Vietnam
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Le mois de juillet n'est-il pas le plus beau de tous les mois de l'année? La chaleur un peu sèche qu'un opportun vent d'ouest se plait à tempérer. Les terrasses des cafés, les serviettes de plage, les femmes en sandalette et les shorts ajustés. Ces regards qui se croisent, ces sourires spontanés et ces désirs divins ressentis çà et là pour nous éprouver tous. Et, pour les plus chanceux, se permettre d’échouer.
Oui, c'est un beau mois, assurément. Parfois. Quelque part. Mais pas ici.
Ici est tellement terne, ici est tellement triste qu'il ne mérite vraiment aucune poésie, aucune envie débile d’enlacer un instant un corps juste effleuré dans l’eau d’une mer brulante, sous un soleil d’été. De l'air moite. La chaleur, la pluie et les typhons. Une forêt accablante, une jungle délurée. Un peu moins maintenant depuis l'agent orange: ce produit déversé appelé dioxine, vomis par des barils tous marqués au pinceau d’une griffure assassine de couleur abricot. Délicate attention. Les lianes sont tombées, l'humus s'est appauvri, les rhizomes apeurés se sont tous enfuis, les insectes sont partis, les oiseaux se sont tus, les arbres ont tous pourris. Les femmes, les hommes, aussi.
Habillée sobrement d'une tenue vert crasse, souple, ample et confortable pour pouvoir travailler, une tunique longue, quatre pans suspendus pour couvrir les hanches et descendre doucement au plus près des genoux, une longue natte de tissu enroulée plusieurs fois autour de l'abdomen, nouée très simplement un peu sur le côté, un pantalon léger au-dessus des chevilles, et des sandales en bois dont la lanière de cuir cisaille le coup du pied, Suối Huýt Sáo s’acharne.
Le sang coule de ses mains à force de frotter sur le manche d'une pelle qui n'en finit jamais d'aller et de venir entre un trou de boue sale et un tas de terre molle. Deux mètres sur un, pas plus. Mais une bonne profondeur juste pour y déposer dans un simple linceul le dernier de ses frères. Et sans même un cercueil. Le sol est dur maintenant. Elle doit saisir la pioche et briser en morceaux les roches trop solides qui s'opposent au karma de son parent défunt, à ce qui accueillera son âme, son esprit, dans une nouvelle enveloppe, peu importe laquelle tant qu’elle est loin d’ici.
Et il pleut à présent. Le cône élancé et les bords élargis de son nón bài thơ la mettent à l’abri. Mais pas la cavité qu'elle peine à creuser. Elle doit accélérer avant qu'elle ne s’effondre sous le poids d'une terre trop alourdie par l’eau, pressée de se répandre et de combler ce vide qui ne lui convient guère. Puis elle doit se changer. Revêtir son plus bel ao dai, livide, immaculé. Et elle doit prendre soin de bien positionner la dépouille d'un homme qui mérite de partir vers un nouveau vaisseau éclatant et doré. Et la pluie qui redouble. Et sa belle tenue est maintenant détrempé. Le bonze n'est même pas là. Mais qui va officier ? Il doit amener le riz et aussi l’œuf bouilli. Le désespoir est là, lui, toujours invité.
Elles se souvient de ses frères, quatre enfants dégourdis, quatre hommes trop vites partis. Dans ce village perdu au cœur d'une province pauvre d'un état ravagé par la bêtise humaine, tous les enfants sont morts avant d'avoir vécus. Ils n'ont fait que subir toutes les atrocités des défoliants toxiques forcément ingérés. Là un membre déformé, ici une cécité. Des poumons défaillants, des muscles atrophiés. Des douleurs, des cris, des larmes et des baisers. Car il n'y a que cela pour combattre les horreurs et les inanités. Elle, c’était la première, la plus âgée, l’ainée. Pour toute infirmité elle n'a jamais parlé. Jamais dit à ses frères, sa mère ou bien son père qu'elle n'a pas connu, combien elle les aimait. Sa souffrance c’est cela. Et sa dernière chance de pouvoir s’exprimer va partir dans un trou pour toujours y rester. Les rites funéraires ne seront pas respectés, son karma prometteur certainement déconstruit, son âme errant sans fin dans le bardo maudit.
Mais elle doit en finir. Elle jette au loin l'outil qu'elle serrait dans ses bras sans y faire attention, fait cinq pas en arrière et saisi le cordage qui enserre le linceul, tire de toutes ses forces pour amener l’enveloppe jusqu'au bord de la fosse, fait un pas de travers et chute la première tout au fond de la niche entrainant avec elle la dépouille de son frère.
Bloquée sous ce poids mort, elle se résigne alors, le blottit dans ses bras et attend tranquillement que son tour s'achève, ensevelie dans la boue, les viscères et les larmes.