LA FIN
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LA FIN
24 mai
Jour de rencontre, jour de découverte, jour de retrouvaille. Jour tant attendu, jour si palpable et pourtant surréaliste. La folie nous a guettés, les autres ne nous croiraient pas, nous y croyons trop Ce n’était que des mots donnés et des données de promesses même pas sur papier. Aujourd’hui ce sont des balles que l’on lance et qui rebondissent avec merveille sur les miroirs que reflètent nos corps. Jour bonheur et stupide où nous rêvons seulement du présent.
25 mai
En vrac : visite d’un parc protégé rempli d’Eucalyptus et d’un petit canal d’eau fraîche. Des feuilles tombent dans mon carnet de voyage, odeur boisée figée. Glace artisanale lait-cannelle. Courses à l’Hypermercado pour le petit-dej. Pâtes au pesto rosso maison. Pokeball vegan pour moi avec du chou-fleur. Apéro con Mauricio (le cousin de Mariela) dans un restaurant accessible que par ascenseur. Cocktail (rhum, Maracuya, sirop de Cannelle fraîche) et petits tapas pimentés.
Visite d’un palais. Visite guidée ! Style très français et italien de La Renaissance à l’intérieur. Ça valait le coup d’aller en Amérique du Sud… A fait fortune dans les mines d'Étain. Je fais des blagues. Mariela rigole et dans sa gorge explose mon petit paradis.
26 mai
Siestes. Lessives et pharmacies. J’ai tenté de suivre une série argentine sur Netflix.
J’ai fait découvrir à Mariela le film Le Grand Bain, mais elle connaissait déjà beaucoup des acteurs du film. Ils passaient le film Armageddon en fond sonore dans un restaurant. La voix de Liv Tyler est totalement ratée en espagnol.
Smoothie maison. Beaucoup de bus aujourd’hui. Des espagnols jouaient à la bataille Corse à une table d’un parc…. Enfin, en France ça s’appelle la bataille Corse. Je me demande s’ils appellent ça la bataille Ibiza… On rigole facilement avec Mariela. Cette fille c’est mon bonheur. Frites trop grasses et bouteille de Coca très mini.
27 mai
Dernier petit-déjeuner maison dans le très joli appartement du quartier riche et bourgeois de Cochabamba. J’arrive pas à croire que je suis allé déjeuner dans un « Restaurant Dumbo ». J’ai dû boire 1L de jus de Maracuya à moi tout seul. Je fais l’impasse sur une glace monumentale en dessert. Tristesse infinie ! On se promène un peu à Cocha, que je connais si bien maintenant, comme si on n’allait jamais se séparer.
« Tu vois ce pont ? Ben il y a dix ans, même en plein jour tu te faisais braquer »
Mariela V.
« Un autre mot s’est assis comme un petit roi dans une phrase qui ne l’attendait pas et lui a obéi… »
Les mots, J’avoue que j’ai vécu. Pablo Neruda
28 mai
Par deux fois je suis sorti dans la nuit, hors du petit cabanon que nous louons sur les hauteurs de CBBA. J’ai même ouvert la porte d’un autre cabanon vide pour utiliser ses toilettes et sa très bonne situation géographique pour capter la 4G. Un peu honte, mais surtout très fier. Il ne fallait pas laisser les clefs dessus.
Au matin, bon petit déjeuner. On a mal au ventre. On paresse dans un hamac après 40 minutes de sauna. Un alpaga du nom de Raymond se fait menaçant à moins de 5 mètres. ça fait peur. Déjeuner salé, mais très bon. Jus maison de figue de barbaries qu’ils appellent Atun, comme le thon. Je ne sais pas pourquoi. La journée a lentement coulé sur nous. On part de là en taxi. Soirée Sushis dans un resto des beaux quartiers. Il y avait même une école Montessori sur la route. Je me réconcilie avec les sushis, moi qui étais plus californias. Par contre, définitivement, les makis cuits c’est trop gras.
On rentre en taxi. C’est une habitude dont on s’accoutume très facilement. Première fois de ma vie que je commande de l’alcool à la réception d’un hôtel. Bon à 23h, ils n’apportent que des bières format 1L. On se dandine sur des tubes des années 80. On éteint les lumières et on se dit des jolies choses. On contourne les promesses, mais nos yeux nous trahissent. A jamais nos destins dépendront de cette obscurité. 2h du matin.
Bip-bip !
29 mai
Dernier jour avec Mariela. Même pas entier. On oscille entre la joie du temps passé et la tristesse du temps d’après. Cheesecake maracuya et soda à la peau de café (excellent !). On glisse chacun un petit mot l’un pour l’autre et ce sont mes sentiments que je lis sur le sien. On quitte notre hôtel quatre étoiles, des étoiles plein les rêves. Et du on bientôt ne reste qu’un je des plus sérieux.
Tom,
GRACIAS po restos dias hermosos, gracias por
los mensajes durante casi 2 meses.
Este tiempo juntos ha sido muy lindo e inolvidable <3
La distancia y el tiempo no existen !
Te quiero tanto !!!
Te espero en 3 semanas
Besos
Mariela <3
(*Tom, merci pour ces jours magnifiques, merci pour les messages pendant presque 2 mois. Ce temps ensemble restera beau et inoubliable. La distance et le temps n’existent pas. Je t’aime tant !!! Je t’attends dans 3 semaines. Bisous.)
Départ en avion. Petit aéroport, mais plutôt gros avion. 1h de vol à peine. Pas hyper écologique. Des gens s’attroupent au terminal. Les accolades sont sincères et la joie absente. Une jeune femme pleure pour tout le groupe. Légèrement comme fait le vase qui déborde à peine, mais que l’on sait excessivement rempli. C’est une petite procession qui vole le reste de rayons de lumière de la journée. Je comprends alors que les fleurs en sachets plastiques qui ont volé avec moi sont pour une tombe encore plus fraîche qu’elles.
Deux jeunes hommes dévoilent leur tristesse comme le font les hommes, dans un calme sans fond, presque timide. Je ne sais rien du mort. Ce ne sont que les aperçus que j’ai des vivants qui impriment sur moi son souvenir. Des enfants sont là aux pieds des sacs que l’on a posés tant les épaules ne peuvent plus rien supporter aujourd’hui. Pourquoi cela me touche-t-il si violemment ? Ils ont fait ce qu’ils ont pu pour assombrir leur vêtement. Aux pieds des enfants, entre le moral et les mochillas, les fleurs débordent de leur large vase de plastique et s’expriment en couleurs. La femme qui pleure encore un peu me foudroie de chagrin. C’est la plus triste pourtant sa robe est bleue. Cette scène vibre le long de mon corps. Je me sens en deuil. Triste comme si j’avais frôlé cette vie et que je rentrais peu à peu dans leur intimité sombre et exclusive. S’ils me l’avaient demandé, je les aurai accompagnés à leur enterrement. Sans doute ni joie.
30 mai
1er jour à Trinidad. Je sors à 14h à peine de ma chambre. Déjeuner pour quatre, mais je suis seul. Je fais au mieux mais gâche. La pluie me surprend. Pluie torrentielle, diluvienne, tropicale. Trempé, je me prends un frappé glacé au Dulce de leche. Très sucré comme toujours. Il annule tout à fait les bénéfices du riz du midi… Peur de glander un mois, alors je plonge dans une agence de voyage pour partir en excursion en forêt. Je suis le seul touriste du bled, alors j’ai du mal à faire confiance au tour operator à la différence de Rurrenabaque. Trois heures dehors, je retourne dans ma chambre.
31 mai
Départ pour 3 jours dans la forêt encore, mais côté Trinidad. Je ne prends pas mon hamac. J’espère ne pas en avoir besoin.
Hier au déjeuner, j’ai atteint un sacré niveau d’emmerdement :
- Travaux à la meuleuse chez le voisin
- Enfant en ligue des champions avec une bouteille de Sprite en plastique
- Abeilles têtues et malpolies
- Pluies
- Enfants de rue qui quémandent
- Livreurs qui se pointent du côté de la petite porte, sinon c’est pas assez fun.
Je débarque dans le village. On est pas vraiment dans la forêt. Plutôt sur une fin de piste et un bourg… Un patelin. Un bled… Fait chier.
1er juin
Déjà en juin… Je crois que c’est mon premier mois de juin ailleurs qu’en France. Mon petit-déjeuner : bouilli de maïs et lait. L’impression de macher toute une rangée de cinéma. Le goût mou des pop-corn que l’on laisse au fond des seaux format familial. Le sucre qui finit du bout des doigts sur les accoudoirs de velours. L’ensemble à l’odeur fraîche d’une climatisation en plastique.
Les gens ici vivent de la chasse, de la pêche, du miel sauvage, de la forêt et de quelques cultures. Je n’ai pas l’impression que ça vive ici… Je dirais plutôt une survie passive.
Il y a un français qui est venu cinq ans, il y a dix ans. Ils m’en parlent tout le temps. Il s’appelle Noé, me ressemble et est médecin à Lyon. Je crois. Je dors sur une texture de planche à repasser avec des grumeaux de noeuds !
2 juin
Iviato ou Ibiatu possède une langue ancestrale, le Siriono. Forcément vouée à disparaître, j’espère me tromper, mais je ne les ai pas entendus la parler. Elle ne se parle que dans ce village. Les jeunes, une fois sortis de l’école, ne savent pas l’écrire. Les plus vieux oublient des mots qui existaient.
Buenos dia : Yhasïn turä
Gracias : Yhan yë
Ironie linguistique qui frôle le diabète : ils prennent leurs cuillères à soupe pour des cuillères à café et en plongent deux de sucres dans leur tasse. Et c’est des grandes tasses.
Activité pêche, à côté de caïmans, 6 pour moi. Pincement au cœur. Je fais tout pour les tuer le plus vite possible. J’ai de la peine. J’apprends à faire de la moto ! Dans un bled à côté de Trinidad. Pas ouf comme ambiance, mais ce matin je suis allé pêcher avec la famille chez qui je loge.
3 juin
On est vraiment dans la campagne profonde ici. Je ne l’avais pas compris tout de suite. Je pensais exotisme…. Certes, mais campagne exotique signifie tout de même campagne.
Ils n’ont pas d’âge : une génétique qui leur donne un visage lisse, mais dents ravagées très tôt. Humour très basique, un peu limité, mais ils ont des enfants très tôt et conduisent leur moto dès 12 ans. Ils n’ont pas peur des silences, du temps qui passe. Cela je le respecte profondément, car peu en sont capable dans le monde occidental. Ils n’éprouvent nul besoin de faire une activité. Ils ont tous, mais les plus vieux surtout, des problèmes de mémoire à court, moyen et long terme. Ni heureux ni malheureux. Ils se disent « heureux » d’habiter ici où c’est « tranquilo ». Non, pas tranquilo non ! Leurs habits sont sales, leur habitat un peu insalubre. Le gouvernement leur construit leur maison au modèle unique. S’essuient dans une nappe de noël et se mouchent dans leur veste. Les femmes à la cuisine. Des déchets de plastique autour des maisons en bois. Des générations issues d’une consanguinité très très probable.
De la boue et le temps qui passe.
Installé depuis deux très longs jours dans la maisonnée du petit cochon numéro 2, comprendre en bois et en déchets, le père de famille me propose d'aller boire une bière dans la seule cabane qui en vendait. Moi déjà relativement fatigué j'ai accepté, pensant vivre une cérémonie locale et des révélations mystiques du village. Partis à 20h nous arrivons en 30 pas devant une borne d'arcade qui diffusait à 15 enfants de tout âge et 12 chaises en plastique de tout âge aussi une rediffusion d'Aquaman. Le père, le fils de 22 ans et moi devant nos canettes respectives d'une bière qui n'avait pour elle que sa fraîcheur. Je me nourrissais plus facilement de la lumière taille TV cathodique, me contentant facilement de ce quart de film clairement mauvais. Sur ce, le père coupe le film aux enfants sous-nourris, appelle le proprio pour lancer de la musique et recommande une tournée de bières... L'enfer commence lentement mais sûrement. Visiblement la borne d'arcade, illustrée de femmes aux bikinis saturés de chairs, fait TV, Karaoké, enceinte de concert et sûrement tout sauf borne de jeu vidéo.
Les enfants partent, la musique locale se lance en clips VHS. Forte et mauvaise. Clairement, on a perdu au change. Beaucoup de sons de flûte en une seule note et souvent 32 mariachis de plus pour jouer de la trompette ou du tambour par intermittence par-dessus. Un rythme et un air commun à tous les clips, un nombre effarant de musiciens qui se succèdent. Sur le moment je me demande très sérieusement comment ces artistes en vivent et pourquoi tous ces mouvements de caméra et surtout si le mot artiste n'est pas exagéré. Dans les extraits vidéos : des airs d'Intervilles et de Ferias. Ils m'annoncent que les images de taureaux martyrisés et harcelés présents dans les clips c'est exactement ce qui m'attend si je reste à Trinidad jusqu'à la fête locale 6 jours plus tard. Mais quel enfer ! Là, entre 6 canettes et une énième vidéo de taureau qui visiblement n'obtient jamais raison (c'est ce que je déteste surtout dans ce type de jeu), je décide secrètement de ne jamais me rendre à ce festival (même si d'autres attractions basées sur des danses traditionnelles sont aussi aux programmes soyons honnêtes) et de ne jamais leur dire mon changement d'avis avant que des kilomètres de forêt nous séparent. Les clips s'enchaînent, même style. Deux vieux viennent s'installer en face de l'attraction, une femme et une très jeune enfant nous rejoignent aussi. Visiblement c'est en effet le bar du hameau. Outre la violence animale, les paroles quand il y en a, sont super sexistes et plates. L'une des chansons c'était littéralement "si le mec ne t'as pas vu habille toi plus court et fais lui sentir tes hormones". Je n'exagère rien dans cette histoire. On commence à rentrer dans un territoire difficilement croyable mais accrochez-vous parce que ça c'était qu’un dos-d'âne.Petit à petit, le père de la famille chez qui je loge, se retourne vers la mère et l'enfant... Toutes les 2 minutes. La gamine a 2 ans, sur les genoux de sa mère et l'homme lui lance des "Linda !" comme pour l'appeler (Ce n'est pas son nom et ça veut dire "mignonne, jolie")... Déjà un peu déplacé si on transpose la scène en français dans notre société mais bon, rien de bien méchant. Puis finalement il passe son doigt sur les lèvres de la gamine et ensuite fait un bisou à son propre doigt. Mon visage n'a plus de paupière, mes yeux vont tomber. Mais quel enfer ! Cette phrase tourne dans ma tête sur fond de Cumbia, ce style musical si répétitif. Personne n'est choqué... Et le père continue à mon plus grand désarroi et au dégoût de la gamine qui je le rappelle ne peux pas encore articuler un "Non". Je me dis qu'aussi étrange que ça puisse paraître. être, ça doit se faire ici. La mère n'est pas choquée et moi, je fais comme si ma canette de bière était intéressante, m'occupant à traduire les paroles sexistes des chansons que même des femmes se mettent à chanter... Mais plus tard, le fils de 22 ans se met à faire pareil... Sur le même enfant ! Mais quel enfer : un bisou sur le bout de ses doigts et ensuite aller les étaler de bière, et de pisse très certainement, sur les lèvres de la fille. Et cela plusieurs fois ! Sans aucune manifestation d'intérêt de la part de l'enfant. Mais au mon dieu quel enfer !!!!! S'il n'y avait pas eu la mère qui regardait la scène d'un œil mort j'aurais réagi. Et ça continue par intermittence, alternant les bisous dans le cou, voire sur la bouche... Et la musique, comme l'enfer continue. Et la bière n'est vraiment pas terrible. Et je suis fatigué… Et on me fait comprendre que c'est à moi de payer pour les bières... Je fais comprendre que je ne trouve pas ça normal de payer 6 bières que je n'ai pas tant aimées. Oui mais demain on paiera nous les bières. Non seulement j'ai payé, mais en plus avec la conviction d'une soirée punitive pire que celle-ci... Je rentre choqué. Et me lève trois fois la nuit… Merci les bières… Finalement pas de rendez-vous au bar le lendemain, il m'a effectivement payé une bière à domicile, mais bon moi j'en avais payé 6 la veille… Puis j’avais pas forcément envie de boire tous les soirs. Ce soir, les voisins mettent la musique à fond dès 21h. Ça dure toute la soirée... Personne ne bronche dans le voisinage, donc dans le bled. Impossible de dormir tellement c'était fort… Comment expliquer : Même quand je souhaite écouter la musique fort, seul, dans un casque elle n'est pas aussi forte. Techniquement c'était aussi fort qu'un jingle Dolby digital Surround de cinéma. Relativement patient, je décide d'aller les voir à 2h du matin. Attendant la fin de la dernière musique dans l'espoir que passé 2h, un relent de collectivisme les amène vers un sommeil profond... Celle-ci dure 14mn... Une musique déjà répétitive de 14 minutes avec un accordéon qui n'en finissait plus de mourir et ressusciter... Un enfer !
2h11. 3 secondes de répit et d'espoir, donc d'acouphènes et de stress... Puis une nouvelle musique recommence ! La même que celle de 23h46. Je me lève, m'habille, sors de la moustiquaire et marche vers la maison d'en face... Je cache mon admiration devant la quarantaine de canettes de bière sur la table en plastique et demande en criant aux 7 personnes autour (faites le calcul pour les canettes de bières) si c'est possible de baisser un peu la musique parce que je loge en face... A ce moment-là j'étais un Tintin naïf qui arrive en territoire inconnu et pense régler à lui seul les problèmes. On me fait des signes que des extraterrestres eux-mêmes auraient compris comme "D'accord"… Je repars... Là aussi des chiens aboyeurs, sourds selon toute probabilité, un chemin de terre... Et la musique qui n'en finit pas d'être assourdissante. J'y retourne donc... Un peu plus chauffé à blanc, montrant cette fois une exaspération réelle mais timide... A ce moment-là, le plus gros, le plus suant, sans doute le plus bourré, avachi sur son siège au fond, se lève difficilement avec le projet de m'envoyer un pain ou deux. Je comprends alors qu'on n’est pas du tout sur la même longueur d'onde ni même sur les mêmes projets de solutions... Il titube tellement qu'il met un long moment à contourner la table, freiné par des supplications féminines tout aussi bourrées, mais génétiquement moins violentes. Honnêtement je reste curieux de ce qui aurait pu se passer entre moi, frêle à côté de lui, certes, mais clairement plus alerte. Je discute un peu plus loin avec la moins bourrée qui me dit qu'il n'y a pas de police ici ni d'arrêtés municipaux. Et que s'ils veulent mettre la musique à fond ils peuvent...
Je vous passe les détails racistes de t'es pas chez toi Gringo retourne dans ton pays... Je leur fais comprendre qu'il s'agit de bon sens et que même baissée de 50 % ils ne verraient pas la différence, eux qui campent à 3 mètres de deux caissons du Hell Fest. Je leur dis que si je suis le seul à être venu il y a à côté des familles et des enfants... Aucun de mes arguments ne fonctionnent parce qu'ils ont le droit.... Je repars furieux... Je guette le voisinage en espérant trouver compère pour une vengeance... personne ne semble réveillé ou furieux... 2h30. Je déteste le manque de logique et l’injustice.
Je croise un vieux arraché à un mélange d'alcool pur et de soda à la fraise, ce qui lui donne une haleine de charlotte aux fraises très perturbante. Il est ravi de moins chavirer quand il me serre la main de longues minutes... Il m'accueille comme un maire de village durant une matinée de commémoration. Il vante la tranquillité de son village. Je lui crie que je suis là depuis 4 jours et que je pars demain et que tout de même c'est un peu bruyant quand même. Ah ça c'est l'anniversaire du mari de ma fille ! Moi vert, pensant avoir trouvé un allié certes inutile mais réel ! Ah c'est votre fille ? Oui une de mes filles... j'ai une variété de filles... J'ai pas demandé mais quand le mot choisi est variété, je pense que le nombre peut être compris entre 8 et 73. (Ce qui est tout à fait possible, car dans les années 70 en Bolivie, mais dans ce village surtout les hommes avaient énormément de partenaires femmes. Aujourd'hui la tradition s'est perdue un peu et dans certaines communautés les hommes comme les femmes, il me semble, ont en même temps deux partenaires. Ce qui dans le cas présent créé ici de nombreux problèmes d'incestes générationnels, voire de l'inceste tout court). Je finis par retourner au lit, fulminant des plans machiavéliques jusqu'à 3h30. Je somnole en vibrant au son d'une flûte de Pan. La musique s'arrête à 4h... Je suis tellement hors de moi que j'avais prévu un réveil à 6h pour aller couper les fils de leurs enceintes, mais je me suis ravisé de peur qu'une vengeance pire de leur part tombe sur la famille qui m'héberge et la colère est passée… J’ai décidé de vivre et laisser vivre comme dirait Neruda en parlant d’un critique très virulent à son encontre. C'était mon dernier jour ici. Je suis ravi de partir de là, entre malaise, gêne, colère et incompréhension, je ne me suis rarement aussi peu senti à ma place qu'ici dans ce village qui se gargarise d'avoir une langue unique, mais qui sous des flots de plastiques, s'enterre dans une culture trop ancienne mais bafouant l'esprit des traditions en rêvant au capitalisme d'un monde trop moderne pour eux. Chacun attend patiemment que l'État lui construise sa maison individuelle, parlant espagnol tuant leur langue sans le savoir et vivant au jour le jour pour remplir leur moto de diesel. Aucun équilibre ni avenir ne les attend. Pour eux ce sera la mort de leur langue soit par mélange d'autres cultures, extérieures à leur communauté, soit par insularité à ne vivre qu'entre eux et se gangrenant chaque jour. J'espère me tromper sur leur compte et n'ai vécu là que 4 jours, mais à la campagne, c'est long et on a le temps d'en voir des choses.
4 juin
Je sors enfin de la campagne profonde pour retourner dans la campagne un peu moins profonde. C'était 4 jours très lents. Entre modernité et vieillesse. Je dirais mamie Monique chez les Picaros. Le temps passe.
Hier j’ai enfin goûté l’alcool l’Amarula que je souhaite acheter depuis plusieurs mois. Excellent ! En cocktail avec du lait, goût de Kinder Surprise. Mais je n’ai pas fini mon poisson à la « Diabla » (comprendre très très pimenté), car peu faim. Aujourd’hui, je pars sur 1,5 repas/jour. Parfois je suis triste de ne pas avoir faim pour telle ou telle découverte. Pour la première fois de ma vie, seul, je suis ressorti d’un restaurant sans commander, car j’en ai marre de leur soupe. Un peu de dessin dans le carnet. J’aime pas tous mes dessins, mais j’aime ce temps désormais. Je suis meilleur au stylo fin et avec un modèle. Voilà pourquoi, depuis le début de mon voyage, j’ai racheté trois stylos noirs d’épaisseurs différentes.
Encore trouvé quelques micro-tiques sur mes jambes (plus petit qu’une lente). Après une bonne vingtaine, je deviens parano et m’arrache des croûtes sous la lumière blafarde d’une lampe frontale. J’ai des cicatrices de piqûres d’insectes qui ne partent pas depuis vingt jours. Des boutons cristallisés. Ça gratte. A côté, les piqûres de moustiques c’est rien. Vraiment rien. J’ai dîné de Pringles et de barres chocolatées dans mon hamac. Vraiment pas ouf !
Je me sens plus libre que jamais. Mais plus perdu aussi à la fois. J’apprends que ma première amoureuse de l’école primaire est enceinte. Celle-ci symbolisait forcément un peu ma génération, mon enfance comme un reflet. Je ne le savais pas, mais j’en ai rêvé trois fois. A mon âge, Neruda était consul en Orient, Maufray mort dans la jungle guyanaise et mes parents amoureux l’un de l’autre. Et moi, Pablo !?
Tombe le soir sur Trinidad
Des oiseaux chantent sur une antenne réseau
Ces perruches survolent torrents de motos
Les lourdes feuilles frémissent et frôlent les mûrs
Une canette s’ouvre en bruits métalliques
La poussière rougeoyante défile en murmures
Un soleil bas s’est étiré sur le trafic
Et la nature, entre deux moments, s’exprime
5 juin
Encore mal au ventre de 5h à 12h. C’est devenu un genre d’habitude. Je prends mon dernier Smecta avec nostalgie. Ici, il n’y a rien de comparable. On ne se rend compte de la richesse du patrimoine français qu’une fois qu’on la quitte.
Bouteille d’eau, salteñas et siesta ! Je prépare mon sac pour Riberalta, sans être sûr d’avoir un bus. J’ai dû faire un aller-retour en moto-taxi pour vérifier et réserver. J’aime ce concept de moto-taxi. On m’a dit de revenir à 19h30 au plus tard, mais de payer tout de suite.
19h30. Je suis pile à l’heure.
20h…
20h20…
20h43…
20h56…
Enfin on part !
8 dans la voiture. Un jeune, un barbu (c’est moi ça), un bébé, quatre hommes, quatre femmes. En cette nuit du 5 juin, j’ai enfin accepté que la musique à fond en dormant c’était culturel ! Par contre j’étais moins bien préparé à la climatisation. Même les voyageurs boliviens s’en sont plaints ! C’est dire.
6 juin
2 MOIS DE VOYAGE ! Je ne suis jamais parti plus longtemps que cela dans ma vie.
Tout sera nouveau et incroyable à partir de maintenant. Je crois que c’est dans mes explorations et mes curiosités que je me retrouve entièrement. Cette nuit, les étoiles étaient magnifiques. Comme pour me signifier ce nouveau palier, une lanière de mon gros sac s’est cassée et le cadran de ma montre s’est détaché du bracelet. Le temps et le poids. Le poignet et les épaules. Pour la lanière de soutien-lombaire du sac à dos, qui s’est arrachée après avoir rencontré une roue de Tuk-tuk. Assez justement il me semble, j’en accuse le chauffeur et refuse de payer la course. Il n’avait qu’à s’excuser ou se sentir désolé. Rien de tout ça. Je tiens tête. Ça a payé et je n’ai pas eu à le faire.
7 juin
Au bureau de renseignement « touristique », on n’a pas pu répondre à toutes mes questions. Si content de m’aider qu’ils m’ont offert un livre des histoires de Riberalta. J’ai pas tout lu, mais c’est très mal écrit, ça fait l’apologie de la violence, des hommes et de l’Homme sur la nature sur fond de patriotisme avec un sous-texte chrétien. Le tout est saupoudré d’illustrations pixélisées. J’ai acheté mon billet d’avion pour Santa Cruz, pour revenir au plus vite sans perdre deux jours et rester une semaine complète avec Mariela.
J’ai pas mal maigri en deux mois et commence à réaliser que ma calvitie naissante est une réalité. Aujourd’hui, je vais faire trois repas. Ça ne m’est pas arrivé depuis le 28 mai il me semble. J’ai jamais assez faim, je fuis les viandes, les soupes et finis rarement mon assiette.
Chaleur, maux de ventre, Atovaquone, altitude, piments, fatigue, voyage !?
Vu dans la rue à Riberalta : « Autorité fiscale et contrôle social de la forêt et de la terre »
Aujourd’hui je n’ai toujours pas récupéré mon sac à dos. Pourtant hier, la femme m’avait dit « demain », donc aujourd’hui. Mais aujourd’hui elle n’était pas là, alors on m’a dit « demain », mais j’ai peur que demain soit comme aujourd’hui ou hier et qu’on me dise « demain » à nouveau. Les gens d’ici ont tellement une vision à court terme, que demain ça veut juste dire « pas aujourd’hui ». Ça n’a pas loupé, le lendemain ils m’ont redit « demain ».
Pas de shawarma falafel dans le restaurant, pas facile d’être végétarien en voyage. J’ai diné des ailes de poulet devant le MTV des années 2000 : Backstreet Boys, Justin Timberlake, Kyle Minogue, MC Hammer et j’en passe et des meilleurs.
Séance cinéma à 22h40. Ici des séances de cinéma jusqu’à 23h45. Jurrasic World III. Vraiment pas bon du tout. Le pire des 6.
8 juin
Couché à 2h, levé à 7h. Visite guidée de la ville, personnelle. Le guide est en avance ! départ de la visite en moto. Visite d’une fabrique de noix du Brésil… En Bolivie. Tenue complète à la Breaking Bad, car zones alimentaires. Odeurs de noix, travail à la chaîne et fortes normes d'hygiène. Le deal c’était d’acheter des noix en échange de la visite… ça m’a coûté quand même 70B$ pour 1kg. Qu’est-ce que je vais faire avec 1kg de noix du Brésil putain !? J’ai vu les arbres à caoutchouc, désignés patrimoine de la Bolivie. Dans ce pays, on ne produit plus de caoutchouc… Sa transformation est assez simple : le faire chauffer à la fumée et vapeur pour le densifier. Il me semble que c’est tout. Je pense que c’est là qu’il obtient sa couleur noire. L’arbre s’appelle le Siringa.
2h de sieste. Ça fatigue la moto. Fin d’après-midi à la piscine municipale. L’eau est moins bleue que le ciel nuageux. Des militaires de 16 ans courent avec des machettes dans les mains. Une perruche, une buvette et pas de toit. Projet d’enfumage du complexe à la machine à pesticide… Deux fois ! Un peu en friche, mais payante. Odeurs toxiques de fumées. Je bois une Bi-Cervecina. Un genre de panaché au caramel. Je vais colorier cette page d’un bleu très prononcé par frustration.
LE TEMPS
« Avec Paul Eluard, je pus souvent jouir du plaisir poétique de perdre mon temps.
Si les poètes répondaient avec franchise aux enquêtes, ils révèleraient le secret : rien n’est plus beau que de perdre son temps. » Pablo Neruda
Quelques jours, ou heures, avant de découvrir ces lignes, j’eus moi aussi une réflexion sur le temps, bien moins jolie et plus éclatée. Et je crois qu’il n’y a pas plus bel endroit pour parler du temps qu’un carnet de voyage (à part les autobiographies bien sûr). Je crois que le plus grand défaut qui compose nos sociétés est l’incapacité des humains à accepter de perdre du temps. A chaque imprévu, ce qui nous gêne le plus c’est son temps associé qui nous renvoie à notre incapacité à le stocker. Personne n’a jamais payé en temps ou un jour sorti de sa poche le temps qu’il avait gagné, afin d’en profiter. C’est un des plus grandes arnaques marketing du monde. Je crois dur comme fer que le meilleur moyen de gagner du temps c’est d’arrêter d’essayer et d’accepter de le perdre. Et à ce moment-là de le regarder partir. ARRÊTONS DE GAGNER DU TEMPS ET PRENONS LE ! S’il on vit heureux de nos expériences, nous aurons alors mille années de souvenirs, car le temps s’étire pour les joies. Je crois en cela comme un secret de l’univers.
9 juin
J’ai enfin pu récupérer mon sac à dos. La dame était malade. Elle a frankestenisé mon mochilla pour le prix de quatre almuerzos, mais bon… Je pars demain en forêt, camper et visiter un village vraiment loin. J’espère ne pas trop galérer ou être déçu. J’ai imprimé des pistes de chapitres pour écrire dans la forêt, bu un jus de Maracuya et dépensé beaucoup pour une seule journée. Quatre jours déjà ici. La farniente, ça passe vite et la chaleur moite écrase les heures sur le sol. Quand on me raconte une histoire un poil surprenante en espagnol, je comprends tout sauf la chute. C’est un peu frustrant. J’essaye de remettre les petits mots dans un ordre logique.
10 juin
Toujours aucune organisation. D’un départ à l’aube, soi-disant, cela s’est transformé peu à peu jusqu’au départ à 10h30. J’avais connaissance d’une aurore plus tôt. Je comprends rien à ce qu’il se passe. J’ai l’impression qu’on perd un temps fou par manque de logique, même si j’ai dit que j’aimais ça. On tourne une heure dans Riberalta. La fille qui devait être ma guide n’est pas partie avec moi. J’ai aidé à faire et tasser trois sacs de feuilles de coca. On prend des gens en cours de route comme un taxi. 7h de route en tout, personne ne m'a prévenu évidemment. Demain je repars ailleurs. On a crevé en route. Un pneu seulement, mais on change deux roues. J’avais prévenu que je ne comprenais rien. Ils m’ont déposé dans un logement au bord d’une rivière. Dans la voiture, le chauffeur fume des cigarios toutes les vingt minutes et mâche de la coca. Sa femme, brésilienne, a de la coca goût chewing-gum (bizarrement pas l’inverse). J’ai testé et ça m’a anesthésié les gencives. Dans la voiture, je parle un peu de la Bolivie avec la Brésilienne. On tombe d’accord. Les Boliviens ont un problème avec la pollution et… Et elle jette du plastique par la fenêtre à son tour… Je ne comprends rien et me sens en total décalage.
« Je pense que l’homme doit vivre dans son pays et je crois que le déracinement, pour l’être humain, est une frustration qui, d’une manière ou d’une autre, atrophie la clarté de son âme » Pablo Neruda
11 juin
Aujourd’hui j’écris enfin ! Face à une rivière amazonienne, me retrouve et reprend mon idée de roman. J’ai réalisé que je devais reprendre tout mon travail, mais cette fois je vois la cohérence de bout en bout. La charge de travail à venir est immense et si j’ai un plaisir évident à écrire cette histoire, je ne sais toujours pas si ce sera lisible. L’ensemble de ma journée s’est transformé en atelier dessins avec les enfants. J’adore, mais ils ont aspiré mon stock de feuilles, de crayons et par association mon énergie en me demandant beaucoup d’attention. J’attends qu’on vienne me chercher, mais j’y crois moins d’heure en heure. De 15h, prévu hier, c’est passé à 19h. Bon finalement je pars demain à 7h soi-disant. Saoulé, mais pas à l’alcool. Je ne comprends toujours rien à leur organisation. Ils ont fait un autre aller-retour avec la même voiture chargée depuis hier pour rien. Ils ne me tiennent pas au courant, c’est épuisant.
Dans les dessins des gamins, toujours le soleil sourire dans le coin. Les filles font des arcs-en-ciel, mais pas de cheminée sur le toit des maisons et ici, l’eau se dessine avec le crayon vert. Pas étonnant après que leur piscine ne soit pas bleue. C’est pas sale, c’est juste culturel.
12 juin
On part, presque à l’heure : 7h40. Ici c’est presque en avance. Je m’attendais à 2h de pirogue max. J’ai compris que ce serait très long lorsqu’un des types avec qui je voyage sur la pirogue s’est allongé pour une sieste après 2h30 de navigation. En tout !? 9h de pirogue. Par peur de finir cette autobiographie de Neruda, j’ai pris un autre livre : une enquête de 1950 façon Miss Marple. C’est pas très bon et j’en suis déjà à la moitié. Et évidemment comme c’est nul, j’ai deviné le meurtrier. Mon temps libre à venir sera long. Hier soir, ça rigolait devant des épisodes récents de Tom & Jerry. Surtout les adultes.
13 juin
INCROYABLE ! Me suis fait traîner deux nuits et un jour dans la forêt sans être prévenu au préalable. Me faire inutilement transporter hamac et moustiquaire. Être prévenant la veille en me demandant si j’ai besoin de quelque chose pour me tenir éveillé 3h… 3h qui se transforme petit à petit en 46h sans dormir. Je me suis découvert une résilience incroyable et une bonne humeur que je ne soupçonnais pas. Et je n’avais jamais fait de nuit blanche sans dormir le lendemain en journée. Eux ? Ils travaillent comme ça. A l’aide d’alcool, de tabac pur roulé dans le packaging du PQ. Je ne me suis pas plaint une seule fois, mais j’ai quand même récolté des « le pauvre » toute la journée, toutes les nuits. « Pas mort, mais presque ». Avec du recul, je vois cela presque comme de la maltraitance, de voir jusqu’où peut tenir le petit blanc étranger, si on ne lui dit rien. Je ne comprends pas pourquoi on m’a fait ces réflexions. Je les trouve injustes et proches du harcèlement.
Bon, voici le déroulé des événements :
12/06 : lever à 6h50. 9h de pirogue (10mn de sieste, 1 pomme dans le bide). Arrivée à Las Parabas à 17h. Déjeuner à 17h30. Dîner à 19h30. Départ en pirogue à 21h30 (au lieu de 20h30). Départ en tracteur à 22h. 4h de tracteur (30mn de sieste)
13/06 : souper à 2h30. 3h de tracteur (là débute la tournée agricole des récolteurs de noix du Brésil). Départ à 6h pour 6h de randonnée (annoncé comme 2h seulement). Petit déjeuner à 10h. Départ à 13h pour encore 6h de tracteur (bon la tournée continue visiblement). Dîner à 20h. Départ en tracteur à 22h30 (je crois que c’est le retour)
14/06 : 5h de tracteur (dormi 30mn). 1h30 de marche (parce que le tracteur s’enlisait constamment). Arrivée à Las Parabas à 5h. Dormi 5h.
14 juin
Plus aucune notion du temps, alors je poursuis mes aventures : ils mâchent de la coca en permanence pour tenir. Je pose quelques questions sur les horaires, plus par soucis syndical et notion de santé que par curiosité touristique. « Ouioui c’est normal, on fait ça souvent ». Et ce n’est même pas la pleine saison de travail. Si j’étais pas aussi fatigué je serais scandalisé. Je crois avoir touché du doigt la stratégie managériale de l’épuisement au travail et le succès des émissions de télé bas de plafond. D’un autre côté je suis ravi et me sens comblé. Je voulais voir le travail des récolteurs. J’ai été bien bien servi ! Ils m’ont fait participer à leur mise en sac. 70kg par sac. J’ai vu les cabanes de stockage, j’ai suivi les chemins des récolteurs la nuit avec eux à la lueur des torches et des braises aux lèvres. J’ai ouvert une castaña et goûté la noix fraîche. J’ai mâché le coca, marché avec eux, bu l’eau des ruisseaux dans une bouteille en plastique trouvée sur la route. J’ai suivi les chaos de la route dans la jungle. Oui, le chaos. J’ai reçu la boue au visage, des épines sont encore plantées dans mon crâne. Les mains terreuses, les ongles noirs. Des bleus au cul et des tiques un peu partout. J’ai lâché prise sur le temps, mangé et bu quand je pouvais. J’ai lâché prise devant les insectes qui me montaient dessus. Mes pensées n’ont commencé à se noircir qu’à 19h aujourd’hui. Et de cela, j’en suis particulièrement fier. J’ai été impressionné devant leur jovialité et leur foi devant un tracteur qui s’enlise toutes les 40 secondes de trajet au retour. En les regardant travailler le second jour, j’ai mangé un demi citron sauvage. Certes acide, mais plutôt doux pour un citron. J’ai appris à tisser les sacs pour les fermer. Je me suis émerveillé devant les papillons et les fleurs aux couleurs infinies. J’ai eu froid. J’ai eu chaud. Épuisé, mais le cœur plein d’énergie. Fier et humble avec ces hommes, cette forêt et ses hommes qui y travaillent. Retour à 5h. Endormi à 5h15 sans me laver. Réveil à 10h. T'as jamais les bonnes infos surtout à propos du temps, c'est terrible. Je pensais me reposer toute la journée, mais j’ai l’occasion d’aller dans une communauté indigène dès cet après-midi. Faut croire que je suis pas rancunier. Vingt minutes de sieste.
3 jeunes. Ils ont entre 18 et 20 ans et sont si beaux ! Eux sont à l’heure et ne jettent pas leurs plastiques par-dessus la pirogue. Enfin ! Ils sont trois à m’amener à trois heures de pirogue plus loin encore. On dépend du département de La Paz à nouveau, tellement on a remonté la rivière loin. Quand on a des notions de la Bolivie, c’est vraiment étrange comme information.
J’arrive dans la communauté. Les filles sont très belles. Loin des standards, mais taille mannequin quand même. Une fille de 10 ans, super jolie, très curieuse et joyeuse et encore toute innocente. Pourtant dans trois ou quatre ans, elle aura son premier enfant. C’est un peu triste cette fatalité, pas ce choix. Pourtant ça ne me regarde pas et ce n’est pas à moi de juger. Ils n’utilisent aucune protection évidemment. Une cinquantaine de familles ici. Mais la notion est complexe, car ils ont une ou deux femmes et maris dans leur vie. C’est surtout un village rempli d’enfants et de jeunes parents. Très jeunes parents. Je suppose que l’espérance de vie est assez faible. Ils vivent de la forêt là aussi. La forêt qui les entoure. Quoi de plus beau que de vivre de la nature, dans la nature. Ils chassent, pêchent, récoltent.
Les journées passent au rythme des femmes qui font beaucoup. Ce soir à la TV c’est la finale de Miss Peru Univers sur une chaîne péruvienne. C’est la blonde, blanche qui gagne la finale entre une douzaine de placements de produits pour Samsung. Autant, pour la santé et les droits des travailleurs je trouve cela scandaleux ce qui se passe ici sans pour autant féliciter mon pays, qui est, selon moi, toujours en retard sur les droits sociaux ; autant, quand on voit la télévision à l’étranger, on peut se féliciter de conserver, en France, au maximum une imperméabilité entre publicités et programmes.
15 juin
A la base je devais partir quatre jours en tout et pas huit. Mais c’était sans compter les quarante-trois heures de déplacement en tout. Aujourd’hui, journée entière dans la comunidad de Toromonas. Les repas sont à heure variable et pas en groupe autour d’une table. Il suffit que je sois assis quarante minutes quelque part, on m’apporte une assiette remplie de poissons et de riz. Beaucoup de riz. Toujours. Du poulet ou du poisson, mais toujours peu de légumes. Je finis mon livre le plus lentement possible. Je vais chercher des agrumes dans le village. Je m’entretiens avec la directrice de l’école qui me reçoit comme si je passais un entretien. Je suis un peu gêné de ce temps qu’elle me consacre. Je ne sais pas vraiment quoi dire. Je m’attends à ce qu’elle raconte. Elle s’attend à ce que je questionne.
Partie de Volley à 17h. Ados contre profs je crois. Je ne suis vraiment pas bon. J’aurais dû proposer une pétanque. Les nuits sont tellement humides que mon duvet, pouvant protéger jusqu’à 0°C, est clairement insuffisant. J’ai les cuisses dures et les pieds congelés. Je me douche dans un bras de rivière en occultant au maximum de mon esprit l’idée de cotoyer serpents, insectes mortels et le mercure utilisé pour trouver de l’or. Mes pieds dans la vase. Des femmes lavent le linge de toute leur famille. Un savon dans un bol en plastique dérive à mes côtés. La nuit tombe. Ils sont tous très impressionnés par ma moustiquaire de hamac. Ou alors ils se foutent de ma gueule.
Ici, les chercheurs d’or arrivent à en vivre. Ils sont deux sur une cabane flottante. Ça sent l’huile et ce que je suppose être le mercure. Une carabine au mur et deux hamacs rangés attendent la nuit. L’énorme tuyau qui boit l’eau de la rivière et la recrache est bruyant. Tout est sale et grossier. Mais ce n’est que le début de l’histoire ayant pour fin une petite broche en or, un collier ou un anneau qui viendra fleurir sur la peau d’une femme, un jour.
16 juin
Jour férié dans tout le pays ou seulement la région. Personne pour me ramener à Las Parabas en pirogue parce qu’ils n’ont pas le droit. Je ne sais pas si c’est spirituel ou légal. En France, chaque nouvelle année on vérifie si le 1er et le 8 mai ne tomberont pas un week-end, mais ici, dans cette communauté, ils semblent découvrir leur jour férié le matin même. Ah si ! Finalement on peut me ramener, mais l’après-midi. Comme d’habitude je ne comprends rien à leur organisation et je jure pourtant de comprendre l’espagnol chaque jour de mieux en mieux. Même deux jours seulement, je suis triste de quitter cette famille où je n’ai toujours pas compris combien ils étaient vraiment. Je crois que je dois me défaire de mes notions de famille et de cadre. Une famille n’a pas à être biologiquement reliée ou immuable. Leurs vies font tellement relativiser sur la définition du besoin, du bonheur et du travail. Je ne les plains pas ni ne les prends en pitié. Comme nous, ils se moquent des feuilletons (ici une télénovela turque), mais les regardent tout de même, captent la 4G et ont leur jour de lessive.
A part un chouilla en plus de stimulation sociale, culturelle et culinaire, je pourrais vivre ici.
Tout le reste de ma vie n’est qu’envies.
« On est des sous-produits d’un mode de vie devenu une obsession »
Tyler Durden, Fight Club, 1999
Je repars d’ici pour retourner ailleurs. Je les entends encore à mon arrivée me demander « pourquoi tu viens ici ? » adultes comme enfants. Triste.
Je me souviens d’un papillon sur mon sac à dos. De la couleur sur fond noir. Un insecte sur un objet. Éphémère sur solide. Le voyageur et le rêve de voyage. Un être libre sur une propriété privée. En poussière ou en tissu, une rondeur et des lignes, fragile ou durable. L’un partout, l’autre nulle part. 1 ou 12 000 grammes. Fatigué et toujours au repos. Qui est le plus jaloux des deux ? Mariposa y Mochilla. Simple ou symbolique
17 juin
Journée pirogue. Je ne sais pas comment l’écrire autrement. Parti à 8h40. Arrivée à 22h. Plus de 13h de trajet. 2h à attendre des gens. 30mn à réparer un moteur. 30mn à récupérer de l’essence. C’est vraiment des guignols putain… Ils sont nuls en organisation et en durée. Tous. C’est hallucinant J’ai tenu un bébé qui avait des pustules sur tout le corps. Je crois qu’elle a de la fièvre et qu’ils vont tous chez le docteur ensemble. Le petit frère se gratte aussi. Et la mère aussi ! Super. J’ai vraiment peur qu’ils me transmettent leur maladie. Ils ont emporté la télévision et le fusil de peur d’un cambriolage je suppose. Pour moi, qui ne suis absolument pas médecin, ça ressemble à une maladie très puissante ou un empoisonnement au mercure. Faudrait arrêter de boire l’eau de la rivière peut-être. Le petit de 5 ans maximum mâche de la coca et son papi lui pose sa clope devant la bouche pour rigoler… Après 11h sans absolument rien faire (ni livres ni batterie de téléphone) je sature. C’est ma limite. J’ai fait le tour de toutes mes pensées des étoiles, des chansons, des rêves et des projets. J’ai besoin de matières et de tâtonnements pour avancer dans mes pensées. Je me sens en bout de course, mon avatar dans un cul de sac. Bug. Je chantonne et tape des mains. Je me pousse volontairement vers l’innocence de l’enfance ou la folie.
18 juin
Retour à Riberalta à 5h du mat en voiture. J’étais assis à côté du conducteur. A chaque pause clope de sa part, je baissais discrètement la musique et la clim. De la place pour les jambes et des feuilles de papier-toilette dans les oreilles. Je m’adapte. Douche et rattrapage de vidéos YouTube. Carnet, dessins. Dans un mois c’est mon anniversaire. Depuis quelques jours je projette mon retour. Sans tristesse ni besoin. Ni envie non plus. Pluie. Heureusement ce n’était pas hier, durant ma journée pirogue (oui parce qu’on n’avait pas de toit sur le bateau et donc les enfants, sans protection, étaient au bord de l’insolation). Mon dernier dessin de visage commence enfin à ressembler à la vraie personne. Et sans modèle en plus. Seulement de mémoire. En même temps j’ai eu du temps. Fier. Calme. Repas en 5 assiettes, comme un Soprano. C’était pas prévu. Retour à l’hôtel en moto-taxi. Nuit.
19 juin
Le soleil se couche. Et j’observe la nature et le lac depuis ma chambre : mon hamac sur un ponton. Voici mon emplacement camping cinq étoiles. Ou mille si je lève la tête. Plus tôt dans la journée, pas de cabaña disponible dans ce village. C’est tout ce qu’il restait et c’est parfait ! Demain je dessine mon logement. Là il fait presque nuit et je garde ma lumière pour lire. J’ai fait ma lessive dans le lac après m’être baigné. Je suis à Tumichucua, à 25km de Riberalta. Un petit village construit autour d’un immense lac. Au milieu du lac, une île toute aussi verdoyante que le périmètre du village. Station balnéaire à la bolivienne : des restaurants de poissons et des pontons au toit de palmes. Je m’y suis installé. Ma bâche par terre, pour ne pas perdre de stylo, si ceux-ci tombaient de la table en plastique rouge. Première et dernière utilisation de ma bâche.
20 juin
Quatre pipis à 22h, 1h, 4h et 8h. Incroyable incontinence ! Peut-être dû aux clapotis de l’eau, à la chaleur sans soleil de la veille ou à ma vieillesse si jeune.
Suis tombé de mon hamac en rentrant de Pipi 2.
Me suis retrouvé comme un animal exotique, prisonnier du filet de ma moustiquaire, persuadé, qu’un chasseur-tapir allait arriver pour me sortir de là, me jeter sur son pick-up ou m’embrocher au-dessus d’un feu.
J’ai enfin terminé l’autobiographie de Neruda, qui termine lui sa vie dans la tristesse de voir Allende assassiné quelques jours auparavant. Communiste, humaniste, pacifiste, évidemment poétique et voyageur, je me suis senti très proche de lui et de sa vie, faisant de joyeux rapprochements. Certains de ses propos ou m’ont surpris par l’évidence qu’ils véhiculaient, car certain d’être seul à penser cela, et ne l’ayant jamais exprimé comme tel. Je pense que lire des poètes nous apprend plus sur notre véritable nature que sur le monde qui nous entoure.
Rien d’intriguant ne se passe. Encore du riz et du poisson. Sieste. Tué treize mouches jaunes qui piquent. Plongeons. Lessive. Aucun réseau. Envie de parler à Mariela. Pas de réseau. Écriture. Enfin je retrouve cette fois le style de mes écrits et des envies d’idées. Ou l’inverse. Soleil se couche. Des poissons mangent les premiers moustiques en faisant des ronds dans l’eau du lac. Tout autour de moi, des ronds dans l’eau. Ils ne le savent sans doute pas, mais ce qu’ils font est joli. Une chauve-souris chie sur ma table en plastique et je finis mon dessin avant la nuit. J’ai quelques épisodes d’une émission de France Info en stock.
21 juin
Dans 16 jours je rentre en France. Infiniment loin au début, il devient aujourd’hui amèrement réel, ce jour de départ. Comme un vieux con je vais citer un auteur que je ne connais pas et que je n’ai jamais lu, mais qu’il me semble que Neruda citait : « Aujourd’hui je suis le plus heureux, car j’ai quitté tout ce que j’aimais ». Quelque chose dans le genre, d’un français. Je serais un adulte quand je saurais replacer correctement une citation autre que Kaamelott dans une conversation. Cette phrase qui semble totalement folle est tellement véridique. Il y a une émotion folle à partir seul face à l’inconnu et savoir que l’on laisse derrière nous, tout ce qui faisait notre bonheur, mais surtout notre identité.
11h35. Quatre personnes sont venues pêcher dans ma chambre. Je suppose que c’est le cycle logique de dormir sur un ponton. Entre deux pêches je plonge. Je sais que je ne peux pas dessiner le ciel étoilé et la voie lactée comme ils le sont réellement, mais je suis obligé de le faire, comme un respect, la trace d’un souvenir, comme pour dire « je sais et je reste ridicule ici ». Hier soir j’ai retrouvé l’étoile Proxima de la constellation du Centaure et Aldébaran du Scorpion. Bon visiblement c’est jour de pêche. Pas moins de trois groupes ont déjà défilé aujourd’hui. Soit un total de onze personnes. J’en n’ai pas vu un attraper un poisson… Sont pas très forts. Maintenant, il y a deux chiens qui squattent et un groupe d’humains sur la berge avec de la musique à fond. Ah ! Un poisson… Qui finit vivant dans un Eastpack… Horrible ! Comme toujours, la pêche ici aussi, c’est surtout une excuse masculine pour rester entre copains, boire des bières et fumer des clopes.
22 juin
Dernier jour à Tumichucua. Me refusant tristement à lire trop vite un autre livre, j’ai épuisé quasiment toute la batterie de mon téléphone en podcast Affaire Sensible :
o Le tournage des dents de la Mer
o L’album Lemon Incest
o La révolution des oeillets au Portugal
o Le boycott des jeux olympiques de Moscou
o Le livre l’Etranger d’Albert Camus
o La carrière de Britney Spears
Clairement, j’espère progresser au prochain Trivial Pursuit !
Je recharge mon téléphone sur panneau solaire, à raison de 3% par heure… Hier j’ai calculé qu’un cormoran du lac Tumichucua de Bolivie dans la région du Béni nageait sous l’eau à environ 1,7km/h à raison d’environ 20 mètres sur 45 secondes sans respirer. J’ai tué 24 mouches jaunes en trois jours. Pas par sadisme. Jamais. Mais parce que c’est des grosses conasses.
J’ai un ongle incarné et mis un pansement sur un bouton de mouche de rivière avant qu’il ne gratte pour voir si ça peut fonctionner. Il est temps de rentrer je crois. 46 mouches tuées !
23 juin
Journée entière à Riberalta. Je prends une moto-taxi ou un taxi-moto pour aller déjeuner à un endroit que j’ai repéré à côté d’un hôtel. J’espère tellement manger autre chose que du riz et du poisson. Perdu. C’est seulement un glacier. Heureusement à côté je trouve un almuerzo avec du poulet un peu différent, du riz un peu différent et des platanos un peu différentes. Glaces d’à côté en dessert. J’ai mangé pour la journée ! A force de manger la même chose je n’ai aucune idée de ce que je pourrais manger d’autre. Je perds peu à peu ma curiosité gustative et ma créativité culinaire. Retour à l’hôtel en moto-taxi (une fois qu’on a pris le réflexe, c’est dur d’arrêter). Ecriture, mais pas lecture. Je me réserve pour ma solitude de demain.
24 juin
Petit déjeuner en extérieur pour changer. Bonne omelette mais avec du jambon… J’avais bien précisé pourtant. Courses pour mon futur camping sauvage. J’ai acheté que des merdes : beurre de cacahuètes, Cheetos, Tortillas goût piment-citron vert, galettes. 2L d’eau aussi. Mon sac est trop volumineux. La faute aux chips. Je fais le trajet en moto. J’avais pas prévu ça bizarrement. L’endroit où je peux camper est très loin du village de Warnes. J’avais pas prévu ça non plus.
Me voilà seul en bordure de forêt à 14h. Pas de cabañas ou du maison au bord de ce lac. Même pas un ponton. J’avais pas prévu ça. Impossible de se baigner dans le lac. Bon là O.K. on m’avait dit mais j’y croyais pas. L’accès y est boueux, des odeurs d’essence et de goudron y flottent. L’eau est vaseuse et trouble. Rien à voir avec Tumichucua. Tumichucua que je te regrette ! Je cherche un emplacement où camper, proche du lac, même si ça ne sert à rien. J’ai enfoncé ma jambe droite dans 1 mètre de vase. J’ai eu très peur de mourir dans ce sable mouvant. J’ai tout de suite jeté mon gros sac à dos le plus loin possible pour m’alléger. Je m’installe proche d’un ruisseau stagnant, donc peu potable et loin du chemin principal et un peu dégagé si possible (pour avoir de la lumière naturelle). Je trouve quelques planches de bois et ne suis pas gêné d’en voler une devant les barques. En trois heures je construis et installe un banc, un étendage en liane, une table, une douche et une étagère. Je suis sale et plein de terre. Je me douche avec une bouteille en plastique trouvée sur place, l’eau du ruisseau, deux cachets de javel pour aseptiser l’eau et une liane autour pour l’accrocher à un arbre. Technique des trois trous dans le bouchon pour l’écoulement de l’eau.
18h10. La nuit tombe très vite. Promenade en bord de lac. Dîner de deux empanadas acheté à 12h. Pas très faim. Fier. Bu la moitié d’une bouteille d’eau. Soit ¼ de mon stock.
Au lit à 19h. Podcast culture. Lecture à la frontale. Dodo à 22h.
25 juin
Premier matin ici. Tout seul. Objectif de la journée : faire des toilettes et du feu.
J’essaye de tailler en forme de cuvette un gros rondin de bois naturellement arrondi. Ça me fait des copeaux de bois pour le feu. Pas super efficace. Construction d’une petite poignée en liane et creusage de trou à la cuillère en plastique. Douche à midi pour m’hydrater et ne pas finir mes réserves d’eau potable trop vite. Ma douche sent l’essence, le plastique et le chlore en même temps. Sieste. J’ai les mains sales, les ongles noirs en permanence. Hier en pantalon et chaussures. Aujourd’hui en short, débardeur et tongs. Demain ce sera juste caleçon, tongs. J’ai des épines dans les mains et des bestioles tout autour de moi. Une majorité sont des petits papillons, donc ça va. Attirés par les odeurs ou les couleurs, ils ne se posent que sur mes affaires. J’en ai compté trente-trois sur mon seul T-shirt étendu et sale. Je rassemble du bois pour le feu. Feuilles mortes et branchages. Ce n’est pas ce qui manque ici comme toutes les vraies forêts. Je triche en ajoutant du papier et du papier toilette, mais ça restera toujours moins efficace que les feuilles de palmes sèches ! Clairement, l’allume-feu ça ne fonctionne pas ici ou alors je suis très mauvais. Autant jeter une allumette sur un chalet en espérant que ça prenne. Heureusement j’avais un briquet de prévu. Le feu finit par prendre à un moment. Tout mon petit bois est parti. 19h. Je me fais un thé en mangeant des chips goût fromage américain. Je fais de nouveau bouillir de l’eau dans ma tasse en métal que je verse ensuite dans ma gourde, afin de refaire mon stock d’eau potable. De l’eau stagnante oui. Cinq minutes à bouillir pour être prudent. Ça prend environ trente minutes pour 20cL. 20h. Le feu sous les cendres reste chaud toute la nuit. Des animaux curieux s’approchent la nuit à quelques mètres. Je dors avec mon Opinel et n’ose pas éclairer la forêt de peur de me retrouver nez à truffe avec un animal sauvage. Peu importe si c’est un prédateur ou pas, dans un réflexe de survie, il peut paniquer et me faire mal ou me faire peur. J’évite. J’écoute les bruits, ravi et m’endors à un moment.
26 juin
Second jour seul. Je voulais partir aujourd’hui. Finalement j’ai assez d’eau et de lecture. Je reste. Je fais redémarrer le feu plutôt facilement. Je trimballe des troncs entiers et me prépare un café avec une dosette volée à un hôtel. Pas vraiment faim, mais je me force à manger des galettes. Je finis mon stock d’eau purifiée la veille. J’en refais. La nature devient plus hostile. A moins que ce soit ma résilience qui s’ébrèche.
Ça fait plus de 48h que je n’ai eu aucun contact humain. Pas de besoins de ce côté-là. Ce qui me manque le plus : de l’eau fraîche et un fruit bien juteux. Ma table casse et je vois passer un type en courant à 50 mètre peu avant la nuit. Un joggeur. Oui. Je n’ai pas d’explications, mais la civilisation n’est pas si loin non plus. Ce qui compte c’est notre propre solitude, pas la distance qui nous sépare des autres, mais la distance que l’on propose à nous même. Grand feu de joie pour mon dernier jour. Je fais du zèle et dégarnis mon périmètre de ses derniers bois morts. Même des feuilles y passent.
27 juin
Jour de retour à Riberalta. Nuit fraîche et humide. La forêt goutte. Quelques braises chaudes au réveil. Je refais partir les quelques morceaux de bois oubliés la veille. Brûle mes quelques déchets plastiques du séjour. J’ai peut-être tort de faire le choix d’une transformation en CO2 au lieu d’une transformation en microplastiques dans le sol. J’ai vécu sur ce sol, je n’avais pas envie de lui faire cette insulte. Repartir avec mes déchets ne me semblait pas être une option envisageable. Je voulais terminer, aboutir, clore ma trace ici. Je fais bouillir une dernière fois de l’eau pour ma tasse posée sur les cendres.
J’ai terminé mon ultime livre du voyage. La forêt est calme. Je la comprends. Cette solitude va me manquer. J’ai passé 70h seul sans aucun contact (le joggeur ne compte pas). Je pars. Au bord du lac, un type me dit que le village est seulement à vingt minutes à pied, mais ne me propose pas de m’amener. Dommage. J’avais oublié le temps bolivien… Moi qui suis plutôt rapide, j’en ai pour 35 minutes de marche. Arrivé trempé. J’achète 2L d’eau fraîche dès que j’en ai l’occasion. Me pose devant une assiette de riz. Pour changer. Délicieux. Je rentre en alpaguant une voiture qui passait par là. Une fois en ville, à nouveau une moto-taxi. Dans mon hôtel, je prends tout seul les clefs de ma chambre derrière le guichet. Habitude. Repos. Textos à Mariela.
28 juin
Plus de vol jusqu’au 9 juillet !!! La vendeuse dans la boutique de la compagnie aérienne me demande très sérieusement si cela pourrait me convenir. Je devais décoller demain. Je lui fait lentement comprendre que décaler un trajet de 13 jours c’est un peu beaucoup tout de même et que je souhaiterais être remboursé au plus vite si aucune solution de moins de 72h existe. Je comprends que je vais devoir faire au moins la moitié du trajet en voiture. Encore ! J’appréhende la clim et la cumbia ! Mon enfer ! Je vais me promener une dernière fois sur la corniche. Il ne fait pas spécialement beau, mais j’apprécie ma journée. J’avais l’habitude d’avoir cette ville en point de chute. Serais-je triste en partant ? Je pars.
Taxi → Colectivo → Moto-taxi → Colectivo → Moto-taxi → Avion → Avion → Taxi
J’ai pas trop eu le temps d’être triste. J’ai attendu 2h30 avant de partir de Guyaramerin pour la nuit musique et clim. Comme prévu.
29 juin
Entre 2 vols, je me jette sur une part de tarte au citron meringuée et un sandwich toasté 4 fromages ! Le tout gobé en 10mn. J’ai jamais faim, mais je suis gourmand. Je retrouve Mariela à Santa Cruz à 14h30. 3h plus tôt que ce qui était prévu au final. On partage nos histoires, nos sentiments et une pizza végétarienne. A cause du trajet notamment, je suis malade et épuisé. Couché à 21h30. Je vais dormir 10h à mon plus grand étonnement. Tous mes habits sont sales et sentent la fumée.
30 juin
Dernier jour de juin. Dans une semaine je décolle. J’ai commencé par laisser derrière moi des livres, puis des habits. Au point d’avoir laissé un masque en lin dans un short très sale. Zut ! J’aimais ce short aussi. Short Lacoste acheté en friperie à 1€. Il faut toujours partir avec des habits qu’on aime.
Mon sac va faire 5kg de plus au final. J’avais, il me semble, 3kg de marge à l’aller. Je dois donc en perdre 2 de plus. Courses et petit déjeuner maison chez la tante de Mariela. Sans la tante de Mariela. Sieste et lessive. On sort dans le centre. Bar. Resto bruyant à cause de deux groupes de touristes exécrables. Un cocktail pour moi, pas du tout ‘’Sour’’, contrairement à ce qui était écrit. Une bière très bonne pour elle.
1er juillet
On se rend dans un parc à piscines et à animaux. Déjeuner compris, je m’accommode d’un bon ceviche avant d’aller visiter. Réputé pour ses papillons, on n’en a pas vu des masses. Le vent souffle fort du haut du mirador, mais la vue est quasi infinie. Je sors la réplique de Mufasa à Simba quand il lui parle de son royaume. Deux perroquets à la gorge bleue, les barba-azul extrêmement rares, grignotent mes semelles de chaussures. L’eau des bassins est très fraîche. Des petits singes partout. Les oiseaux de couleurs dans la volière. Des singes araignées me font des câlins au travers des grilles. Leurs longues queues, comme une trompe, s'enroulent autour de mes cuisses. J’ai l’impression que pour eux, il y a une connotation sexuelle. Journée savoureuse (pas pour ça). Plateau de sushis à la maison. J’ai explosé 50B$ de forfait en 1 jour.
2 juillet
Réveil à 6h. Beaucoup de transports. J’en développe une intolérance. Endroit joli. Cascades ! Toujours très fan des cascades. Eau fraîche. 17°C !? Souvenir inoubliable de sauts à deux dans un bassin frais ! Souvenir inoubliable de Mariela. Je lis un petit livre français que j’ai découvert chez la tante de Mariela qui est francophone. Ma chance ! Les noces barbares de Queffelec. Mariela sur mon épaule. Des jolis mots dans ma tête.
4 juillet
On cherche un restaurant d’ouvert pour le ptit-dej. On se rabat sur un tiers-lieu bobo. 2 jus exotiques excellents ! 2 burgers vegan au top ! (La bonne idée des tomates séchées dans un burger, moi qui déteste ça d’habitude). 1 tarte goût Snickers par terrible. Chaleur. Repos. Courses pour des cadeaux de retour. Je rencontre enfin les animaux de compagnie de Mariela… Et surtout Milo, son chien favorito qu’elle n’appelle jamais comme ça, sauf pour le gronder ! Aux allures débiles, bougrement social et adorable, c’est une langue fétide qui n’a pas peur des joues inconnues qui m’accueille.
Je donne le relais de mon guide de voyage à une francophone dans un bar, en échange d’une bière. Conseils, souvenirs et taxi. Mon chauffeur de taxi est tellement vieux que statistiquement il devrait sénile et sourd. Il m’envoie chier et refuse de m’amener à mon adresse. Malgré mon espagnol bon, le volume sonore explosif de ma voix et le trajet GPS sur mon smartphone comme preuve à l’appui. Je crois qu’il est raciste.
5 juillet
Dernière journée avec Mariela. Les 6 jours sont passés très vite ! Triste. On fait difficilement semblant de faire comme si. Achats. Je prépare une ratatouille. Fini mon livre. Sac prêt. 21kg et 21h. Mariela coupe les légumes. On s’est encore écrit des mots. Musiques. On parle. On pleure.
6 juillet
Réveillé à 4h. Réveil 45 minutes plus tard. Mal dormi, peu étonné. Jour de départ. Je commence à ressembler à ma mère pour ça. Sorti à 6h.
Portail fermé. Escalader l’aurore. Taxi accompagné. Yeux sur le soleil aurore. Jour redouté, dans l’esprit repoussé. Éternité de tristesse. Pluie de promesses. Peur de tout perdre en regagnant mon pays. Ironie.
7 juillet
Beaucoup de tristesse dans mon coeur et une grande fatigue. Je me sens mélancolique vers Madrid. Les deux premières phrases que j’entends en français :
- « Maman, il a regardé les réponses, il triche »
- « C’est des mesures à la con et les gens ils sont cons »
Je suis ravi… Je m’enferme dans mes écouteurs, sous ma casquette en jeans. J’ai l’impression de continuer un voyage à l’aéroport de Marseille. Je me sens touriste dans mon propre pays. Bagage à Sao Paulo… Corps à Marignane… Coeur à Santa Cruz… Un amas de cellules en tiraillement. La présence bruyante des cigales du sud ça aide un peu. Ça y est. Je suis rentré, mais pas vraiment là. Stress, jetlag, tristesse et ennui marinent ensemble dans une eau à 27° de la méditerranée. J’ai connu pire. J’ai connu mieux. Ça ira mieux ou ça ira pire.
Fin.
PS : Mariela. ça ira mieux et ça ira pire, mais pour à ce moment et pour longtemps encore je l’aimais à la folie. Je lui ai promis de ne jamais écrire sur elle. Voilà pourquoi je lui dédicace officieusement ce carnet de voyage.