Chapitre 1 - le prénom
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Chapitre 1 - le prénom
L'île aux Cerfs à l'île Maurice. 24 Décembre 1930
Un cerf majestueux apparaît entre deux arbres au loin dans une clairière. Je l’ajuste, sûr de mon coup, mais il recule et calmement, me fixe. Trahi par mon odeur portée par la brise de ce petit matin ensoleillé, l’animal s’est figé dans une posture qui traduit sa vigilance, et le défi ; le cerf me regarde et alors que je l’ajuste, sa superbe me désarçonne.
Le tirer, ou le contempler ? Le plaisir prend le pas sur l’instinct de mort que je me préparais à donner . Son port de tête noble et ses bois qui pointent vers le ciel m’envoient cette dose de majesté que je croyais mienne ; surgit dans la pénombre une biche, et sa troupe de charmantes accompagnatrices. Le mâle est accompagné de sa harde, mon viseur tremble des battements de mon cœur.
J’ajuste, j’arme.
Je suis venu pour chasser, pour me prouver ma masculinité. Mais sa majesté et la beauté de son entourage font de lui un roi auquel mon instinct ou ma raison me demandent de rendre hommage. Je m’incline, je désarme, je capitule devant tant de puissance, de vie et de beauté.
Je suis France. France Antelme, né le 12 mars 1900 à l’Île Maurice.
Issu d’une grande famille de l’île basée à Curepipe, j’ai 30 ans et suis dans la force de l’âge. Dans 15 ans je serai mort, visé à la tête dans ma beauté, enlacé et moi aussi asphyxié par l’inhumanité de chasseurs nés.
Mais pour l’instant je suis et je respire, porte beau et ai décidé d’aider ceux qui d’être attaqués ont décidé de se battre et de contre-attaquer.
Je vais devenir agent secret au cœur d’un réseau d’espionnage et de résistance imaginé par Winston Churchill en Juillet 1940. 30 ans plus tard, mon prénom France sera encore le nom d’un pays que j’aurai tant aimé, et mon nom deviendra le prénom d’un enfant que je ne connaitrai pas de mon vivant.
Londres, 08 Herbert Crescent. 5 avril 2017
Nous sommes un mercredi. Aujourd’hui je suis passé au 8, Herbert Crescent dans le quartier de Londres qui jouxte le grand magasin Harrod’s. Après avoir sonné à la porte et expliqué mes intentions, je me suis gentiment fait éconduire. C’est la deuxième fois que ce club apparemment select ne veut pas de moi. Pourquoi Londres ? Pourquoi ce club ?
Il s’appelle le Special Forces Club.
Dépositaire d’une part de ma mémoire qui compte pour moi, mais dont l’objet ne semble pas de l’entretenir. Tant pis. Au lieu de leur raconter cette histoire, je vais me la raconter ici.
Paris, Mairie du XIIème arrondissement. 26 décembre 1970.
Mon père Alain va me reconnaître à la Mairie.
Je suis né 2 jours plus tôt le 24 décembre à 12h35. Face au fonctionnaire en charge de l’Etat civil, il m’affuble de 4 prénoms, dont le premier est composé : Louis-Alexis. Suit Raymond, le prénom de mon grand-père paternel dont je n’entendrai pratiquement plus parler, mais dont je porte aujourd’hui fièrement le nom, le titre, et les armes à la main gauche. Puis Denis, le prénom de mon oncle maternel, en mémoire de ce frère de ma mère parti dans sa prime jeunesse. Puis un dernier prénom qui ne m’a jamais été clairement expliqué par mes parents : Anthelme.
Qui est donc ce fantôme planant sur mon berceau ?
Rueil-Malmaison. Samedi 24 mars 2018.
Je descends les marches de mon pavillon, direction le sous-sol. Je ne sais pas si je vais le trouver ou si je l’ai jeté. Lors de mon récent déménagement, je me suis promis de jeter à la poubelle les traces de ce fantôme qui me colle à la peau. Ce fantôme là, cela fait plus de 47 ans que je me le trimballe. Et presque 10 années que j’ai commencé à m’y intéresser, à chercher à savoir qui il est, ce qu’il me veut, ce que peut-être je lui dois. Comprendre qui il a été. Pourquoi nous sommes liés.
Anthelme n'est pas un prénom. C'est un nom de famille. Et la bonne orthographe ne souffre pas de "h". Dès le début de mes recherches, je découvre que je porte le nom d'une famille, dont pourtant je ne fais pas partie. Pourquoi ce nom ? Pourquoi ce patronyme ? Qui est ce type ?
Je descends les marches, ouvre la porte de mon gourbis où j’ai entassé toutes les archives que je n’ai pas encore pu ranger ou jeter, et je le vois, il est là à mes pieds, alors que je le croyais parti depuis belle lurette dans la beine à ordure de mon quartier. Cette grande enveloppe couleur carton, dans laquelle sont assemblés 2 kilos de papiers format A3.
La valeur du plis - EUR0S 48 - affichée en gros et cette lettre « A » en typographie rouge avec les mots « the national archives » écrits juste en dessous. L’adresse de provenance est Kew Richmond Surrey TW9 4DU au United Kingdom. Il m’est arrivé par Airmail à mon ancien domicile, il y a 5 maintenant. Je cherche et je vois une date précise : 20 Août 2013 à 19h24. Ce devait être l’heure de la pesée et de l’enregistrement du colis par GLS, la société de transport utilisée par les National Archives britanniques pour délivrer ses colis. Le code postal de destination est bien là : 92500.
Adressée à MR L.A. DE GEMINI.
L’enveloppe est lourde, juste éventrée à l’avant, là où de nombreux scotchs sont venus fermer le paquet. Ceux qui me l’ont envoyé ont fait le maximum pour que les papiers restent bien à l’intérieur. Ils y ont mis du cœur, et avec le recul, j’apprécie leur effort. Dans ce dossier marron fait de papier et de carton, il y la vie d’un homme. Une vie qui était restée secrètement rangée dans ces archives en Angleterre le tems que les choses se tassent, et que les secrets de sa vie ne soient plus une menace pour personne. Cela a pris 60 ans. 60 ans pour que ces archives soient déclassifiées et que les familles et les historiens puissent y avoir accès. Ce dossier est là devant moi. Bizarrement, j’ai demandé celui-là, et pas l’autre.
L’autre m’est pourtant tout aussi personnel, peut-être même plus. L’autre dossier est celui d’un homme qui a aussi marqué le destin de ma famille, qui fait partie de la chaire de mes ancêtres.
Cet homme, mon grand-oncle, est un homme qui a laissé une trace indélébile dans la vie de mon père. Un homme qui fut un héros, et par qui celui dont je vais vous parler est entré dans ma vie. Pourtant rien ne me prédestinait à m’intéresser à un homme mort depuis plus de 70 ans.
Dans ce dossier en carton, ce n’est pas la valise de mes souvenirs qui git dans l’attente d’un regard attendri, ce sont les traces d’un homme qui a disparu, mais dont le destin a voulu qu’il me laisse son nom en héritage. Cet homme s’appelait France. France Antelme. C’est de sa vie, et de ma quête pour le rencontrer dont je vais vous parler.
Une coïncidence pleine de sens
Lorsque j’aurai avancé dans mes recherches sur France Antelme, lu les fiches Wikipédia, et pas mal d’ouvrages sur ses activités clandestines dans la France occupée de la deuxième guerre mondiale, il se produira une découverte qui ne lasse pas de me toucher, de m’interpeller par la force du sens de la destinée qu’elle recèle.
Alors que j’avais entrepris de mieux connaître l’identité et la vie de ceux dont je portais les prénoms, je me lançais dans la quête d’information concernant mon grand-père Raymond.
Première pièce de mon puzzle, je mis la main sur le certificat de décès de ma grand-mère maternelle, Paulette Savy de Gemini, pour identifier le lieu de son mariage avec mon grand-père, et pouvoir ainsi remonter jusqu’à son état civil à lui. Alors que je regardais le lieu de naissance de ma grand-mère paternelle en 1903, je vis qu’elle était née à Sainville près de Chartres. Si ce nom ne me dit d’abord pas grand chose, j’eu une sorte de sursaut à le lire, comme si un indice venait de remonter du fond de ma mémoire. Sainville. J’avais arpenté les archives en ma possession sur internet, et me souvenait soudain que Sainville était la ville où France Antelme avait justement été arrêté par la Gestapo le 29 Février 1944
Les archives secrètes
J’ouvre le dossier et sors les feuilles A3 photocopiées dans son dossier d’agent jusque là classé top secret par le gouvernement britannique.
A la main est écrit en surplomb la côte 22666/A. En dessous « SECRET » puis en plus gros toujours en capitales « ARCHIVES ». En dessous écrit à la main au marqueur noir, ANTELME, J.A.F. Puis suivent les mots « SPECIAL FOLDER, VOL.1 » soulignés deux fois.
Plus bas à droite sur la page de garde, un tampon « SECRET » apparaît à nouveau dans une autre typographie, celle d’un sceau. Sur la tranche, de nouveau apparaissent en lettre manuscrite les mentions 22666/A, ANTELME, J.A.F, et en dessous en majuscule S.F.I. En bas sur la tranche la mention « A.21 REPORTS ONLY » apparaît enfin. Je ne sais pas ce que cela signifie.
Cette page A3 est la photocopie de la page de garde du dossier qui apparaît tel qu’en lui même avec ses bordures abimées. Il y a assez de place sur la feuille pour qu’en dessous du document classifié, apparaissent sur chaque page une nomenclature des archives nationales. The National Archives. Ref : HS 9/42 CS68398. Avec le mention : Please note that this copy is subject to the National Archives’s terms and conditions and that your use of it may be subject to copyright restrictions.
Je tourne la page, et j’ai la première page photocopiée du SPECIAL FOLDER Vol .1 avec la référence HS9/42 en haut à droite. Le nom ANTELME J.A.F apparaît à nouveau manuscrit dans l’encart à cet effet. Il y a une sorte de timbre officiel, mais je ne peux lire ce qui y est écrit. Puis une page laisse apparaître le facsimilé d’un rapport tapé à la machine.
En tête : BOMBARDEMENT DU 15 SEPTEMBRE, sans année.
C’est le début de plusieurs dizaines de pages tapées à la machine, annotées manuellement, certaines écrites en anglais, d’autres en Français. Cherchant à classer un peu tout ce fatras, j'ai tenté de réunir les différents chapitres ou parties du dossier par feuilles pliées ensemble. Il y a 20 paquets de feuilles, certaines que j’ai commencé à stabylo-bosser moi-même.
Que va me révéler ce dossier ? Qiu était France Antelme ? Pourquoi ue partie de sa vie est restée secrète pendant 60 ans ? Quel était son rapport avec mon grand-oncle William, qui a instamment demandé à mon père qu'il me donne ce prénom incongru à la naissance : Anthelme, et tant pis pour le"h" phonétique qu'il a inscrit dans l'état civil, car il n'avait apparemment jamais vu ce nom écrit de ses yeux. Juste entendu prononcé à l'anglaise, avec ce léger son qui sonne comme un "s", alors q'il s'écrit avec un "t", et pas un "th". Antelme, Anthelme. Même prononciation. Un nom. Qui devient mon prénom comme un hommage posthume à un homme qui a marqué ma famille.