Henri II pour leur expérience en médecine de guerre…
Ambroise ne se démonte pas et formule le souhait que l’un de ses médecins présents, Jacques Guillemeau l’aide pour l’autopsie et l’embaumement, précisant aussitôt que tous ses adjoints ont la même formation chirurgicale. Le duc ne réagit pas. La seule chose qui l’intéresse est qu’il puisse toucher la rançon et demande que l’embaumement commence immédiatement.
Je fais installer le corps nu du vicomte sur une longue table en bois et somme assez rudement mon ami de commencer séance tenante.
La dissection se passe exactement selon les critères habituels avec une incision médiane du manubrium sternal à la symphyse pubienne et Paré enlève un à un tous les viscères, ne conservant que le cœur pour l’embaumer ultérieurement et le remettre en place afin que les proches du vicomte sachent qu’il est toujours en lui.
— Comme vous le voyez, nous procédons à l’ablation de tous les viscères, de l’œsophage au rectum, pour ne pas hâter le pourrissement, commente Ambroise qui s’exécute avec célérité.
Un gentilhomme de la suite du duc, Monsieur de Vaudeuille, est arrivé sur ces entrefaites et se tient discrètement à ses côtés, un peu pâle, bien qu’il s’évertue à montrer bonne figure.
Je me garde bien d’intervenir, mais j’opine du chef à chaque geste de mon confrère et ami ce que ne manquent pas de remarquer le duc et Monsieur de Vaudeuille.
Photo: Chambord.org
Livre/ Vésale, le trublion de la Renaissance / Jean-Jacques Hubinois